dimanche 22 décembre 2013

Réseaux de l’ombre et configurations régionales Le cas du commerce du coltan en République démocratique du Congo

Selon Ian Taylor, le conflit en Afrique centrale a donné naissance à une nouvelle régionalisation, informelle, reliant des individus et des groupes bien placés en Afrique à des intérêts extérieurs. 

Cela a créé des réseaux impliquant des États, des mafias, des armées privées, des hommes d’affaires et des élites étatiques tant africaines qu’étrangères au continent. 



Cette régionalisation s’accomplit à côté des projets officiels de construction régionale, comme la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), et risque d’avoir des conséquences profondes. 

Face à l’érosion progressive des moyens et du pouvoir des États, les élites gouvernantes d’Afrique centrale tendent à concentrer leurs efforts sur l’expansion de leurs réseaux clientélistes intérieurs et étrangers plutôt que de s’atteler à bâtir un projet régional plus institutionnel supposant des principes, des préoccupations et des objectifs communs à un niveau interétatique. 

Selon Taylor, une telle spirale négative de mise en réseau régional informelle et d’érosion de l’État est stimulée par les acteurs économiques internationaux[1][1] I. Taylor, « Conflict in Central Africa : clandestine networks...
suite.

2 Bien que les transactions auxquelles se livrent ces réseaux aient fréquemment lieu en dehors des institutions étatiques, Carolyn Nordstrom a démontré de façon convaincante qu’il était souvent impossible d’établir des distinctions claires entre les activités légales, quasi légales, de marché noir et illégales. 


Tandis que les marchandises peuvent suivre des canaux de production et de distribution tant officiels que non officiels, les membres des réseaux eux-mêmes peuvent être tout à la fois des agents officiels de l’État, des acteurs non étatiques, des entrepreneurs reconnus par l’État ou impliqués dans le marché noir[2][2] C. Nordstrom, « Shadows and sovereign », Theory, Culture...

suite. En conséquence, il est plus juste de parler de circuits « de l’ombre » que d’utiliser le terme « criminel » ou « illégal ». D’autant que la nature exacte des activités de ces réseaux reste généralement invisible et ignorée du public[3][3] Voir aussi C. Nordstrom, Shadow Sovereigns, Université...
suite.

3 On illustrera ici ce processus de régionalisation informelle en Afrique centrale par l’examen des réseaux impliqués dans le commerce du coltan au cours de la récente guerre en RDC. 


On montrera que le soutien du Rwanda au mouvement rebelle Rassemblement congolais pour la démocratie (RCDGoma) est allé de pair avec une coopération croissante entre des hommes d’affaires, des hommes politiques et des militaires de haut rang des deux côtés de la frontière congolaise.

4 En écho à la forme de gouvernement néopatrimoniale et clientéliste du régime de Kinshasa, les rebelles du RCD-Goma ont cherché à développer de vastes réseaux transnationaux de clients avec lesquels ils échangent services et ressources contre un soutien militaire et financier. 


On verra comment tant l’établissement du monopole de la Société minière des Grands Lacs (SOMIGL) que la création de la Congo Holding Development Company ont été des tentatives bien coordonnées de la direction rebelle et du Rwanda pour tirer le plus grand bénéfice financier possible de l’intérêt international pour les réserves minérales des provinces du Kivu. 

Suivra une brève description de la carrière d’Abdul Karangwa, homme d’affaires et commerçant de coltan rwandais dont la capacité d’adaptation s’est révélée un atout vital dans une guerre où les alliances n’ont cessé de changer. 

Par les contacts qu’il a noués avec des membres de l’élite politique et économique à Kinshasa, Kampala et Kigali, Karangwa apparaît en effet emblématique d’une nouvelle classe d’entrepreneurs de la région des Grands Lacs.

Le boom du coltan et l’établissement du monopole de la SOMIGL

5 Le négoce du coltan, un minerai[4][4] Entretien avec une source rwandaise, 3 avril 2003. ...
suite rare utilisé pour la fabrication de condensateurs et d’autres applications de haute technologie, s’est considérablement développé à la fin de l’année 2000 avec l’expansion du marché des téléphones mobiles, des ordinateurs personnels et des consoles de jeu vidéo. 


Pour répondre à la hausse de la demande sur le marché technologique, la communauté commerciale internationale s’est engagée dans une recherche fiévreuse de nouvelles réserves de coltan. En RDC, cela a donné lieu à une véritable course aux régions minières. 

