jeudi 26 décembre 2013

Polémique sur l’intervention des FARDC en Centrafrique

jeudi 26 décembre 2013

Le gouvernement congolais a annoncé, le 21 décembre dernier, son intention d’envoyer 850 soldats en République Centrafricaine pour participer à la force de l’Union africaine déployée sur place (Misca) [1]


Cette contribution, laquelle est dans l’absolue compréhensible[2], ne cesse pourtant de susciter des interrogations. En effet, compte tenu de la précarité et de l’insécurité qui prévalent dans la partie orientale de la République Démocratique du Congo, ainsi que de l’aspect budgétaire, le peuple congolais est en droit de connaître les critères ayant motivé une telle décision. 

 
Une multitude de groupes armés dans le Kivu

Le Raïa Mutomboki[3], lequel a fini par nouer des alliances avec l’ancien groupe rebelle M23 après avoir pour autant sévi comme une milice d’auto-défense d’obédience antirwandophone, n’a cessé de déstabiliser une grande partie du Masisi depuis août 2012. 


Les différentes factions de cette milice contrôlent encore 95 % du Nord-Kivu. Quant à l’Alliance pour la libération de l’Est du Congo (Alec), une milice créée en juillet 2012 par un groupe de rwandophones, elle a pour objectif l’indépendance du Kivu[4]

À ces milices, il faut ajouter les Forces démocratiques alliées (FDA)[5] qui opèrent autour du massif de Ruwenzori, les Forces démocratiques alliées/Armée nationale pour la libération de l’Ouganda (ADF/NALU)[6], les Force œcuménique pour la libération du Congo (FOLC)[7], les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR)[8] basées dans le Nord-Kivu et dans le Sud-Kivu, la Force populaire pour la libération du Congo (FPLC)[9], le Front des patriotes pour le changement (FPC)[10], les Maï-Maï Asani , Mayele ainsi que Kifuafua, le Nyataru[11], les Forces nationales de libération (FNL)[12]... 

La présence de ces différentes milices locaux, des groupes armés locaux et étrangers constituent une menace permanente pour la stabilité de la région des Grands lacs africains.

La République Démocratique du Congo ayant « déjà fort à faire avec la réhabilitation du Nord et du Sud-Kivu, victimes d’une guerre d’agression finissante », selon le porte-parole du gouvernement et ministre des Médias Lambert Mende Omalanga, est-elle obligée d’intervenir, même dans le cadre d’un contingent africain ou onusien, tant que l’insécurité règne encore dans une partie importante de son territoire ? 


Est-il logique que Kinshasa, qui a fait récemment appel aux forces onusiennes pour intervenir dans la région du Kivu dont les FARDC ont du mal à pacifier, puisse participer de manière efficace et crédible à la sécurisation d’un pays tiers ? 

Autrement dit, on va rendre ailleurs une prestation dont on est incapable de réussir à domicile.

Un pays sans budget

L’Assemblée nationale a clôturé le 15 décembre dernier sa session de septembre sans avoir voté la loi de finances 2014, le gouvernement ayant déposé son projet en retard. 


Le projet de loi portant ouverture des crédits provisoires pour l’exercice 2014 n’ayant pas non plus été voté par les parlementaires, on ne peut que s’inquiéter quant à l’exécution des dépenses du 1er au 31 janvier 2014. 

De plus, dans le contexte de crise sécuritaire auquel est confrontée la République Démocratique du Congo, il faudrait consacrer au moins 988,125 millions d’euros au ministère de la Défense afin de mieux assurer la sécurité et la protection civile[13].

D’aucuns n’ignorent que, conformément à l’article 126 de la Constitution du 18 juin 2003, les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l’État. Or, le projet de budget n’ayant pas été voté dans les quinze jours qui ont précédé la fin de la session budgétaire, le gouvernement devrait être démissionnaire. 


Qui a alors pris la décision d’envoyer des éléments de l’armée nationale congolaise à Bangui ? Pour quelle raison ?

Mauvaise interprétation de la Constitution

Pour Kinshasa, la participation des FARDC constitue un « apport important et utile » à la « stabilisation » de la situation sécuritaire en Afrique centrale. 


Aux dires de Lambert Mende Omalange, cela est justifié par « la proximité du théâtre des opérations, les quelque 1 500 kilomètres de frontière commune à protéger, la solidarité et le respect des engagements internationaux ». 

Il s’agit effectivement, tel que défini dans l’article 85 de la Constitution du 18 juin 2003, des circonstances graves qui risquent de menacer, d’une manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national. Cela peut nécessiter une intervention des FARDC, dans n’importe quelle configuration, afin d’étouffer la menace dans la racine. 

L’intervention des forces armées nationales congolaises confirmant de facto l’état de guerre, le Président de la République Démocratique du Congo devra en principe proclamer l’état d’urgence ou l’état de siège, après concertation avec le Premier ministre et les Présidents des deux Chambres, conformément aux articles 144 et 145 de Constitution du 18 juin 2006. 

De plus, selon le deuxième alinéa de l’article 187 de ladite Constitution, la défense de l’intégrité du territoire national et des frontières se fait « dans les conditions fixées par la loi » d’autant plus que les forces armées « sont au service de la Nation toute entière » et que « nul ne peut, sous peine de haute trahison, les détourner à ses fins propres ».

Silence total de la classe politique

C’est donc dans un contexte budgétaire défaillant et sécuritaire incertain, sur fond de mauvaise interprétation de la Constitution, que le Chef suprême des armées a pris la décision d’engager les Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) dans un pays limitrophe qui, pis encore, a valu au sénateur Jean-Pierre Bemba l’extradition, à la demande du Tribunal pénal international (TPI), à La Haye. 


Dans pareilles circonstances, au regard du non-respect des dispositifs constitutionnels, le silence de la classe politique congolaise est incompréhensible. 

Faut-il croire que des membres de la majorité présidentielle, et ceux de la frange de l’opposition encline au partage du pouvoir, n’osent pas réagir au risque d’être exclus de la composition du probable gouvernement d’union nationale ? 

Drôle de conception de la gestion de la chose publique et de la pratique politique !
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Gaspard-Hubert Lonsi Koko



 



Notes
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- Un projet politique pour relever la RDC ;
- Une conférence internationale pour régler la crise du Kivu ;
- RD Congo, les véritables intentions des parrains du M23.

[1] Mission internationale de stabilisation de la Centrafrique.

[2] Si elle est déployée dans le but de sécuriser la frontière nord et d’empêcher de facto l’entrée dans le territoire congolais des éléments armés en provenance de Bangui ou d’ailleurs.

[3] Sous la direction du lieutenant-colonel Éric Badege.

[4] Il est dirigé par Tommy Tambwe, un ancien vice-gouverneur de la province du Sud-Kivu.

[5] Kampala les accuse de collaborer avec les Shebab, en recrutant des jeunes pour aller combattre en Somalie.

[6] Groupe armé qui est majoritairement constitué de combattants ougandais.

[7] Groupe armé qui est soutenu par l’ancien ministre congolais de l’Intérieur, Mbusa Nyamwisi.

[8] Groupe armé rwandais qui est accusé par le Rwanda de bénéficier du soutien de Kinshasa..

[9] Groupe armé qui est créé par des dissidents du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), après la signature de l’accord du 23 mars 2009, ayant transformé la rébellion du CNDP en parti politique.

[10] Milice locale Maï-Maï qui fait partie de groupes armés qui ont refusé l’intégration dans les FARDC en 2009.

[11] Groupe armé qui est essentiellement constitué de Hutus, issus de l’ancienne milice locale Maï-Maï, et des Patriotes résistants congolais (Pareco).

[12] Groupe armé burundais.

[13]In Ma vision pour le Congo-Kinshasa et la région des Grands Lacs, Gaspard-Hubert Lonsi Koko, L’Harmattan, Paris, novembre 2013.

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