mercredi 6 mai 2015

Le Congo-Kinshasa, la guerre perpétuelle et la question géographique du ‘’Grand Rift’’

le mardi 5 mai 2015


« L’outil le plus puissant entre les mains de l’oppresseur est la pensée de l’opprimé » S. BIKO

La tradition anglo-saxonne a fait de l’expansion de l’empire US une question fondamentalement géographique. 


Au Congo-Kinshasa, le débat politique semble ignorer cette dimension et établit difficilement le lien entre la guerre perpétuelle imposée au pays et l’exploitation du pétrole au parc de Virunga par Soco. C’est vrai. 

Cette guerre prend, depuis plus de deux décennies, plusieurs formes. Néanmoins, elle garde sa constance sur le temps long. En tant que guerre d’usure, elle désargente, elle fatigue, elle épuise les énergies morales, psychologiques et spirituelles de plusieurs filles et fils du pays de Lumumba. 

Face à cette situation, certains d’entre eux optent pour la logique de l’impuissance et du renoncement ; d’autres prennent la voie de l’opportunisme et sont prêts à faire feu de tout bois ; d’autres encore estiment qu’ils ont besoin de devenir davantage une intelligentsia organique et structurante capable de jouer le rôle du levain dans la pâte des masses paysannes et campagnardes. 

Ils savent, eux, que la lutte est encore âpre. Tout en menant la bataille des idées, ils se disposent de plus en plus à mettre de l’ordre dans leurs organisations solidaires et n’ont pas peur de la confrontation dans un monde pluricentré.

La guerre perpétuelle imposée à la sous-région des Grands Lacs a des fondements racistes de conquête des terres, de contrôle des mers et des airs. 


Elle est mieux comprise à la relecture des têtes pensantes anglo-saxonnes de la trempe de Mackinder et de ses ‘’disciples’’ tels que Brzezinski et George Friedman.

L’Etat profond anglo-saxon tient à demeurer un empire comme le furent la Rome antique et l’empire britannique. Il travaille à son expansion en utilisant plusieurs prétextes et subterfuges. Son expansion géographique est fondée sur le recours à la force brute et non aux principes de démocratie, de dialogue et des droits de l’homme.

Dans la poursuite de cette expansion géographique, cet Etat profond travaille sur des documents archivés sur le temps long.

Rappelons qu’il a lié sa vie et sa survie de l’empire à la conquête de l’Eurasie en ayant l’Amérique Latine comme ‘’arrière-cours’’. 


Pendant longtemps, la Chine a accueilli sur son sol ses entreprises multinationales délocalisées et leur a permis de faire des bénéfices énormes en utilisant une main-d’œuvre moins chère. 

Et pendant ce temps, il contrôlait plusieurs pays africains au travers des programmes d’ajustement structurel imposés par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.

Après la chute du mur de Berlin (1989) et la dislocation de l’URSS en 1991, l’empire anglo-saxon a crié à la fin de l’histoire et au triomphe du néolibéralisme. Il venait d’atteindre l’un des objectifs poursuivi depuis la première guerre mondiale : tenir l’URSS et l’Allemagne désunies pour mieux poursuivre son expansion.

Mais, la montée en puissance de la Chine, le retour de la Russie sur l’échiquier mondial et la lente et sûre émancipation des pays latinos de la globalisation néolibérale sont, depuis quelques décennies, des facteurs qui semblent torpiller les desseins de l’empire anglo-saxon. 


Sa guerre perpétuelle menée contre ‘’le terrorisme’’ est dorénavant utilisé comme stratégie pour conquérir d’autres espaces vitaux en restant fidèle à son obsession pour le contrôle des terres, des mers et des airs.

En Afrique, il est intéressé par le Grand Rift. Qu’est-ce qu’est cela ? C’est une zone géographique africaine. « La région en question, (…) comprend non seulement l’Ouganda, où un vaste champ de pétrole a été découvert récemment, mais aussi des terrains miniers parmi les plus riches de la planète – y compris en République démocratique du Congo, en République centrafricaine et dans la république soutenue par les États-Unis au Soudan du Sud. 


La région se situe dans cet extraordinaire conjoncture géographique appelée vallée du Grand Rift (Great Rift Belt), qui s’étend au nord depuis la Syrie à travers le Soudan, l’Erythrée et la Mer Rouge pour pénétrer profondément dans le sud de l’Afrique en traversant l’Est du Congo, l’Ouganda, le Kenya, l’Éthiopie, la Somalie et jusqu’au Mozambique. [1]»

Géographiquement, la partie orientale du Congo-Kinshasa se trouve dans le Grand Rift. Les géologues attestent que cette région est immensément riche en pétrole, en gaz et en autres ressources stratégiques indispensable au ‘’Grand jeu US’’ et insuffisamment inexplorées. 


La stratégie du ‘’chaos constructeur’’ entretenu dans cette région est indispensable à ce ‘’jeu’’. « Les troubles politiques chroniques de la région et les tensions entretenues par l’AFRICOM - qui arrangent les majors pétrolières occidentales qui cherchent à maintenir des prix du pétrole ridiculement élevés en contrôlant l’offre - font obstacle au développement de ce pétrole. Tandis que l’Afrique de l’ouest et le Maghreb ont connu des dizaines de milliers de forages pétroliers pendant les dernières décennies, l’Afrique de l’est et l’Afrique centrale, y compris le Darfour et le sud Soudan, le Tchad et la République centrafricaine, sont quasiment terra incognita en termes de forage. [2]»

La décision prise par l’entreprise britannique Soco d’exploiter le pétrole du parc de Virunga, ce patrimoine classé de l’humanité, est à situer dans ce contexte de l’exploration et de l’exploitation du ‘’Grand Rift’’.

Rappelons que les héritiers de Mackinder sont, pour un certain nombre d’entre eux, des disciples de Darwin. L’expansion de leur empire se moque des ‘’races faibles’’. Une caméra cachée pendant le tournage du documentaire sur le parc de Virunga a pu rendre compte des élans racistes de ce projet. 


En effet, « le film d’Orlando von Einsiedel montre avec les armes dont il dispose le vrai visage de Soco sur le terrain. Via deux personnages, un ranger de Virunga et la journaliste française Melanie Gouby qui utilisent une caméra cachée en itw, on découvre le vrai visage de la corruption. 

Le ranger montrant comment les officiels du Congo militent pour que Soco hérite du terrain quitte à donner des pots de vin, graisser des pattes et soutirer des informations directement via des membres du parc naturel. 

Tandis que Mélanie Gouby montre de son côté une facette qui est à mes yeux la plus triste, celle d’un français bossant pour Soco sur le terrain et qui laisse transpirer dans chacune de ses paroles celle d’un colonialisme à l’ancienne, un racisme tout sauf déguisé nageant dans une volonté sans failles de faire du profit. [3]» 

L’exploitation du ‘’Grand Rift’’ est donc fondée sur le colonialisme à l’ancienne, sur le racisme assimilant ‘’les nègres aux ramasseurs des miettes’’, sur la corruption des officiels congolais et sur le profit. 

Elle entretient ‘’le terrorisme’’ et les guerres dites ‘’civiles’’. Elle s’inscrit dans la logique de la guerre perpétuelle de conquête des ‘’terra incognita’’. Elle fondamentalement géographique et théâtralisé politiquement. 

C’est beaucoup plus une question d’expansion territoriale que de démocratie et de droits de l’homme. La création du marché de l’Afrique de l’Est est au cœur de cette guerre perpétuelle. La balkanisation et l’implosion du Congo-Kinshasa participent de cette même guerre et de l’incorporation de sa partie orientale à ce marché.

Comment, dans ce contexte, opposer l’intelligence congolaise et panafricaine à celle de ceux qui estiment que les terres qu’ils n’ont pas explorées et exploitées sont des ‘’terres incognita’’ ? 


Il est important de comprendre qu’il y a dans cette approche des terres une disqualification des rationalités d’autres peuples ; celles qui ne sont pas techniques et/ou technologiques à l’occidentale. Il y a là une négation de l’humanité des autres. Ce déni est la source du racisme auquel conduit l’expansion territoriale, le mépris des gens et la cupidité produite par le goût effréné du profit.

Les élites congolaises qui se veulent organiques et structurantes doivent commencer par maîtriser cette géographie et ses soubassements racistes, colonialistes et ultralibéraux pour les partager avec les populations paysannes vivant de la terre. 


Elles doivent travailler ensemble pour une occupation ‘’avertie’’ des villages et campagnes congolais. Elles doivent s’habituer, ensemble, à déchiffrer la dimension géographique de la politique étrangère de ceux qui président à la globalisation des économies du ‘’Grand Rift’’.

L’exploration et l’exploitation du ‘’Grand Rift’’ conduisent au détricotage de la souveraineté des peuples qui s’y retrouvent, à la cassure des ressorts psychologiques, spirituels et moraux de résistance contre l’idéologique consumériste ultralibérale et à la création d’un grand marché autorégulé géré par les 1% oligarques d’argent occidentaux et ‘’leurs nègres de service’’ africains. 


Ceux-ci, déjà corrompus et ayant vendu leurs cœurs et leurs esprits au profit ‘’des petites mains du capital’’, ont du mal à inscrire la question géographique du ‘’Grand Rift’’ à l’agenda du débat panafricain. Ils organisent leurs dialogues autour des miettes qu’ils tiennent à se partager comme ‘’chiens de garde ‘’ du nouveau désordre mondial ultralibéral.

Dans ce contexte, les élites organiques et structurantes doivent travailler, à moyen terme, à la (re)naissance du patriotisme panafricain en reconduisant les luttes d’émancipation politique que les Pères et Mères fondateurs des indépendances (formelles) africaines ont laissé inachevées. 


Ce patriotisme panafricain mis au service de l’intégration politique et économique des pays souverains au cœur du ‘’Grand Rift’’ devra participer de la re-création d’un autre imaginaire (congolais et) panafricain.

Dans cette guerre perpétuelle que l’Etat profond anglo-saxon mène au monde entier, il y a des exemples de résistance pouvant inspirer l’élite organique et structurante congolaise ainsi que les masses populaires devenues critiques. 


La Chine ayant compris que l’ONU et ses casques bleus font le jeu de cet Etat profond a choisi d’avoir ses propres filles et fils parmi eux. 

Elle les a envoyés protéger ses intérêts et les civiles travaillant dans les compagnies pétrolières de l’un des pays du ‘’Grand Rift’’, au Sud-Soudan[4]. Dans un monde globalisé et où règne la confrontation entre les peuples et les Etats, elle a transformé son savoir en une action protectrice de ses intérêts et des civiles.

Un autre exemple est celui de l’Erythrée. Ce petit pays a rompu avec ‘’les tueurs à gage économiques’’ made in USA que sont le FMI et la Banque mondiale pour sauvegarder sa souveraineté économique et politique.

Ces deux exemples prouvent à suffisance que quand des élites organisées et agissantes résolvent la question de la direction dans leurs pays, elles peuvent répondre intelligemment aux questions géographiques et économiques que leur pose l’Etat profond US sans se contenter de la simple dénonciation ou de la critique facile.
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Mbelu Babanya Kabudi



[1] F. W. ENGDAHL, Ouganda : les objectifs inavoués de la campagne « Kony 2012 », dans Réseau Voltaire du 28 avril 2012

[2] Ibidem.

[3] http://lejournaldessorties.com/critique-virunga-orlando-von-einsiedel-critique-du-film/

[4] Pékin déploiera 700 casques bleus au Soudan du Sud / Sputnik France - Actualités - Prises de Position - Radio

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