Sur le territoire contrôlé par les rebelles du RCD-Goma, des milliers d’agriculteurs congolais ont quitté leur terre et commencé à extraire du coltan pour le vendre aux comptoirs commerciaux de Goma et Bukavu qui, à leur tour, l’ont proposé aux négociants internationaux de coltan basés à Kigali. 

Il n’a pas fallu longtemps aux rebelles du RCD-Goma pour transformer la soudaine demande internationale en poudre de tantalum en une forme régulière de financement de leurs structures administratives. 

Le 25 novembre 2000, le RCD-Goma imposait un monopole strict sur l’achat et la vente du coltan, confiant le contrôle du nouveau système à la SOMIGL, dirigée par Azziza Kulsum, aussi appelée madame Gulamali[5][5] S. Jackson, « Making a killing : criminality and coping...
suite.

6 Selon Nestor Kiyimbi, l’ancien chef du Département aux questions foncières et minières du RCD-Goma, les raisons d’accorder à la SOMIGL le monopole de toutes les exportations de coltan ont été triples : en premier lieu, le comptoir commercial Shenimed – détenu par madame Gulamali – était considéré comme le seul à avoir vraiment réussi, sur une très longue période, à atteindre le niveau minimum de 5 tonnes d’exportations imposables de coltan par mois ; en deuxième lieu, les autorités rebelles étaient mécontentes des pratiques de sous-évaluation frauduleuses de beaucoup des autres comptoirs congolais ; enfin, les administrateurs rebelles s’alarmaient des hauts niveaux de contrebande de minerai[6][6] Pole Institute, Le Coltan et les populations du Nord-Kivu,...


suite. Il est très probable que la création de la SOMIGL ait bénéficié de la complicité du plus résolu soutien du RCD-Goma, le régime rwandais. D’après une rumeur persistante, Patrick Karegeya, conseiller personnel à la sécurité du président rwandais Paul Kagame et chef du service de sécurité extérieure du Rwanda, aurait joué en coulisse un rôle important lors des étapes préparatoires de la mise en œuvre du monopole d’exportation du coltan[7][7] Rapport confidentiel d’une source congolaise à Goma,...


suite. De plus, lors de son témoignage devant la Commission d’enquête sur les Grands Lacs du Sénat belge, Deus Kagiraneza, un ancien haut fonctionnaire des services de renseignements, a suggéré que madame Gulamali aurait étroitement collaboré avec le régime rwandais[8][8] Témoignage de Deus Kagiraneza devant la Commission d’enquête...
suite.


7 Selon le comité d’experts de l’Onu sur la RDC, un bureau Congo fut créé au sein du Département des relations extérieures de l’Armée patriotique rwandaise (APR) pour superviser l’exploitation minière au Congo et faciliter les contacts avec les clients internationaux. 


Deux compagnies jouèrent un rôle clé dans l’organisation des activités commerciales du régime de Kigali : Rwanda Metals (RM) et Grands Lacs Metals (GLM). 

L’ancien directeur de Rwanda Metals est Francis Karimba, et des sources citent les majors Gatete, Dan et Kazura parmi les actionnaires de Grands Lacs Metals[9][9] Onu, Report of the Panel of Experts on the Illegal Exploitation…,...

suite, ce qui laisse peu de doute sur l’étroitesse des liens existant entre l’armée rwandaise et ces deux compagnies de commerce de coltan. Le premier comité d’experts de l’Onu sur la RDC mentionne que certaines des lettres envoyées à des clients potentiels en Europe et aux États-Unis ont été signées par Dan Munyuza, à l’époque chef du Bureau Congo[10][10] Ibid. , paragr. 129. ...


suite. L’un des partenaires d’affaires privilégiés de Rwanda Metals et de Grands Lacs Metals pendant le boom du coltan fut la compagnie suisse Finmining, une société offshore enregistrée dans le paradis fiscal de Saint-Kitts qui faisait traiter son coltan par l’usine Ulba Metallurgical au Kazakhstan[11][11] International Peace Information Service (IPIS), Supporting...
suite.

8 Bien que le monopole de la SOMIGL ait rapporté aux rebelles du RCDGoma 1 124 970 dollars d’impôts en décembre 2000, Gulamali s’est finalement révélée incapable de répondre aux attentes des autorités rebelles. 


À partir de la fin 2000, les prix du coltan sur les marchés mondiaux commencèrent à chuter, atteignant en octobre 2001 un étiage – moins d’un tiers de leur prix le plus haut. Simultanément, les exportations de coltan de la SOMIGL s’effondrèrent, passant selon le RCD de 97,6 tonnes en janvier 2001 à 27 tonnes en février, et à seulement 19 tonnes en mars selon Africa Mining Intelligence. 

Outre cette évolution des conditions du marché, l’échec du monopole de la SOMIGL s’explique aussi par le fait que nombre de commerçants de coltan établis dans les provinces du Kivu ont rechigné à accepter la nouvelle structure associée au monopole. 

Selon l’Institut Pole installé à Goma, ils étaient de plus en plus mécontents et découragés par la faiblesse des profits qu’ils pouvaient réaliser sous le monopole : les prix d’achat du coltan allant de 30 à 60 dollars le kilo selon le contenu en minerai, ils pouvaient acheter aux creuseurs à 30 dollars et revendre à la SOMIGL à 33 dollars seulement, ce qui ne leur laissait qu’une marge de 3 dollars par kilo[12][12] Pole Institute, Le Coltan et les populations du Nord-Kivu,...
suite.

La création de la Congo Holding Development Company

9 Après la période de la SOMIGL, un événement crucial fut la création de la Congo Holding Development Company (CHDC), une entité commerciale possédant des sièges à la fois à Goma et au Rwanda. 


Selon la partie confidentielle du dernier rapport de l’Onu sur la RDC, la CHDC est une compagnie diversifiée, engagée dans l’exploitation et la commercialisation d’or, de coltan, de cassitérite et de diamant, la distribution d’eau en bouteilles importée du Rwanda, la confection de plaques d’immatriculation pour les véhicules, la distribution de ciment, et bénéficiant en outre du contrôle et de l’utilisation exclusifs d’un terrain d’aviation à Manugu (près de Kamituga au Sud-Kivu)[13][13] Partie confidentielle du rapport de l’Onu sur l’exploitation...
suite.

10 Gertrude Kitembo, cofondatrice du premier RCD, est un personnage clé de la CHDC. Ayant commencé sa carrière comme chef du Département de l’agriculture et du développement rural du mouvement rebelle[14][14] Integrated Regional Information Networks (IRIN), DRC : Population...


suite, elle obtint sa première promotion importante en avril 2000, quand elle fut nommée gouverneur de la province du Maniema. Il semble que sa nomination se soit inscrite dans un effort conjoint de la direction du RCD-Goma et des soutiens rwandais du mouvement pour éviter de nouvelles dissidences dans l’est de la RDC[15][15] Avec Kitembo, Kasongo Olango fut nommé vice-gouverneur...


suite. On pourrait voir un indice de l’étroitesse des liens de Kitembo avec le premier cercle du mouvement rebelle dans le fait que, peu après sa nomination comme nouveau gouverneur du Maniema, la direction du RCD-Goma annonça que les gouverneurs provinciaux tiendraient désormais aussi lieu de présidents régionaux[16][16] Inter-Church Coalition on Africa, « Division and resistance...


suite. D’autres signes indiquent que les ambitions politiques de Gertrude Kitembo sont loin de s’arrêter là. Quand Étienne Tshisekedi, président de longue date du parti d’opposition congolais UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social) et plusieurs fois Premier ministre sous Mobutu, conclut une alliance avec le RCD-Goma, Kitembo la rejoignit aussitôt au poste de « secrétaire nationale pour les questions féminines »[17][17] Voir « Le RCD entre dans une alliance avec l’UPDS pour...


suite. Elle détient actuellement le portefeuille des services postaux et télécommunications dans le nouveau gouvernement de transition congolais mis sur pied conformément à l’accord de paix de décembre 2002[18][18] Étant donné les rumeurs sur l’implication persistante...
suite.


11 Il ne fait pas de doute que la Congo Holding Development Company, comme la SOMIGL, a été créée dans le but de générer des revenus pour la rébellion du RCD-Goma. Selon le comité d’experts de l’Onu sur la RDC, les minerais fournis par la CHDC servirent souvent à payer le leasing d’armes. 


On a rapporté que les Forces de défense rwandaises avaient établi un système par lequel les armes et les munitions récupérées sur le terrain militaire en RDC étaient immédiatement envoyées au Rwanda. 

L’Armée nationale congolaise, aile militaire du RCD-Goma, avait ensuite la liberté de troquer les ressources minérales, l’or par exemple, pour utiliser ces armes et couvrir les frais de transport[19][19] Partie confidentielle du rapport final de l’Onu. Voir...
suite.

12 Après la création de la Congo Holding Development Company, les stratégies des réseaux de commerce de minerai dans la région des Grands Lacs changèrent considérablement. Alors que, pendant le boom du coltan, plusieurs sociétés internationales aspiraient à collaborer avec la SOMIGL ou d’autres comptoirs commerciaux contrôlés par le régime rwandais, elles furent réticentes à entrer dans des partenariats du même type avec la CHDC. 


Le cas de la compagnie sud-africaine Trackstar 151 Ltd en est un bon exemple. On lui avait promis, en juillet 2001, l’accès à un grand nombre des concessions de Sominki. Celles-ci, qui détiennent d’importants dépôts d’or, de cassitérite et de tantalum, sont situées dans une zone antérieurement contrôlée par la rébellion du RCDGoma. 

Les représentants de Trackstar affirment n’avoir envisagé la possibilité de participer à une « nouvelle ruée » vers les concessions en RDC qu’après que le processus de paix a semblé sur la bonne voie ; ils expliquent en outre que leurs interlocuteurs congolais ne leur ont pas dit toute la vérité sur les titres d’exploitation minière, et allèguent que Trackstar est sortie de cette affaire quand il devint évident que les concessions de Sominki appartenaient légalement à une autre compagnie minière internationale. 

En conséquence, deux accords provisoires avec la CHDC sont restés lettre morte[20][20] IPIS, « Trackstar tricked by the RCD : a new episode in...
suite


D’autres compagnies tentèrent elles aussi d’éviter la toile d’intrigues entourant le commerce de minerai dans l’est de la RDC après l’arrivée de la CHDC. La Metal Processing Association (MPA), une compagnie dirigée presque exclusivement par des Sud-Africains, monta une usine de traitement de minerai, une fonderie et une raffinerie d’étain à Gisenyi[21][21] American Metal Market, « Hochschild to sell metal from...

suite, ville frontalière rwandaise adjacente à Goma, siège des rebelles en RDC. Dans un entretien au journal sud-africain Bleed, l’un des directeurs de la MPAexpliqua que Gisenyi avait été choisie parce que « les Rwandais sont honnêtes et le gouvernement est stable[22][22] L. Louw, « War not the problem », Media 24/ Beeld, 13...
suite ».

13 Ironiquement, ce fut précisément Abdul Karangwa, ancien partenaire d’affaires rwandais de la MPA, qui créa de sérieuses difficultés à la compagnie : après l’avoir quittée en novembre 2002, il porta plainte auprès des autorités sud-africaines et rwandaises, accusant son ancien employeur de se soustraire à l’impôt et de ne pas établir de permis de travail légaux. 


À leur tour, les directeurs sud-africains de la MPA engagèrent des actions contre Karangwa pour diffamation et vol[23][23] Ibid. ; communication personnelle avec MPA, 15 janvier 2004. ...
suite


La carrière d’Abdul Karangwa illustre parfaitement la façon dont de puissants hommes d’affaires dans la région des Grands Lacs ont tenté de répondre aux constants changements d’alliances au cours de la guerre récente en RDC. 

Étonnamment, Karangwa est parvenu à se tenir à l’écart des rivalités entre les régimes de Kinshasa, Kampala et Kigali et à établir des contacts avec des acteurs clés dans trois zones d’influence différentes. On peut penser qu’il ne constitue pas un cas isolé.

Changements d’alliances et dynamique de la régionalisation informelle : le cas d’Abdul Karangwa

14 L’ascension d’Abdul Karangwa commença en 1997, quand le régime Mobutu fut renversé par une armée rebelle dirigée par Laurent Kabila. Peu après, Karangwa se vit offrir un poste crucial dans la Comiex, une entreprise mixte publique-privée servant au gouvernement congolais de principale plateforme pour ses entreprises commerciales et que l’on disait liée à la présidence et à des ministres importants[24][24] Onu, Addendum to the Report of the Panel of Experts on the...


suite. Des documents révèlent que Karangwa était personnellement impliqué dans des négociations avec des compagnies minières étrangères pour l’exploitation du cuivre et du cobalt dans la province de Katanga, fief du régime Kabila[25][25] Karangwa fut personnellement impliqué dans les négociations...


suite. Outre un rôle de médiateur dans ces négociations minières, Karangwa aurait également présenté le fameux marchand d’armes Sanjivan Ruprah, citoyen kenyan d’origine indienne, à James Kabarebe, chef d’état-major de l’armée rwandaise, qui était en charge de l’armée congolaise pendant la première année de la présidence Kabila[26][26] Entretien avec une source proche de la Comiex, 29 janvier...


suite. Bien que cette information ne soit pas encore avérée, il existe des preuves que Sanjivan Ruprah entretenait des liens étroits avec des associés de la Comiex. Selon le chercheur belge Erik Kennes, le bureau de la Comiex aurait été domicilié dans une maison appartenant à Ruprah[27][27] E. Kennes, « Le secteur minier au Congo : déconnexion...
suite.

15 Abdul Karangwa retourna en Afrique du Sud quand Kabila ordonna à toutes les troupes rwandaises de quitter le territoire congolais en juillet 1998. 


C’est là qu’il fut présenté à Daniel Tiomkin, un entrepreneur d’origine ukrainienne basé en Afrique du Sud qui préparait l’ouverture d’une affaire de commerce d’or en Ouganda[28][28] Communication personnelle avec MPA, 15 janvier 2004. ...

suite. Ce projet se révélant problématique, Abdul Karangwa suggéra début 1999 de se rendre dans la région riche en or de l’Ituri, dans le nord-est de la RDC, alors sous contrôle de la rébellion du RCD-ML soutenue par l’Ouganda. 


Des indices montrent que, en dépit de ses liens passés avec le régime Kabila, Karangwa a joué un rôle moteur dans l’établissement de contacts avec un haut dirigeant du groupe rebelle[29][29] Communication personnelle avec Anatoly Piskunov, 6 février...

suite, peut-être afin d’éviter des problèmes lors de la mission exploratoire en Ituri. Il est remarquable que Karangwa ait aussi été en contact avec Anatoly Piskunov et Valentina Piskunova à l’époque des négociations préliminaires au voyage en Ituri. 


Selon le Panel de l’Onu sur la RDC, il existe des preuves solides que ce couple russe a été mêlé à des activités commerciales en Ituri, au côté du frère du président ougandais – affirmation démentie par la Commission ougandaise d’enquête Porter[30][30] La preuve la plus évidente est une lettre accordant à...

suite. J’ai pu vérifier que, bien que la mission en Ituri ait finalement eut lieu, le projet de faire enregistrer un négoce à Bunia (capitale de la région de l’Ituri) n’a pas abouti[31][31] Communication personnelle aves Anatoly Piskunov, 6 février...
suite.

16 Après que Daniel Tiomkin s’en fut séparé, Karangwa retourna dans son pays natal, le Rwanda, où il entra dans un partenariat de commerce de tantalum avec la Metal Processing Association de novembre 2000 à mars 2001. 


Après quoi, il continua à travailler pour la compagnie comme consultant jusqu’en novembre 2002. Il est important de noter que, pendant sa période de collaboration avec la MPA, Karangwa a eu des contacts réguliers avec des personnes haut placées au Rwanda, dont Alfred Kalisa, président de la Banque de commerce, de développement et d’industrie[32][32] Memorandum d’Abdul Karangwa, « M. Christophers and M. ...

suite, et Alfred Rwigema, beau-frère du président rwandais Paul Kagame[33][33] Communication personnelle avec Alfred Rwigema, janvier 2004. ...
suite.

17 L’exemple du commerce du coltan dans l’est de la RDC a été pris ici comme illustration des processus de formation de réseau régional qui lient des personnes bien placées à des intérêts extérieurs. 


L’analyse de l’établissement du monopole de la SOMIGL et de la création de la Congo Holding Development Company a mis en évidence un haut degré de collusion entre d’importants dirigeants de la rébellion du RCD-Goma et des acteurs clés proches du régime rwandais. 

Les compagnies internationales qui collaborent avec ces réseaux transnationaux militarisés portent une lourde responsabilité dans la mesure où elles aident et soutiennent des acteurs engagés dans des conflits armés. 

On doit cependant également souligner que les réseaux impliqués dans l’exploitation illicite des ressources naturelles dans l’est de la RDC ne sont pas des entités statiques, ni leurs membres de simples acteurs passifs, dépendants du soutien extérieur pour la poursuite de leurs activités. 

L’exemple d’Abdul Karangwa montre que certains hommes d’affaires locaux sont parvenus à établir des contacts dans toute la région des Grands Lacs en dépit de l’existence de zones d’influence clairement démarquées pendant la récente guerre de RDC. 

Il est probable que cette nouvelle classe d’entrepreneurs cherchera à consolider sa position économique en rentabilisant les réseaux régionaux formés pendant le conflit.

18 On peut craindre que la poursuite des activités de groupes armés dans la RDC soit utilisée par des strongmen (d’ambitieux potentats locaux) pour orchestrer une accaparation violente des réseaux d’exploitation de minerais. 


Le comité de l’Onu sur la RDC a averti la communauté internationale que des groupes armés mettaient en œuvre des stratégies visant à construire et à étendre leur contrôle politique et économique dans le nord-est et l’est de la RDC en dépit de la formation, en juillet 2003, du Gouvernement d’unité nationale[34][34] Onu, Final Report of the Panel…, S/ 2003/ 1027, op. cit. ,...

suite. Pourtant, des signes inquiétants de la persistance de liens entre les pays voisins du Congo, des compagnies internationales et des groupes rebelles congolais n’ont pas été rendus publics par le Conseil de sécurité de l’Onu, soucieux de ne pas miner le processus de paix en cours à Kinshasa. 


Il est trop tôt pour dire si cette décision a été judicieuse. Une coalition d’ONG internationales a critiqué le Conseil de sécurité pour n’avoir rien fait en présence d’informations concernant les liens entre les activités de certaines compagnies internationales et des milices responsables de massacres et d’autres atrocités[35][35] Communiqué de presse de Human Rights Watch, OECD Watch,...

suite. Certains observateurs ont l’impression que le « sale boulot » consistant à demander des comptes aux compagnies et aux individus pour leurs actes en RDC a été confié à l’Organisation pour la coopération et le développement économique uniquement pour soulager l’Onu de son obligation morale de mettre en place un mécanisme de suivi (monitoring mechanism) chargé d’enquêter sur les connexions entre les flux d’armes et les flux de ressources dans la région des Grands Lacs. 


Une résolution plus limitée, autorisant la création d’un mécanisme de vérification du respect par les États-membres de l’embargo sur les armes dans l’est de la RDC[36][36] La résolution 1493, adoptée en juillet 2003, a institué...

suite, devrait être votée dans les mois qui viennent.

La filière belge


La compagnie belge Cogecom était un partenaire clé du monopole SOMIGL. Selon des indices solides, les affaires entre la SOMIGL et la Cogecom auraient rapporté au RCD un revenu de 600 000 dollars US pour le seul mois de décembre 2000.


Le directeur de la Cogecom, Jacques Van Den Abeele, a été arrêté en novembre 2000 sous la présomption de blanchiment d’argent et de fabrication et usage de fausse monnaie. 


On soupçonnait que des dizaines de millions de dollars tirés du commerce du coltan avaient été blanchis via les comptes bancaires de la Cogecom. Selon des articles parus peu après l’arrestation de Van Den Abeele dans la presse belge, les revenus du commerce du coltan auraient servi à alimenter l’effort de guerre dans l’est de la RDC. Les investigations se poursuivent actuellement.
_______________
Jeroen Cuvelier

-------------
Sources : International Peace Information Service, « Supporting the war economy in the DRC : European companies and the coltan trade », janvier 2002 ; « Belgische trafikant in coltan aangehouden », De Standaard, 5 novembre 2002 ; « Justice : BBL abrite les comptes du trafic », Le Soir, 6 novembre 2002.

Notes

[1] I. Taylor, « Conflict in Central Africa : clandestine networks & regional/global configurations », Review of African Political Economy, n° 95, 2003, pp. 45-55.

[2] C. Nordstrom, « Shadows and sovereign », Theory, Culture & Society, 17 (4), 2000, p. 42.

[3] Voir aussi C. Nordstrom, Shadow Sovereigns, Université Notre-Dame, In, The Joan B. Kroc Institute for International Peace Studies, occasional paper, 17 (2), 1999, p. 2, http://www.nd.edu /~krocinst /ocpapers /op_ 17_2.pdf.

[4] Entretien avec une source rwandaise, 3 avril 2003.

[5] S. Jackson, « Making a killing : criminality and coping in the Kivu war economy », Review of African Political Economy, n° 93-94, 2002, p. 526. Dans le premier rapport de l’Onu sur l’exploitation illégale des ressources naturelles de la RDC, publié en avril 2001, Gulamali était décrite comme l’une des principales trafiquantes dans l’est de la RDC. Selon ce rapport, elle avait été impliquée dans l’armement et le financement des rebelles hutu du FDD (Front pour la défense de la démocratie) au Burundi avant de s’associer au régime de Kigali et au mouvement rebelle du RCD-Goma. Selon le comité d’experts de l’Onu, Gulamali a été mêlée à des affaires d’or, de coltan et de cassitérite dans les territoires que les Rwandais avaient contrôlés. Voir Onu, Report of the Panel of Experts on the Illegal Exploitation of Natural Resources of the Democratic Republic of Congo, S/2001/357, avril 2001, paragr. 92.

[6] Pole Institute, Le Coltan et les populations du Nord-Kivu, Goma, Pole Institute, février 2001, pp. 15-16, http://www.pole-institute.org /site_ web /dossier010.pdf.

[7] Rapport confidentiel d’une source congolaise à Goma, obtenu lors d’une mission en RDC (juin 2003).

[8] Témoignage de Deus Kagiraneza devant la Commission d’enquête du Sénat belge, 1er mars 2002.

[9] Onu, Report of the Panel of Experts on the Illegal Exploitation…, S/2001/357, op. cit., paragr. 84.

[10] Ibid., paragr. 129.

[11] International Peace Information Service (IPIS), Supporting the War Economy in the DRC : European Companies and the Coltan Trade, janvier 2002, http://www.niza.nl /docs /200208081409055869.pdf .

[12] Pole Institute, Le Coltan et les populations du Nord-Kivu, op. cit., p. 17.

[13] Partie confidentielle du rapport de l’Onu sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et d’autres formes de richesse de la RDC, dont l’auteur dispose d’un exemplaire. Voir Onu, Final Report of the Panel of Experts on the Illegal Exploitation of Natural Resources and Other Forms of Wealth of the Democratic Republic of Congo, S/2003/1027, paragr. 30.

[14] Integrated Regional Information Networks (IRIN), DRC : Population Left Alone to Cope with the Effects of the War, 2 juillet 1999, http://www.sas.upenn.edu /African_ Studies /Hornet /irin7299.html.

[15] Avec Kitembo, Kasongo Olango fut nommé vice-gouverneur chargé de l’économie et des finances, Albert Shindano étant chargé de l’administration.

[16] Inter-Church Coalition on Africa, « Division and resistance in the East », Info-Congo/Kinshasa, n° 160, avril 2000, http://www.web.net /~iccaf /humanrights /congoinfo /marnewsapril00.htm .

[17] Voir « Le RCD entre dans une alliance avec l’UPDS pour le triomphe du dialogue intercongolais », Le Softonline.net, 25 avril 2002, http://www.lesoftonline.net /Info023.html .

[18] Étant donné les rumeurs sur l’implication persistante de membres du régime rwandais dans le pillage des ressources congolaises, il est remarquable que Wa Nkera Rukarangira, le mari de Gertrude Kitembo, soit membre de deux organismes consultatifs informant le président Paul Kagame en matière de santé publique et de sécurité sociale. Rukarangira affirme cependant qu’il n’a rien à voir avec les activités politiques de sa femme. Selon lui, l’unique raison pour laquelle il a été invité à devenir l’un des conseillers du président est qu’il avait auparavant acquis une solide réputation comme chercheur pour l’Organisation mondiale de la santé. Porteur d’un double passeport, congolais et rwandais, Rukangira dit passer la majeure partie de son temps à Kigali, où il dirige la Clean House Limited, une compagnie spécialisée dans le développement d’insecticides et de médicaments antipaludiques (entretien par téléphone de Wa Nkera Rukarangira, 4 novembre 2002).

[19] Partie confidentielle du rapport final de l’Onu. Voir Onu, Final Report of the Panel…, op. cit., S/2003/1027, paragr. 30.

[20] IPIS, « Trackstar tricked by the RCD : a new episode in the scramble for the Sominki concession », Anvers, IPSI, 3 novembre 2003, http://www.ipisresearch.be /ipis.txt /txt007 . IPIS a pu se procurer des copies de deux accords de partenariat signés par Trackstar : le 9 juillet 2001, la compagnie sud-africaine signait un memorandum d’association avec la Congo Holding Development Company pour la création des compagnies congolaises Sodemco et Arc Trading. Selon les termes de l’accord, Sodemco et Arc Trading étaient créées dans le but d’extraire, d’acheter et de vendre divers minerais congolais dont le coltan, la cassitérite, les diamants, le cobalt et le wolfram.

[21] American Metal Market, « Hochschild to sell metal from Rwanda venture », Lôôksmart, 8 août 2002, http://www.findarticles.com /cf_ dls /m3MKT /2002_August_8 /90227646 /p1 /article.jhtml .

