samedi 18 janvier 2014

Burkina Faso : "Blaise Compaoré doit partir"

18/01/2014 

 

Des manifestants burkinabè lors de la marche du 18 janvier. © AFP

Des milliers de Burkinabè ont défilé samedi dans les rues de Ouagadougou pour protester "contre la création du Sénat, contre la modification de l’article 37 et contre la mauvaise gouvernance". 


Les participants de la marche du 18 janvier entendaient bien faire passer leur message : non à un nouveau mandat de Blaise Compaoré en 2015. Reportage.

Le jour s’est levé depuis trois heures sur la place de la Nation, épicentre de Ouagadougou, mais le soleil, caché par les nuages, ne s’est toujours pas montré. 


"Il pleut ! Il pleut !" s’égosille l’animateur à la tribune devant une foule encore clairsemée. Plusieurs mois que les Burkinabé n’avaient pas vu tomber une goutte. 

Dans les rangs de l’opposition, on veut y voir un signe du destin. 

"La pluie, c’est bon présage chez nous", glisse un des organisateurs de la marche du 18 janvier "contre la création du Sénat, contre la modification de l’article 37 (qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels et, de fait, interdit à Blaise Compaoré de se représenter en 2015, NDLR) et contre la mauvaise gouvernance" - marche organisée par plusieurs partis d’opposition et des organisations de la société civile.

"Ils doivent quand même avoir peur là-bas", poursuit l’animateur. Là-bas, c’est le palais de Kosyam dans son esprit. Là d’où règne Blaise Compaoré sur le pays depuis des années. Là où, veut croire Germain, un enseignant arrivé parmi les premiers sur la place, "on a dû prier toute la nuit pour qu’il pleuve".

Cela n’a visiblement pas brisé l’élan qui était né en juin dernier, lorsque l’opposition avait rassemblé des dizaines de milliers de manifestants pour contester la création d’un Sénat jugé "budgétivore et inutile". 


Depuis, Compaoré a fait comprendre à ses concitoyens qu’il entendait bien modifier la Constitution pour se représenter – c’était en décembre -, et certains des barons de son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), lui ont fait faux bon – début janvier. Ils sont là ce matin, place de la Nation. 

Roch Marc Christian Kaboré est arrivé main dans la main de Zéphirin Diabré, le chef de file de l’opposition qui fut lui-même un cadre du parti au pouvoir dans les années 1990.  

Victor Tiendrébéogo, un ministre du Mogho Naaba, le roi des Mossi, est là lui aussi, tout comme Simon Compaoré, l’ancien maire de la capitale. Seul manque Salif Diallo, un autre des "barons" démissionnaires.  

Sous la tente qui les protège de la pluie, ils côtoient les leaders de l’opposition : Bénéwendé Sankara, Hama Arba Diallo, Ablassé Ouédraogo, Saran Sérémé, Boukary Kaboré dit "Le lion"… Combien sont-ils ce matin autour d’eux ? Certainement pas 200 000, chiffre avancé par quelques journalistes. 


Mais plusieurs dizaines de milliers, oui. 60 000 ? 70 000 ? 120 000 ? Qu’importe. Au fil de la marche et des slogans ("Libérez Kosyam", "Démission"), le message envoyé à Kosyam est clair : si Compaoré persiste dans sa volonté de briguer un nouveau mandat, il trouvera face à lui des Burkinabé résolus.

Il y a là des jeunes (peu d’enfants), des vieux, des femmes. Des chemises africaines ou occidentales, des faso dan fani (la tenue imposée sous la révolution de Thomas Sankara), des maillots de l’équipe nationale de football… Il y a des balais à brosse, des balais végétaux ou des balais de paille, en référence au Balai citoyen, l’une des organisations de la société civile qui a appelé à manifester et qui veut envoyer Compaoré "à la retraite en 2015". 


Il y a aussi des pancartes explicites : "1987. Je suis né, il était déjà au pouvoir" ou encore "Les cimetières sont pleins de personnes qui se croyaient indispensables…"

"Notre combat ne fait que commencer"

Après la marche, qui s’est déroulée sans heurts dans le centre de Ouagadougou, voilà le temps des discours. Le rappeur Smockey, un des animateurs du Balai citoyen, cite les paroles que Compaoré avait tenues en 1987 après l’assassinat de Sankara : "Je n’ai jamais rêvé du pouvoir. Je ne m’y accrocherai pas". 


"Vingt-six ans après, il est toujours là", peste Smockey, avant d’inviter le président à "rentrer quand même dans l’histoire" en transmettant le pouvoir à son successeur "dès 2015".

"Nous n’avons qu’un seul Mogho Naaba. Tout autre prétendant veut voler l’histoire", clame ensuite Arba Diallo. Qui poursuit, provocateur : "Nous sommes tous des CDP, ce qui veut dire : Compaoré doit partir". Hilarité générale.

C’est Diabré qui finira (Roch Kaboré, lui, n’aura pas droit au micro, mais tout de même à quelques acclamations). "Avec cette mobilisation historique, le monde sait maintenant qu’au Burkina Faso, le peuple est debout pour dire non au pouvoir à vie, attaque le chef de file de l’opposition. Rien ne sera plus comme avant". 


Et de réclamer la "dissolution" de la Fedap-BC, une association de soutien au président qui a pris les rênes du CDP au fil des ans. 

Et d’appeler les cadres du CDP à rejoindre les opposants : "Nous n’avons pas de revanche à prendre". Et de lancer un nouvel avertissement au président : "Notre combat ne fait que commencer".
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Rémi Carayol, envoyé spécial
Jeune Afrique

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