mercredi 25 décembre 2013

Pourquoi le Soudan du Sud bascule dans la violence

24 décembre 2013 

 

Un homme de l'ethnie Dinka près de Rumbek, dans le centre du pays, le 14 décembre. (Photo Goran Tomasevic. Reuters)

DÉCRYPTAGE


L'Etat créé en 2011 est entré depuis une semaine dans un cycle incontrôlé d'affrontements.

 


Le Soudan du Sud n’est pas encore en guerre civile, mais il s’en approche dangereusement. Créé en juillet 2011 après deux décennies (1983-2005) de guerre entre le Nord, musulman et arabophone (l’actuel Soudan), et le Sud, animiste et chrétien, le plus jeune Etat au monde a plongé mi-décembre dans la violence. 

Depuis la séparation, les tensions persistent avec Khartoum pour le contrôle des importantes ressources en pétrole et le tracé de la frontière. Mais cette fois, c’est à l’intérieur même du Soudan du Sud, pays enclavé de onze millions d’habitants miné par des rivalités politiques et des conflits ethniques, que la situation s’envenime et menace de devenir incontrôlable. 

Au point que les Nations unies devraient envoyer 6 000 hommes en renfort de la mission de l’ONU déjà sur place.

Le déclencheur : un coup d’Etat manqué

Le conflit couve depuis des semaines mais a réellement éclaté le 15 décembre, quand le président en exercice depuis la création du pays, Salva Kiir, a accusé son ancien vice-président Riek Machar de tentative de coup d’Etat. 


Riek Machar, qui dénonce la «dérive dictatoriale» de Salva Kiir et ambitionne de se présenter à la présidentielle de 2015, dément la tentative de putsch et crie au complot pour se débarrasser de lui. 

Mais depuis, ses hommes ont pris deux capitales régionales stratégiques : Bor, dans l’Etat chroniquement instable du Jonglei, et Bentiu, dans celui d’Unité, riche en pétrole. Ce coup d’Etat déjoué, réel ou non, a déclenché un cycle de vengeance entre les deux factions, toutes deux issues du mouvement pour l’indépendance.


A gauche, le président Salva Kiir et son inamovible chapeau de cow-boy. A droite son rival Riek Machar, vice-président limogé en juillet. (Photos Reuters.)

En une semaine, les combats ont fait plusieurs centaines de morts et touchent maintenant la moitié du pays. Les civils tentent par milliers de se réfugier dans les complexes de l’ONU complètement débordés, notamment dans la capitale Juba, au Sud. 


Des témoignages font état de massacres et de viols à grande échelle. Une équipe de l'ONU a découvert ce mardi un charnier à Bentiu, capitale de l’Etat pétrolier d’Unité.

Des centaines de milliers d’autres personnes ont très probablement fui dans la brousse. Juba est ces jours-ci relativement calme mais quadrillée par des hommes en uniforme ou en civil munis d’armes à feu, couteaux ou machettes.
Le sous-texte : un conflit ethnique

La rivalité politique recoupe grosso modo la principale fracture ethnique du pays - qui en compte de multiples. Les combats opposent l’ethnie dinka de Salva Kiir, groupe majoritaire largement représenté dans l’appareil d’Etat, à l’ethnie nuer, celle de Riek Machar. 


La rivalité entre ces deux groupes a déjà donné lieu à des épisodes sanglants au temps de la lutte pour l’indépendance, où les conflits ethniques ont été attisés et exploités politiquement.

Selon des témoignages recueillis ces derniers jours par l’AFP, des nombreuses exactions sont commises sur des civils nuer par des soldats dinka des forces gouvernementales. Mais les rebelles du camp de Riek Machar sont eux aussi accusés de répandre les violences. 


Des Nuer auraient notamment attaqué une base de l’ONU où s’étaient réfugiées des familles dinka à Akobo, dans l’Etat de Jonglei. Au moins deux casques bleus indiens ont été tués, on ignore ce qu’il est advenu des familles. 

Le Haut-commissariat de l’ONU en charge des droits de l’homme dénonce des «exécutions de masse, en dehors de tout jugement, le ciblage d’individus sur la base de leur appartenance ethnique et les détentions arbitraires».
L’enjeu pétrolier

Pays pauvre, le Soudan du Sud est riche en pétrole, qui représente 95% de l’économie nationale. Le pays extrait le pétrole mais son raffinage et son acheminement est opéré par le Soudan, où passent les oléoducs vers la mer Rouge. 


Le partage des revenus entre les deux pays est, en théorie, réglé par un accord commercial. Mais des conflits persistent. En avril 2012, le Soudan du Sud avait pris de force la zone pétrolière de Heglig, située du côté nord de la frontière, avant de reculer face à Khartoum. 

Le Soudan du Sud accuse le nord de surtaxer les passage par les pipelines et de manquer de transparence sur les chiffres de production qui servent de base à la répartition des revenus.

Le secteur pétrolier a déjà été touché par les récents combats, ce qui devrait faire réagir le Soudan voisin, qui tire d’importants revenus des taxes qu’il impose pour l’acheminement du pétrole à travers son territoire. 


Des compagnies pétrolières comme la China national petroleum corp, premier opérateur pétrolier du pays, ont commencé à évacuer leur personnel.


Les casques bleus en renfort

Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a recommandé lundi dans une lettre au Conseil de sécurité d’envoyer 5 500 soldats et 423 policiers supplémentaires au Soudan du Sud pour renforcer la Mission de l’ONU sur place, la Minuss, qui compte déjà près de 7 000 soldats. 


Les Etats-Unis ont proposé une résolution en ce sens, qui sera soumise au vote des 15 membres du Conseil ce mardi en fin de journée. Le texte a toutes les chances d’être approuvé.


Des soldats de la mission de l’ONU à Juba, lundi (Photo James Akena. Reuters)
Les Etats-Unis au créneau

Washington fait pression sur le régime de Juba et sur la rébellion, menaçant de suspendre son appui diplomatique et économique en cas de coup de force militaire d’un des camps sur l’autre. 


Le secrétaire d’Etat John Kerry a téléphoné ce week-end au président Salva Kiir pour lui dire que les violences sapaient ce qui avait été imaginé lors de l’indépendance du 9 juillet 2011. 

L’administration Obama a aussi dépêché à Juba son émissaire pour le Soudan et le Soudan du Sud, Donald Booth, et a envoyé 45 militaires pour assurer la sécurité des Américains restant sur place, après l’évacuation de 300 ressortissants. 

Si les Etats-Unis s’impliquent de la sorte, c’est que Washington a été l’un des artisans de l’accord de paix de janvier 2005 qui offrait six ans d’autonomie au Sud, puis du référendum sur l’indépendance de janvier 2011. 

Ils se défendent d’agir par intérêts stratégiques ou économiques et mettent en avant l’urgence humanitaire. 

Cordélia BONAL
 

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