[22] L. Louw, « War not the problem », Media 24/Beeld, 13 octobre 2003, http://www.news24.com /News24/Africa/Features/0,,2-11-37_1428777,00.htm.

[23] Ibid. ; communication personnelle avec MPA, 15 janvier 2004.

[24] Onu, Addendum to the Report of the Panel of Experts on the Illegal Exploitation of Natural Resources and Other Forms of Wealth of the DRC, S/2001/1072, novembre 2001, paragr. 39.

[25] Karangwa fut personnellement impliqué dans les négociations entre la Comiex et la société sud-africaine Rappa Holdings, en septembre 1997, sur la possibilité de former un partenariat pour l’exploitation du cobalt de la mine Luishia, située à 75 km au nord-ouest de Lubumbashi, capitale de la province du Katanga. Cet accord ne s’est jamais matérialisé, bien que les Sud-Africains fussent prêts à offrir à la Comiex un paiement de 10 % du prix auquel ils vendraient les produits du cobalt ainsi qu’à fournir beaucoup de matériel d’extraction (lettre de Rappa Holdings à la Comiex, 30 septembre 1997).

[26] Entretien avec une source proche de la Comiex, 29 janvier 2004.

[27] E. Kennes, « Le secteur minier au Congo : déconnexion et descente aux enfers », in F. Reyntjens et S. Marysse (dir.), L’Afrique des Grands Lacs. Annuaire 1999-2000, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 316.

[28] Communication personnelle avec MPA, 15 janvier 2004.

[29] Communication personnelle avec Anatoly Piskunov, 6 février 2004.

[30] La preuve la plus évidente est une lettre accordant à La Conmet, la compagnie de Piskunov et Piskunova, une « exemption totale » de taxes pour « toutes activités liées à l’exploitation pour le territoire de Beni-Lubero » dans la RDC. Cette lettre aurait été signée à Kampala par Mbusa Nyamwisi du mouvement rebelle RCD-ML le 5 janvier 2000. Elle identifiait Salim Saleh comme le propriétaire de La Conmet et désignait ses représentants comme le « Groupe russe La Conmet ». Voir Onu, Final Report of the Panel of Experts on the Illegal exploitation of natural resources and other forms of wealth of the Democratic Republic of Congo, S/2002/1146, octobre 2002, paragr. 111. Cependant, la commission Porter en Ouganda maintint dans son rapport final ne pas pouvoir confirmer l’implication de Saleh dans La Conmet. Voir Porter Commission, Final Report of the Judicial Commission of Inquiry into Allegations into Illegal Exploitation of Natural Resources and Other Forms of Wealth in the Democratic Republic of Congo, novembre 2002, p. 203, http://www.niza.nl /docs /200305271650358053.pdf .

[31] Communication personnelle aves Anatoly Piskunov, 6 février 2004 ; communication personnelle avec Daniel Tiomkin, 20 janvier 2004.

[32] Memorandum d’Abdul Karangwa, « M. Christophers and M. Stride case in Rwanda », Kigali, 8 août 2003, multigr. ; communication personnelle avec MPA, 15 janvier 2004.

[33] Communication personnelle avec Alfred Rwigema, janvier 2004.

[34] Onu, Final Report of the Panel…, S/2003/1027, op. cit., paragr. 47.

[35] Communiqué de presse de Human Rights Watch, OECD Watch, Oxfam International, Friends of the Earth, Fatal Transactions, 27 octobre 2003.

[36] La résolution 1493, adoptée en juillet 2003, a institué un embargo sur les armes de douze mois à l’encontre des groupes armés congolais et étrangers de l’est de la RDC.
Résumé

Le conflit en République démocratique du Congo a donné naissance à une nouvelle régionalisation, informelle, qui se construit à côté de projets plus officiels comme la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC). 


Les élites, à travers l’imbrication mouvante de réseaux locaux, nationaux, régionaux et internationaux, tendent à concentrer leurs efforts sur l’expansion de ces réseaux clientélistes plutôt que de s’attacher à construire un projet régional formel au niveau interétatique.


Shadow networks and regional configurations : the case of coltan in the Democratic Republic of the Congo
The conflict in the Democratic Republic of the Congo gave rise to a new and informal process of regionalization that has emerged alongside more official projects, such as the Southern African Development Community (SADC). Through the intersections between local, national, regional, and international networks, the elite concentrates its efforts on the expansion of clientelist networks rather than attempting to construct formal regional projects at the inter-state level.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire