mercredi 8 janvier 2014

Non à l’immigration clandestine…de nos déchets en Afrique

mercredi 8 janvier 2014

La nouvelle année est souvent l'occasion de faire le tri des vêtements dans nos armoires. Après avoir rempli des sacs de nos habits dont nous sommes lassés et de ceux de nos enfants qui ont grandi trop vite, nous nous empressons de les jeter dans ces avaloirs métalliques estampillés "Le Relais" ou "Secours catholique" sans se préoccuper de leur devenir. 


Quelques semaines après, par la magie d'une dérégulation de l'économie globale et de la containérisation des échanges, on pourrait les retrouver en vente, sur un marché de Dakar, à vil prix, défiant toute concurrence face à une production locale.


Noël, c'est aussi les cadeaux électroniques avec la nécessaire mise au rebut de téléphones, téléviseurs et autres matériels à l'obsolescence programmée qui, après un obscur périple, se retrouvent en Afrique, dans des décharges incontrôlées, polluant terre et eau, au mépris de la vie humaine. 


En échange de nos déchets,et de nos vêtements usagés l'Afrique se vide de toutes ses ressources en or, coltan, diamants, uranium, terres rares, pétrole et de ce qu'elle a de plus précieux : ses hommes et ses femmes, victimes des guerres pour le contrôle de ces richesses, de la pollution et de la dérégulation des marchés. 

Après l'esclavage, jusqu'à quand la conscience universelle tolèrera-t-elle ces échanges inégaux entre les peuples, pour satisfaire les intérêts à court terme de quelques uns au mépris d'autres êtres humains ?

L'AFRIQUE A FRIPES OU COMMENT L'AFRIQUE FILE UN MAUVAIS COTON

Après avoir quitté nos armoires pour rejoindre les points de collecte d'une organisation caritative, nos vêtements sont triés. Sur les 160 000 tonnes récoltés seulement 10 %, que l'on appelle " la crème", les vêtements les plus beaux et de meilleure qualité sont donnés ou vendus dans des vestiaires associatifs (1). 


La majeure partie, 40 %, est revendue à des fripiers pour une seconde vie en Afrique ou dans les pays de l'Est. Le reste, trop abîmé, est recyclé. "À l’échelle des pays de l’OCDE, les exportations ont atteint 1,9 milliards de dollars en 2009 et la valeur du commerce international de vêtements de seconde main s’élevait en 2010 à 2,97 milliards de dollars. 

Ces chiffres ne reflètent néanmoins pas l’ensemble du commerce du vêtement de seconde main car une part importante du commerce se fait sur le marché noir afin de contourner les restrictions promulguées par certains états. La fripe est un commerce juteux" (2).

Cette histoire ne date pas d'hier, elle débute avec la colonisation au 19 ème siècle. Mais c'est dans les années 80 avec la libéralisation des marchés du Sud et la chute du pouvoir d'achat local que ce commerce explose. 


Au Sénégal c'est 4000 tonnes d'importation qui sont autorisées alors. Aujourd'hui c'est le double qui inonde les marchés de Dakar. 

Autrefois réservées aux plus pauvres, les fripes habillent désor­mais la majorité des Sénégalais, à l'exception des femmes encore très attachées aux pagnes aux couleurs chatoyantes. 

Les plus gros consom­mateurs sont les jeunes, très influencés par les médias occidentaux, à la recherche de vêtements griffés. Cette concurrence déloyale du marché du vêtement de seconde main met à mort le secteur local des tailleurs et de l'habillement. 

« L'industrie sénégalaise est en perte de vitesse. Évincé, petit à petit, par le commerce de la friperie, ce secteur souffre de son manque de compétitivité causé, en particulier, par des machines vétustes, une formation profession­nelle inexistante et un manque de matières premières de qualité », selon l'analyse sectorielle de la mission économique de !'ambassade de France au Sénégal, de juin 2004. (1) . 

Peu à peu des savoir-faire et des qualifications locales disparaissent au profit de la revente de ces vêtements usagés.

Maintes fois dénoncée, la nocivité de l'ouverture des marchés et la mondialisation des échanges qui ne profite qu'à quelques actionnaires de puissantes multinationales (3) se répète à nouveau. 


Dans une première vie sur les marchés occidentaux, les distributeurs et les marques se partagent plus de 85 % de la valeur en marge brut sur le prix payé par le consommateurs. 

Ces vêtements, confectionnés dans des ateliers sordides au Bengladesh ou au Cambodge, dont le prix du travail ne représente que 2 à 3 % du prix payé, une fois déclassés de nos armoires sont à nouveau source de profit pour quelques intermédiaires et importateurs aux dépends des artisans et paysans locaux.

Revêtus des marques qui règnent sur les marchés mondiaux, les jeunes africains, sans travail ni compétence, ont déjà l'esprit ailleurs ; il ne leur reste plus qu'à endetter leur famille pour payer des passeurs qui au péril de leur vie leur ouvriront peut-être les portes de l'Europe, pour offrir leur force et leur intelligence à d'autres exploiteurs.

Comme si cela ne suffisait pas, depuis deux siècles on perpétue l'exploitation des ressources minières du sous sol du continent africain, ressources énergétiques indispensables pour la fabrication, le transport des objets et des hommes et les échanges internationaux, ou matières premières nécessaires à la fabrication de ces objets électriques et électroniques qui encombrent notre quotidien et façonnent nos vies . 


Cette dilapidation de ces précieuses ressources au profit du capitalisme global n'est possible que par le maintien de régimes fantoches et corrompus qui suscitent les appétits et exacerbent les conflits imposant à leur peuple violences et misère. 

Une fois déclassés et sans valeur marchande beaucoup de ces objets électroniques retrouvent à nouveau le chemin du retour pour souiller définitivement le sol africain.

LES DECHETS ELECTRONIQUES INTOXIQUENT l'AFRIQUE



Avec le développement du marché des objets électroniques, leur consommation de masse et leur durée de vie qui ne cesse de s'écourter pour le seul profit de quelques uns, de plus en plus de rebuts électroniques encombrent nos tiroirs avant de terminer dans des décharges pour beaucoup incontrôlées. 


Une étude de l'ONU , prédit que les déchets électroniques mondiaux vont croître d'un tiers d'ici à 2017 pour représenter chaque année une montagne de 65,4 millions de tonnes de détritus – soit près de 200 fois la masse de l'Empire State Building. 

Le Ghana est l'un des pays les plus touchés. (4)

Nos objets fétiches , après un voyage souvent clandestin dans les mains de passeurs avides, deviennent, pour les populations africaines des objets toxiques. Les fils électriques sont brûlés, les polluants se déverser au sol. Le plomb, l'arsenic, le cadmium empoisonnent les cours d'eau. 


En brulant les gaines plastiques, les enfants chargés de la récupération du cuivre sont très exposés aux fumées toxiques. La responsabilité des pays consommateurs est totale. 

En Europe, la directive DEEE (déchets d'équipements électriques et électroniques) impose le recyclage des vieux équipements et il est strictement interdit d'exporter des déchets électroniques. 

Mais il est en revanche autorisé d'exporter des équipements de seconde main, qui fonctionnent. Dans cette autorisation se trouve la faille, l'obsolescence se confondant avec la fin de vie. Une proportion importante des déchets électriques et électroniques (DEEE) se retrouve hors d'Europe notamment dans les pays de l'ouest de l'Afrique. 

Selon une étude, réalisée par le Secrétariat de la Convention de Bâle, environ 250.000 tonnes de DEEE sont importées illégalement dans ces pays chaque année. 

L'Europe serait ainsi responsable de 75% des flux qui arrivent au Nigéria alimentés par des filières appartenant souvent au crime organisé. (5)

Le continent africain par ses richesses a toujours été l'objet de convoitises. Ses peuples ont servi comme esclaves sur les terres du nouveau monde, pendant la colonisation sa terre nous a donné ses produits exotiques, puis son sous-sol continue à fournir l'économie mondiale en minerais de toutes sortes. 


Avec la perpétuation de ce pillage organisé, il faut aussi dénoncer ces importations de déchets, de rebut, d'objets et de vêtements de seconde main qui maintiennent les populations africaines dans une situation de dépendance et les empoisonnent et souillent définitivement leur terre.

Pour que cessent ces trafics , dans un premier temps il est urgent d'interdire toute exportation d'objets déjà utilisés et d'imposer leur destruction dans les pays consommateurs. Ensuite il faudrait changer de paradigme et libérer définitivement le consommateur de l'obligation de posséder un objet technique pour pouvoir jouir d'un service ( 6 ). 


Ainsi l'entretien et la destruction des objets qui concourent à la réalisation de système, comme par exemple le téléphone ou l'ordinateur, partie prenante d'un système de communication, devrait être de la seule responsabilité du concepteur ou de l'administrateur du service, encourageant ainsi le développement d'objets plus solides, évolutifs et recyclables.

Une croissance de l'économie basée uniquement sur la production en masse d'objets "low-cost", que l'on est sommé de posséder individuellement, conduit à la dilapidation des ressources disponibles, l'appauvrissement et le déplacement contraint de populations vers les zones de consommation de masse et contribue aussi à souiller définitivement la planète pour le seul profit de quelques prédateurs. 


Par notre mode de vie nous collaborons bon gré mal gré à ce désastre, il faut en être conscient.

LA SCIENCE DU PARTAGE



(1) FRIPES - Article de Philippe Portet

(2) La filière des fripes en Afrique -OXFAM

(3) Voir l'article "Mondialisation : un étrange commerce triangulaire"

(4) Le Monde du 27/12/2013

(5) Voir l'article suivant

(6) Voir l'article " jouir d'un bien sans le posséder"

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