lundi 16 février 2015

Tiken Jah Fajoly à Goma

15 février 2015


Tiken Jah Fajoly : revenu à ses sources africaines, le reggae doit éveiller les consciences

Attendu en Belgique en avril, Tiken Jah Fajoly, considéré comme l’une des dernières incarnations du reggae, est un habitué des scènes bruxelloises et son dernier album, Dernier Appel « cartonne » déjà.

Il a cependant interrompu ses tournées en Europe et aux Etats unis pour accepter de se produire à Goma, où s’est déroulé le festival Amani, trois jours de musique pour la paix.

Ce retour au Congo, où le populaire chanteur ivoirien n’est venu qu’une seule fois était important pour lui.

« C’est une région qui a besoin de paix et dès que l’on m’a parlé de ce festival, j’ai accepté de venir. Vu la situation dans la région, j’ai accepté tout de suite….

Si le Congo est faible c’est parce qu’il est divisé. Dès qu’il sera vraiment uni et qu’il pourra se défendre, tout changera. Il en est de même pour les Africains : sitôt qu’ils seront ensemble, ils seront respectés…

Le reggae, c’est une musique qui éveille les consciences et l’Afrique a besoin d’être réveillée. Le rap et le reggae font le même travail de réveil. J’apprécie beaucoup le rap africain en particulier.

Aux artistes de Goma et du Congo en général, je veux dire que les artistes ont un rôle très important à jouer : eux, ils peuvent dire des vérités que les politiciens ne peuvent pas aborder.

Si les artistes parlent d’unité, de paix, le peuple va les entendre, d’autant plus que les artistes congolais sont écoutés partout, jusque dans les plus petits villages.

Pour moi, qui suis un panafricaniste convaincu, venir au Congo, le pays de Patrice Lumumba, c’est comme un pèlerinage. Il fut l’un des premiers à prendre la parole pour défendre les intérêts de l’Afrique et c’est pour cela qu’il a perdu la vie. Soixante ans plus tard, il vit encore dans nos pensées.

Le dernier des héros africains, c’était Nelson Mandela. Rares sont ceux qui ont accepté de payer le prix de l’indépendance, Thomas Sankara au Burkina Faso a été l’un d’entre eux…

Aujourd’hui, si un autre Patrice Lumumba apparaissait, je crois qu’il aurait beaucoup de soutien.

Grâce au reggae, grâce à Internet, aux réseaux sociaux, les jeunes sont éveillés : c’est la génération consciente… Elle a voyagé, elle sait que rien ne se fera sans elle. Elle a gagné le combat au Burkina Faso et ici, au Congo, elle s’est opposée au changement de constitution.

Mon devoir c’est de chanter pour renforcer cette conscience, c’est dire à ces jeunes qu’ils sont sur la bonne voie. Nos ancêtres ont combattu l’esclavage et ils ont gagné. 

Nos parents ont combattu la colonisation et celle-ci est terminée. Notre génération doit tout faire pour offrir une autre Afrique à nos enfants et petits enfants…

Qui sont aujourd’hui les ennemis de l’Afrique ?

Nos adversaires sont d’abord économiques, l’Afrique est victime de sa richesse. Nos ennemis sont ceux qui pillent le continent, sans lui donner la part qui lui revient. Mais les hommes politiques, qui ne travaillent pas dans l’intérêt du peuple ou qui soutiennent les guerres sont aussi des ennemis…

L’Afrique, c’est l’avenir du monde : nous sommes 54 pays sur le continent, l’Union européenne ne compte que 28 Etats, les Etats Unis 50…Notre population est jeune et en 2050 nous serons deux milliards.

Nous aurons une main d’œuvre très importante et si nous avons la stabilité et la démocratie, on viendra du monde entier pour investir…

« Dernier appel » votre album qui vient de sortir exprime cependant un sentiment d’urgence…

Certes, il y a urgence : notre génération doit jouer son rôle, très rapidement. Tout faire pour que la démocratie soit installée, que la stabilité soit concrète…

Il est vrai qu’il y a beaucoup de guerres, mais c’est normal, car nous nous trouvons dans un processus ; voici 70 ans, l‘Europe aussi était en guerre… Il y a des étapes que nous allons devoir franchir.

Les guerres au Soudan, au Congo, dans le Sahel, en Côte d’Ivoire, sont des passages obligés.

J’espère que, lorsque la majorité des Africains seront alphabétisés, ils comprendront que ces guerres ne nous apportent rien. Demain ce sera le tour de l’Afrique, j’en suis convaincu. Car malgré toutes les richesses qu’on nous a pris, il en reste encore….

Et en plus, il y a le climat, le dynamisme, la jeunesse… Mais nous les Africains nous sommes les derniers à croire que notre continent a des atouts… Les Africains ont d’eux-mêmes une image négative et c’est là que nous, les artistes du reggae et du rap, nous pouvons jouer un rôle.

Depuis Bob Marley, le reggae a contribué à éveiller les consciences. Bob est né en Jamaïque, un petit pays perdu mais son message a fait le tour du monde. 

Le reggae c’est la voix des sans voix et nous, nous sommes les héritiers de Bob Marley.

Il l’avait dit, voici 35 ans : « un jour le reggae va revenir à la source. » Nous sommes la preuve palpable de la véracité de cette prophétie : l’Afrique compte beaucoup de groupes de reggae, qui disent des choses justes, qui ont du talent et qui réveillent…

Mes musiciens sont sortis dans Goma, ils m’ont parlé des vélos en bois, les tshukudu, de l’énergie des gens qui reconstruisent leur ville…Partout dans la région, au Congo au Rwanda, j’ai vu des peuples au travail et cela me donne beaucoup d’espoir…
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Le carnet de Colette Braeckman

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