dimanche 18 janvier 2015

Lumumba : symbole de la résistance des peuples opprimés pour leurs terres

le jeudi 15 janvier 2015 
 

« Une idée devient une force lorsqu’elle s’empare des masses. » K. Marx

Lumumba, même mort fait peur et à plusieurs de ses compatriotes et à la descendance de ses bourreaux. Ils peuvent, tous, quand cela leur plaît, l’honorer des lèvres tout en essayant de tout faire pour que leurs cœurs et leurs esprits échappent aux idées pour lesquelles il a été assassiné le 17 janvier 1961. 

Les politicards congolais, même dans le camp dit lumumbiste, ne parlent presque pas de néocolonialisme et d’impérialisme. 

Ils parlent d’élections, de démocratie et des droits de l’homme en tablant sur ‘’l’aide’’ des ‘’nations libres’’ pour y accéder. 

Qu’est-ce qui, dans la pensée de Lumumba, faisait peur ? 

Il liait le droit à la liberté et à la dignité au territoire. On dirait que pour lui, il n’y avait d’accès à liberté et à la dignité sans territoire propre.

Les politicards citadins habillés en costume-cravate ont déserté les villages congolais. Ils y retournent de temps en temps pour y distribuer du sel et du savon quelques mois avant ‘’les élections pièges à con’’. 

Leur référence à Lumumba est beaucoup plus rhétorique que politique. Ils ont vite oublié que Lumumba posait la question de la terre congolaise et africaine. 

Qu’il disait ceci : « Le Créateur nous a donné cette portion de la terre qu’est le continent africain ; elle nous appartient et nous en sommes les seuls maîtres. C’est notre droit de faire de ce continent un continent de justice, du droit et de la paix. »[1]

Son recours au ‘’tiers’’ (le Créateur) donateur de ‘’la portion de la terre’’ suppose qu’il existe d’autres portions données aux ‘’autres’’. Ces autres sont supposés être les maîtres de leurs portions comme les Africains en sont de la leur. 

Il y a, dans cette évocation du ‘’tiers’’, une présupposition de ‘’l’égalité’’ entre les bénéficiaires des portions des terres. 

Pour dire les choses autrement, il y a lieu de soutenir que dans cette approche, le Créateur a voulu les humains égaux et maîtres des portions des terres qu’il leur a confiées. 

Lumumba l’insinue négativement en soutenant qu’ « un peuple qui en opprime un autre n’est pas un peuple civilisé et chrétien. »[2]

Explicitons. 

La reconnaissance du principe ‘’égalité’’ est au fondement même de la foi chrétienne. Pour l’un des missionnaires de cette foi, Paul de Tarse, en Jésus, il n’y a plus ni grec, ni juif, ni païen, ni esclave, ni homme libre. Il n’y a plus que de frères et sœurs. 

Citons Paul. « Car tous, dans le Christ Jésus, vous êtes fils (et filles) de Dieu par la foi. En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus. » (Epitre aux Galates 3, 26-28). 

Citons encore Paul : « Plus de mensonge entre vous ; vous vous êtes débarrassés de l’homme ancien qui était en vous et de ses façons d’agir, et vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau qui, pour se conformer à l’image de son Créateur, se renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance. 

Ainsi, il n’y a plus le païen et le Juif, le circoncis et l’incirconcis, il n’y a plus le barbare ou le primitif, l’esclave et l’homme libre ; mais il y a le Christ : il est tout, et en tous. » (Epitre aux Colossiens 3,11). 

Connaître, dans le sens biblique, signifie partager l’intimité de l’être connu. Avoir la pleine connaissance pour se conformer à l’image de son Créateur pourrait signifier devenir comme lui ; c’est-à-dire un Père qui ne fait pas de différence entre les humains. (Epitre aux Romains 2, 11)

Il est donc clair que dans un contexte chrétien où par la foi, les hommes et les femmes convertis à l’amour universel ont revêtus le Créateur et renoncé au mensonge, l’égalité et la non-discrimination deviennent des principes mobilisateurs. 

 (Même si le fait de classifier les humains en païens et juifs, esclaves et hommes libres peut présenter un danger certain sur la voie de la conversion. Que celle-ci, au lieu de conformer à Dieu ou au Christ, se limite à vouloir reproduire l’image des humains qui estiment être mieux que les autres.)

En effet, pour coloniser les autres peuples et les opprimer, un certain Occident (qui se voulait) chrétien a soutenu que le paganisme égale la barbarie ; et le christianisme égale la civilisation[3]. 

Il a donc instrumentalisé le christianisme en sapant ses principes fondateurs pour aller à la conquête d’autres peuples et d’autres terres. Il a donc trahi le christianisme et son fondateur. 

Il est tombé dans la barbarie qu’il fustigeait et a de la peine à s’en débarrasser[4], à trouver une voie plus humaniste de convivialisme, capable de promouvoir l’interdépendance entre les peuples[5].

L’instrumentalisation du christianisme par un certain Occident et sa lutte contre l’égalité et la souveraineté des peuples ont facilité le colonialisme et l’impérialisme ; c’est-à-dire l’institutionnalisation de la guerre contre ces peuples pour qu’ils se convertissent à la culture occidentale et qu’ils soient dépossédés de leurs terres afin qu’elles bénéficient à l’expansion du ‘’Grand Domaine US’’[6] et occidental. 

Les voyages missionnaires ont souvent coïncidé avec ceux des marchands de sel, de fusils et des terres. 

A l’école, au pays de Patrice Emery Lumumba, les enfants ont appris, à l’école primaire, qu’en 1482, Diego Cao a découvert l’embouchure du fleuve Congo.

Cette histoire de ‘’la découverte’’ d’autres peuples est souvent confondue avec celle de leur ‘’existence réelle’’. Elle s’est officialisée et a ainsi participé du ‘’vol de leur histoire’’ avant cette fameuse ‘’découverte’’. 

Au Congo-Kinshasa, les acteurs de cette histoire officielle feront comme si avant Diego Cao, Stanley, Livingtone, etc., ce pays n’existait pas avec sa légendaire diversité culturelle et sa civilisation propre. 

Les traités faussés signés avec les chefs des terres (illettrés ?) permettront aux acteurs de cette histoire officielle et à leurs Kapitas médaillés de déposséder ce pays (de ses terres) et d’en faire ‘’une vallée de l’ombre et de la mort’’.

Face à cette dépossession, Lumumba, comme bien d’autres Pères fondateurs de l’indépendance africaine, pensaient que « l’Occident doit faire (…) son examen de conscience et reconnaître à chaque territoire colonisé son droit à la liberté et à la dignité. » 

Il liait le droit à la liberté et à la dignité au territoire. On dirait que pour lui, il n’y avait d’accès à liberté et à la dignité sans territoire propre.

Ce discours était bien compris par cet Occident colonisateur et impérialiste. Il n’avait aucune envie de laisser aux Congolais(es) un vaste territoire avec neuf voisins. 

Il n’acceptait surtout pas que l’émancipation politique de ce territoire (dans le droit, la liberté et la dignité) lui permette de faire de ses filles et fils ses véritables maîtres ayant des alliances stratégiques avec d’autres peuples. 

Il tenait à en faire sa chasse gardée, son réservoir de matières premières supervisé par ses ‘’nègres de service’’. 

Il tenait à faire du Congo et de toute l’Afrique ‘’sa possession’’ balkanisable en ‘’de petits Etats faibles’’ fondée sur des ‘’rapports de sujétion et de subordination’’ et porté par ‘’un régime d’exploitation et d’asservissement’’.

Plusieurs voyages missionnaires et marchands permettant ‘’la découverte’’ de l’Afrique et du Congo ont en quelque sorte permis à leurs ‘’découvreurs’’ de s’élever au rang de ‘’leurs créateurs’’. 

Ce faisant, ils vont supprimer la référence au ‘’tiers’’ (Créateur) auquel Lumumba recourait pour fonder les principes d’égalité et de non-discrimination dans l’accès aux ‘’portions des terres’’ du monde. 

‘’Ces découvreurs’’ hissés par leur cupidité, leur violence et leur grande capacité de corruption au rang de ‘’créateurs’’ se partageront l’Afrique et le Congo en 1885 à Berlin avant que ‘’la nation exceptionnelle’’ ne vienne se joindre à eux peu avant les indépendances nominales africaines.

Depuis lors, les différentes luttes et la résistance africaine n’ont pas encore évincé, dans plusieurs pays, les entreprises transnationales mortifères. 

Elles ne tolèrent que des ‘’rapports d’exploitation et d’asservissement’’ que facilitent la Banque mondiale, le Fonds monétaire internationale, l’Organisation Mondiale du Commerce, etc. 

Elles paient gracieusement des assassins financiers pour entretenir la dette odieuse africaine, prendre des terres, faire main basse sur des matières premières stratégiques, créer des Etats ratés et compromettre ainsi l’avenir de plusieurs générations sur le Continent-mère.

Lumumba ne semblait pas avoir bien maîtrisé la nature de la matrice organisationnelle capitaliste sur laquelle opéraient et opèrent encore ces entreprises mortifères et leurs ‘’petites mains colonialistes et impérialistes’’. 

Il croyait ‘’naïvement’’ à leur possible conversion. Il a osé solliciter l’aide de Washington pour juguler les sécessions kasaïenne et katangaise avant de se tourner vers l’Union Soviétique.

Frantz Fanon le lui a reproché. Pour lui, Lumumba a oublié que l’ennemi colonialiste et impérialiste qu’il combattait par des idées simples et claires ‘’ne recule jamais sincèrement, ne comprend pas, capitule mais ne se convertit pas’’.

Il a fini par payer le prix de sa résistance. 

Un prix fort. « Il est arrêté le 1er décembre, transféré au Katanga le 17 janvier et fusillé avec deux de ses camarades le jour même. Mais Lumumba est déjà devenu un symbole de résistance au Congo et son cadavre peut devenir un objet de pèlerinage populaire. » 

Oui. Même mort, Lumumba fait peur à ses bourreaux. Il sera découpé en morceaux et dissout dans l’acide sulfurique. Cet acte ignoble atteste que le colonialisme et l’impérialisme mortifères décivilisent et abrutissent le colon et l’impérialiste. 

Fort de son expérience de lutte de la résistance, Che Guevara soutenait « qu’il est dans la nature de l’impérialisme de transformer les hommes en bêtes, d’en faire des bêtes féroces assoiffés de sang qui sont disposés à égorger, assassiner, détruire jusqu’à la dernière image d’un révolutionnaire, d’un partisan d’un régime qui s’est retrouvé sous leur botte et qui lutte pour la liberté. »[7]

Plus de cinquante ans après, les disputes sur les traitres de Lumumba et sur le lieu de son assassinat nous semblent encore loin d’intégrer le mode opératoire de ses bourreaux colonialistes et impérialistes. 

Comment ont-ils procédé ? 

Ils ont utilisé ses proches pour torpiller son action révolutionnaire, l’arrêter et le tuer. Ils l’ont assassiné en se servant de ses adversaires politiques en en faisant ses ennemis mortels, dans une province dont il n’était pas originaire. 

Après cet assassinat, ils ont menti en disant qu’il s’était évadé. Longtemps après, ils ont reconnu leur forfait.

Ce mode opératoire a été aussi utilisé dans l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila le 16 février 2001. Ses proches ont facilité son la tâche. Et les commanditaires de cet assassinat, bien que ‘’connus’’, restent encore tapis dans l’ombre. C’est leur ‘’nègre de service’’ qui est déjà dénoncé.

Le recours à ce mode opératoire a créé la peur. La grande cause pour laquelle Lumumba a été tuée est abandonnée. Les populations congolaises sont tuées depuis ‘’la guerre de l’AFDL’’ et chassées de leurs terres. 

Les mêmes (néo)colonialistes et impérialistes recourant au Consensus de Washington sont en train de transformer le Congo-Kinshasa en un vaste marché autorégulé et en un ‘’protectorat’’.

Les politicards congolais, même dans le camp dit lumumbiste, ne parlent presque pas de néocolonialisme et d’impérialisme. Ils parlent d’élections, de démocratie et des droits de l’homme en tablant sur ‘’l’aide’’ des ‘’nations libres’’ pour y accéder.

Les masses paysannes dépossédées de leurs terres, quand elles ne sont pas fanatisées par l’un ou l’autre ‘’gourou’’, sont abandonnées à leur triste sort. L’exode rural a aussi conduit à l’abandon des portions entières de terres congolaises entre les mains des entreprises transnationales mortifères.

Les actuels ‘’Kapitas médaillés’’ de ‘’ce nouveau désordre mondial’’ sont en train de découper le pays de Lumumba en de petits morceaux qu’ils pourront opposer les uns au autres pour que triomphe la politique néocolonialiste et impériale du ‘’diviser pour régner’’. 

D’ailleurs, les politicards ayant abandonné la question de la liberté, du droit et de l’égalité liée au territoire souverain sont, présentement, divisés en deux camps issus de la guerre de prédation et de basse intensité orchestré par les néocolonialistes et les impérialistes. 

Ils affirment qu’ils se disputent pour l’alternance au pouvoir. C’est-à-dire pour le changement des ‘’Kapitas médaillés’’ au service du même système néocolonial et impérialiste. 

Ils peuvent se livrer, avec l’appui de ‘’leurs parrains’’, à la guerre de tous contre tous, tout en sachant qu’ils finiront, au moment opportun, par constituer ‘’un gouvernement de large union nationale’’ sans aucune emprise réelle sur l’économie du pays.

Lumumba, même mort fait peur et à plusieurs de ses compatriotes (politicards) et à la descendance de ses bourreaux. Ils peuvent, tous, quand cela est possible, l’honorer des lèvres tout en essayant de tout faire pour que leurs cœurs et leurs esprits échappent aux idées pour lesquelles il a été assassiné.

Dieu merci ! Le front de la résistance congolaise et africaine a compris. Pour lui, Lumumba, même mort, est encore vivant.
____________________
Mbelu Babanya Kabudi
 
[1] « Africains, levons-nous ! » Discours de Patrice Lumumba, prononcé à Ibadan (Nigeria), 23 mars 1959, Paris, Points, 2010, p.11.

[2] Ibidem.

[3] Lire et relire Le discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire sur ce lien http://www.legrandsoir.info/discours-sur-le-colonialisme-extrait.html

[4]Lire T.TODOROV, La peur des barbares. Au-delà du choc des civilisations, Paris, Robert Laffont, 2008 et E. MORIN, Culture et barbarie européennes, Paris, Bayard, 2005.

[5]Lire Manifeste convivialiste. Déclaration d’interdépendance, Paris, Le Bord de l’eau, 2013.

[6]D. MITTERRAND, Le livre de ma mémoire, Paris, Jean-Claude Gawsewitch, 2007, p. 407-430.

[7]CHE GUEVARA cité par S. BOUAMAMA, Figures de la révolution africaine, Paris, La Découverte, 2014, p.181.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire