mardi 3 février 2015

RDC : Comment l’opposition a réussi les manifestations qui ont fait reculer le pouvoir

02/02/2015



Aussi bien en Rd Congo que dans les capitales des pays amis, on n’a pas fini d’épiloguer sur la semaine particulièrement chaude du 19 au 25 janvier 2015. 

Donné pour amorphe par les uns, féru de la bière et de la musique par les autres, le peuple congolais a démontré le contraire par une mobilisation historique qui a, finalement, fait reculer un pouvoir qui était déterminé à passer en force en faisant adopter une loi dont la finalité aurait été de faire glisser le mandat du président actuel loin au-delà de son terme normal de décembre 2016. 

Mais comment s’est préparé cet événement historique, qui a redonné aux Congolais leur fierté des grands moments ? 

Depuis l’introduction du projet de loi controversé au bureau de l’Assemblée jusqu’à son lamentable retrait, des hommes, des femmes, des organisations politiques et sociales se sont activés, ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour que les principes qui fondent la démocratie congolaise ne soient pas foulés aux pieds.

Tout a commencé avec l’ouverture de la session ordinaire de septembre 2014 à l’Assemblée nationale. Le 17 septembre, la conférence des présidents se réunit pour adopter l’avant-projet du calendrier de la session. 

En effet, le gouvernement a déposé des projets de loi portant modification de la loi électorale. Entre autres, ces projets tendent à instaurer l’élection des députés provinciaux au suffrage indirect, entraînant du coup la nécessité d’une révision constitutionnelle. 

Sur les bancs de l’opposition, c’est le choc, et les quatre présidents des groupes parlementaires font bloc : Samy Badibanga (UDPS et Alliés), Alexis Lenga (MLC et Alliés), Jean-Marie Bamporiki (UNC et Alliés) protestent, et font valoir que le député Delly Sesanga ayant déposé une proposition de loi portant modification de la loi électorale depuis le mois de mai 2012, le bureau ne pouvait pas inscrire au calendrier un autre projet sur le même sujet. 

A l’issue d’un débat houleux, la conférence des présidents décide de mettre en suspens les deux points de divergence. D’autant que, juste après, le président de l’Assemblée nationale tient une réunion avec les seuls présidents des groupes de l’opposition, au cours de laquelle Samy Badibanga propose le principe du consensus sur tout ce qui concerne le processus électoral.

Début de la résistance

A la surprise générale, le bureau de l’Assemblée nationale passe outre l’option levée par la Conférence des présidents et inscrit les points querellés à l’avant-projet de l’ordre du jour. 

C’est à ce moment que débute la résistance contre les initiatives gouvernementales visant à remodeler le système électoral. Elle est conduite par le groupe parlementaire UDPS et Alliés, et a lieu au sein même de l’Assemblée nationale. 

Très vite, l’UDPS et Alliés obtient le renfort du groupe parlementaire UNC et Alliés. Ensemble, les deux groupes parlementaires signent une déclaration le 20 septembre 2014 dans laquelle ils annoncent la suspension de leur participation à toute plénière qui aura pour ordre du jour le débat général sur les projets de lois du gouvernement portant organisation des élections ainsi que sur celui ayant trait à la révision de la constitution. 

Ils exigent également la publication d’un calendrier global et consensuel des élections prévues jusqu’à l’échéance présidentielle de décembre 2016. 

La déclaration est signée par Samy Badibanga, Jean-Claude Vuemba, Jean-Lucien Bussa et Basile Olongo pour l’UDPS et Alliés, et Jean-Marie Bamporiki, Koloso Sumaili et Lusenge pour l’UNC et Alliés.

La proposition de Delly Sesanga fera couler beaucoup d’eau sous le pont. Au point que, à l’approche de la fin de la session, la majorité veut la récupérer pour y ajouter des amendements susceptibles de la dénaturer complétement, en la rendant conforme aux projets qui étaient venus du gouvernement. 

Sentant le piège, Delly Sesanga finit par retirer sa proposition. Encore une fois, les groupes UDPS et Alliés et UNC et Alliés, rejoints cette fois-ci par le MLC et Alliés, montent au créneau. 

Ensemble, ils dénoncent, le 8 décembre 2014, «la tendance du pouvoir à se comporter comme s’il n’existait pas de loi électorale en vigueur, et avec laquelle le cycle électoral en cours peut se clôturer», ainsi que «la récupération de la proposition d’un honorable député sans consultation préalable de toutes les parties aux fins d’y intégrer des éléments visant le retardement des échéances électorales». 

Dans la foulée, l’opposition réaffirme son refus de participer à tout débat au Parlement qui aurait pour objet le vote des initiatives de lois relatives aux élections.
Une première victoire

Trois jours plus tard, les choses vont se préciser. Devant le vide créé par le retrait de la proposition Sesanga, le gouvernement retire son projet. C’est une première victoire. Mais il introduit un autre projet pour lequel il sollicite une session extraordinaire du Parlement. 

Les trois groupes parlementaires comprennent la manœuvre, et sonnent le rassemblement de toute l’opposition, en s’ouvrant, d’abord au quatrième groupe parlementaire de l’opposition conduit par José Makila Sumanda, et ensuite à tous les partis de l’opposition même extraparlementaires et aux organisations de la société civile. 

Désormais, les leaders non députés rejoignent le groupe, à l’instar de Vital Kamerhe, Lisanga Bonganga, Gabriel Mokia, Patty Katanga, mais aussi des leaders de la société civile comme Ngoy Mutombo, etc. 

Le 11 décembre 2014, gonflés à bloc, ils rendent publique une déclaration, dans laquelle ils mettent «en garde le pouvoir sortant contre toute velléité de dévolution monarchique du pouvoir». 

Pour la première fois, ils en appellent directement au peuple congolais, à qui ils demandent de «déclencher au moment opportun les mécanismes de son auto-prise en charge lui reconnue par les dispositions pertinentes de l’article 64 de la Constitution».

C’est lors de la session extraordinaire du parlement que les choses vont prendre un autre tournant. 

A peine mis en place, le nouveau gouvernement introduit un projet de loi qui conditionne la tenue des élections présidentielle et législatives à l’organisation du recensement et à l’identification de la population. 

Au Groupe UDPS et Alliés, l’on a vite fait l’analyse : l’objectif visé est d’obtenir le «glissement» – le mot, inventé par Samy Badibanga, entre vite dans le vocabulaire politique – du mandat de Joseph Kabila. 

Le lancement des hostilités a lieu au centre Béthanie lorsque le président du groupe UDPS et Alliés lit la déclaration commune de l’opposition le 10 janvier 2015, par laquelle il appelle le peuple à se mobiliser pour battre le pavé jusqu’au Palais du peuple pour protester contre le prolongement du mandat du président de la République. 

Le lendemain, la foule, peu nombreuse, est au rendez-vous certes, mais elle bute au dispositif sécuritaire déployé aux alentours du siège du parlement.

Las de boycotter les séances de l’Assemblée nationale, les députés décident alors d’aller perturber la séance à l’intérieur même de l’hémicycle. Ils y débarquent dans un grand vacarme le lundi 12 janvier 2015, et Fabien Mutomb lance le bal des sifflets qui va durablement troubler la tenue de la plénière. 

Visiblement à bout des nerfs, Aubin Minaku décide quand même que le projet de loi soit présenté et débattu dans ce tohu-bohu d’anthologie ! Le pouvoir s’enferme alors dans une posture de mépris somme toute monarchique. 

Porte-parole du gouvernement, Lambert Mende explique que le glissement du mandat du président ne ferait pas tomber le ciel sur la RDC, là où d’autres arguent avec arrogance que le Congo ne sera jamais le Burkina Faso. 

Finalement, le 17 janvier, pourtant jour férié, les députés de la majorité votent le projet de loi. Furieuse, l’opposition, plus soudée que jamais, lance le mot d’ordre dans une déclaration lue par Samy Badibanga : à partir de lundi 19 janvier 2015, le peuple est invité à prendre la rue jusqu’au retrait de ce projet de loi.

Larmes de joie et de sang

La mobilisation commence, et chaque groupe y va de sa stratégie. Sous la conduite de Samy Badibanga, le groupe UDPS et Alliés prend langue avec les structures de base du parti d’Etienne Tshisekedi, dont il redynamise les réseaux mobilisateurs. 

Pour sa part, Vital Kamerhe passe sur RFI conscientiser la population et insister sur l’unité de l’opposition. Les militants de «Sauvons le Congo» de Martin Fayulu envahissent les rues pour distribuer les tracts appelant à la mobilisation. 

Dès le 19 janvier, pendant que le président de l’UNC est bloqué au siège de son parti, Samy Badibanga, Jean-Claude Vuemba, Fabien Mutomb, Clément Kanku, prennent la tête de la manifestation en plein quartier de la Victoire, sur l’avenue Ethiopie, en direction du Palais du peuple. 

Ils vont affronter balles et gaz lacrymogènes tirés par des policiers déchaînés. Venu en renfort depuis Lubumbashi, Jean-Claude Muyambo est arrêté et transféré immédiatement au CPRK. 

Du 19 au 21 janvier, Kinshasa vit ce qui restera dans l’histoire comme ses «Trois glorieuses», mais la capitale congolaise restera paralysée la semaine entière. 

Goma et Beni au Nord-Kivu, Bukavu au Katanga, de nombreuses villes et cités du Bas-Congo vibrent à l’unisson contre toute tentative de prolongement du mandat de Joseph Kabila, ne gardant l’accalmie à partir de vendredi que lorsque le Sénat prend la sage décision de déconnecter la tenue de la présidentielle à l’organisation du recensement. 

Mais restant vigilant en attendant la décision de la commission paritaire Assemblée nationale-Sénat, ainsi que la décision définitive de la chambre basse.

Finalement, c’est avec des larmes de joie et de sang que le peuple accueille la rebuffade de l’Assemblée nationale, qui carrément élague l’alinéa controversé de l’article 8 du projet de loi. 

La victoire du peuple est totale, mais elle a un goût amer au regard du bilan humain enregistré. C’est encore à Samy Badibanga que revient la charge de conclure cette page historique. 

Au cours de la conférence de presse de l’opposition à Fatima, l’opposition prend acte de la décision de l’Assemblée nationale, mais réitère l’exigence d’un calendrier global et consensuel pour les échéances à venir.
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B.M., 
Le Phare

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