mardi 12 octobre 2010

Affaire Armand Tungulu : L’Etat congolais mis en demeure


Une des manifestants lors du sit-in du samedi 9 octobre 2010. Photo CIC


Par une ordonnance rendue en «extrême urgence», lundi 11 octobre, un juge du Tribunal de première instance de Bruxelles met l’Etat congolais "en demeure" de restituer la dépouille mortelle de feu Armand Tungulu Mudiandambu. La décision est assortie d’une astreinte de 25.000 euros par jour de retard. L’Etat congolais, représenté par le ministre de la Justice, sera incessament notifié. Ambiance.
«Par ces motifs, faisons injonction à l’Etat congolais représenté par le ministre de la Justice et garde des Sceaux, (…) de restituer aux requérants la dépouille mortelle de feu M. Armand Tungulu Mudiandambu et, pour ce faire, de (faire) procéder au rapatriement en Belgique de ladite dépouille endéans les 48 heures de la signification de la présente ordonnance et ce sous peine d’une astreinte de 25.000 € par jour de retard à exécuter l’injonction qui précède : Déclarons la présente ordonnance exécutoire sur minute : (…).» C’est la décision prise lundi 11 octobre 2010 par le juge M. Vanwelkenhuyzen du Tribunal de première instance de Bruxelles «désigné pour remplacé le Président». Il était assisté par le greffier délégué, T. Verstraete.

«Requête unilatérale»

Cette décision judiciaire procède d’une «requête unilatérale» introduite, dimanche 10 octobre, auprès du président de cette juridiction, par l’avocat bruxellois Jean-Claude Ndjankanyi en sa qualité de conseil de Madame Tungulu née Nzomina Maloka & consorts. Après avoir rappelé les faits depuis la «lapidation» du cortège présidentiel et l’arrestation de Tungulu Mudiandambu, l’avocat a souligné que «(…) le jeudi 30 septembre de l’année en cours, monsieur Jean-Marie Kasamba, autorité politique très proche du président Kabila annonçait que monsieur Armand Tungulu se trouvait entre les mains des services de sécurité en attendant d’être présenté au parquet.» Ce qui n’a pas été le cas puisque «(…) le samedi 2 octobre 2010, le cabinet du Procureur général de la République démocratique du Congo indiquait dans un communiqué de presse que monsieur Tungulu, «se serait suicidé dans la nuit du 1er au 2 octobre au sein de l’Amigo de la Garde républicaine à l’aide d’un tissu dont il se servait comme oreiller». C’est ici que l’avocat a pris un ton grave pour dénoncer le fait «que depuis l’annonce de ce décès, les proches de monsieur Tungulu n’ont pas accès à la dépouille de celui-ci.» Et «que les différentes démarches entreprises auprès des autorités congolaises pour obtenir le corps sont restées infructueuses».

L’avocat a demandé à cette juridiction «de donner injonction à l’Etat congolais de remettre immédiatement aux requérantes la dépouille mortelle de leur époux et père» pour leur permettre d’organiser leur deuil. «Attendu que le travail de deuil d’un être cher ne peut commencer qu’à partir de l’organisation sociale des funérailles», argumente-t-il. Et «que la vue du cadavre est essentielle dans la prise en compte de la réalité.» «Que les cérémonies de ce deuil ne devront s’achever que par l’enterrement de leur époux et père».

Dans son argumentation, Me Ndjakanyi n’a pas manqué de souligner «que la rétention du cadavre de monsieur Tungulu par l’Etat congolais est une ingérence manifeste dans la vie familiale.»; Et que « (…) l’obligation de restitution du corps dans des conditions préservant le respect dû au cadavre et la dignité des proches du défunt est manifestement violée par l’Etat congolais.» Notons qu’une requête a été introduite dans le même sens, deux jours auparavant, par l’avocat Aimé Kilolo-Musamba du barreau de Bruxelles. Un huissier de justice a été chargé de notifier l’ambassade de la RD Congo à Bruxelles.

«Rendez-nous Armand»

L’affaire relative à l’assassinat de Armand Tungulu Mudiandambu se corse avec cette décision judiciaire. Dix jours après l’annonce officielle du décès de ce Bruxellois, il est surprenant de constater qu’aucun membre de la famille biologique du défunt n’a été contacté par une quelconque autorité congolaise afin de procéder à l’identification du corps avant d’en obtenir la restitution. Et pourtant. L’annonce de la mort de ce citoyen congolais – au camp militaire Tshatshi - a été faite par le directeur du cabinet du procureur général de la République. Ce qui suppose que des magistrats du parquet avaient eu accès à la dépouille mortelle. Qu’est-elle devenue? Le long suspens imposé par les plus hautes autorités congolaises ouvre la porte à toutes les spéculations. Certains analystes voient dans ces «atermoiements funestes», la volonté de dissimuler les stigmates laissés par les bourreaux sur le corps du supplicié. Des actes de tortures constitutifs de «crime contre l’humanité.»

Samedi 9 octobre, près de deux mille Congolais de Belgique ont manifesté dans les rues de Bruxelles. Un seul mot d’ordre : «Rendez-nous Armand Tungulu». Les esprits sont surchauffés. «Cette manifestation n’est que le début du commencement, déclare "Malou" de l’association «Ba Mama Totelema». Elle ajoute : «Nous voulons voir le corps de feu Armand ici à Bruxelles. Dans le cas contraire, Kabila devra nous tuer tous…». Un manifestant d’enchaîner : «La mort de Tungulu Mudiandambu est certes regrettable. Mais cet événement tragique vient démontrer que nous sommes dirigés par des animaux sauvages.» Porte-parole d’une aile du Groupe de pression «Bana Congo», Patrick Kanku adopte un ton radical : «Si le corps ne revient pas à Bruxelles, nous allons interpréter cette attitude comme une "déclaration de guerre". Nous allons mener des actions…». «Je suis ici pour manifester ma colère contre ceux qui nous gouvernent et qui n’ont à notre égard que du mépris, martèle, pour sa part, Madame Tshingila. Si le corps de Tungulu n’est pas remis à sa famille, ça va barder ! Nous allons prendre des avocats pour donner une suite judiciaire à cet assassinat. Nous irons partout pour connaître la vérité et faire condamner les assassins de Armand et le commanditaire de ce crime.»

La diplomatie

C’est le lieu de saluer le geste plein d’humanité posé par l’ambassadeur des Etats-Unis en Belgique. Ce représentant du pays le plus puissant du monde s’est donné la peine venir au bureau un samedi après-midi pour recevoir la veuve Tungulu et les enfants qui venaient d’être arrosés bêtement et méchamment par des auto-pompes. La veuve lui a remis un mémo adressé au secrétaire général de l’ONU. Que dit-il? On peut y lire notamment : "Nous, la veuve de l’illustre disparu, membres de la famille de M. Armand Tungulu et tous les opposants politiques de la diaspora congolaise, venons par la présente vous prier de bien vouloir intervenir auprès des autorités du régime en place à Kinshasa, afin d’obtenir le rapatriement du corps de notre cher regretté Armand Tungulu assassiné par les autorités au pouvoir pour avoir exprimé sa désapprobation vis à vis du régime sanguinaire de Joseph kabila". "Face à cette tragédie, nous exigeons des autorités congolaises de rapatrier son corps en Belgique, son pays de résidence habituelle et pays où vivent sa femme et ses enfants afin qu’une autopsie crédible, neutre, sincère et objective, soit pratiquée sur son corps par des spécialistes de notoriété internationale, spécialistes acceptés par la veuve et la famille. "(...), pour ce faire, nous émettons vivement le voeu de voir toutes les personnes qui ont d’une manière ou d’une autre, de loi ou de près, participé à l’assassinat d’Armand Tungulu : à commencer par le donneur d’ordre jusqu’aux exécutants, soient très sévèrement punis par la justice".

Selon des sources diplomatiques congolaises, l’ambassadeur de la RD Congo à Bruxelles, Henri Mova Sankayi, a saisi - le plus officiellement du monde - les autorités belges afin d’obtenir un dispositif spécial de sécurité pour la chancellerie et la résidence officielle sise à Waterloo.

Intox sur le “Net”

Lundi 11 octobre, une «dépêche» portant la signature d’un certain «Dr Pierre Katalayi» était au centre des conversations. A en croire l’auteur, «Joseph Kabila vient de débloquer d’énormes moyens financiers (10 millions USD) aux fins de corrompre la famille biologique d’Armand Tungulu pour qu’elle accepte finalement son inhumation à Kinshasa sans avoir identifié sa dépouille mortelle laquelle est gardée dans lieu tenu secret. (…). Aux dernières nouvelles, j’ai appris que Joseph Kabila veut corrompre un membre influent de la famille biologique d’Armand Tungu, en l’occurrence l’ancien joueur de football et autres fois diplomate auprès de l’ambassade de la RDC à Bruxelles Monsieur Joseph Kibonge lequel est un cousin germain d’Armand Tungulu.»

Cette «nouvelle» a accueillie dans les milieux des internautes sans le moindre discernement clouant au pilori une famille éplorée. Dans la soirée, la rédaction de Congo Independant a reçu un démenti «énergique» de la famille Kibonge. «Depuis l’annonce de la mort de Armand, aucun officiel congolais n’a pris contact avec la famille biologique du défunt alors que sa mère vit encore à Matete ainsi que ses frères et sœurs, indique le texte. Nous mettons au défi quiconque de citer tant le nom de l’émissaire envoyé par Joseph Kabila que celui du membre de la famille Tungulu qu’il a rencontré.» Selon des sources concordantes dans la capitale congolaise, il n’y a jamais eu de contacts entre quelques officiels et Joseph Kibonge. Celui-ci a été personnellement mis en cause. «Qui a intérêt à semer la confusion au sein de la famille ?», s’interroge la famille Kibonge.

L’ordonnance rendue lundi 11 octobre 2010 par le juge Vanwelkenhuyzen du Tribunal de première instance de Bruxelles constitue la première salve tirée dans le cadre d’une longue bataille juridique voire judiciaire que les enfants Tungulu Mudiandambu et leur mère Nzomina Maloka entendent mener pour obtenir, dans un premier temps, le retour de la dépouille mortelle de leur père et époux. Et dans un second temps, l’assignation devant les instances judiciaires internationales des présumés assassins et le commanditaire de ce crime odieux. Affaire à suivre.
B.A.W
© Congoindépendant 2003-2010 

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