vendredi 29 mai 2015

Pourquoi l'Afrique est en retard?

27/05/2015

 

L'Afrique, depuis plus d'une décennie, affiche des niveaux de croissance à faire pâlir d'envie l'Europe qui peine à se remettre d'une crise économique et financière sans précédent. L'engagement attendu des Africains pour la cause de leur continent laisse encore à désirer.

Pire! L'Afrique ne commerce avec elle-même qu'à hauteur de 15%. Ce chiffre ridicule du commerce intra-régional est à l'origine de la paupérisation des Etats africains, qui pris individuellement sont économiquement peu ou pas du tout viables.

L'Afrique est dépecée économiquement, culturellement et politiquement. 


A dire que le partenariat est devenu une trouvaille originale des dirigeants africains, aussi prompts à répondre aux invitations des puissances étrangères -et même insister à se faire inviter- arpenter avec fière allure les allées mondaines et à se pavaner dans les salons feutrés et douillets des palaces somptueux, loin -très loin- des routes poussiéreuses d'Afrique, du soleil chaud et fondant du continent, des mouches du jour et des moustiques de nuit, de la pauvreté à bon marché des populations qui se tassent et s'entassent dans les bidonvilles lugubres et insalubres? 

Sincèrement, allons-nous continuer dans cette voie sans issue? 

A se presser, avec sourire et cravate, aux quatre coins du monde pour demander aux autres, ceux que ceux-ci cherchent chez nous? Est-il de bon aloi de rappeler qu'il ne suffit pas de fréquenter les "grands" de ce monde pour devenir grand?

Un commerce intra-africain insignifiant

Au 21e siècle, toutes les régions multiplient les actions de regroupement pour faire face à la crise, l'Afrique continue à tourner le dos à son avenir. De l'aveu de tous, l'Afrique demeure le continent le plus fragmenté du monde, avec 54 pays séparés par de nombreuses frontières. 


Les échanges entre pays africains sont très faibles. Selon les dernières statistiques du commerce international de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'Afrique avec 618 milliards de dollars d'échanges commerciaux n'a représenté que 3,4% du commerce mondial en 2013, et seulement 1% de la production manufacturière mondiale.

Selon les données 2013 de l'OMC, le commerce intra-africain était de 15,8% alors que 68,4% du commerce européen se faisait entre pays européens, et 56,7% des échanges asiatiques étaient domestiques. 


Autrement dit, moins de 20% des biens et services produits en Afrique restent sur le continent. Cela signifie de fait que plus de 80% de la production africaine est exportée, principalement vers l'Union Européenne (35,9%) et l'Asie (30,4%).

Tenez! Est-il normal que la sardine en conserve consommée en Afrique Centrale et produite en Afrique du Nord soit importée d'Europe? 


Les médicaments fabriqués au Maghreb et destinés au marché subsaharien doivent-ils transiter par la France pour atteindre leur destination africaine?

Selon le Fonds mondial pour la nature, si en 2050 la population mondiale atteint les 9 milliards d'habitants (suivant une autre projection des Nations Unies, ce niveau est attendu dès 2030), l'humanité aurait besoin de l'équivalent des ressources de deux planètes pour vivre. 


Avec quoi les populations vont se nourrir? Où trouver les terres agricoles? Où trouver l'eau? La réponse est presque triviale. Seule l'Afrique, avec 60% des terres arables du monde, peut relever ce défi.

Donc le déferlement sur le continent ne fait que commencer. Il est appelé à s'amplifier pour les prochaines années. Le monde qui scrutait, bien souvent, l'Afrique avec un œil médisant et condescendant a changé de regard. L'Afrique d'aujourd'hui est vue avec un œil gourmand. On en parle peu au passé, elle se conjugue maintenant au futur. 


Selon le consultant Guy GWETH, trois Etats sur cinq dans le monde ont une stratégie africaine assumée. En 2020, ils seront 80% des pays non africains dans le monde à disposer d'une stratégie africaine.

Et chacun de ses "partenaires" a son propre agenda, bien souvent éloigné des préoccupations des populations africaines. 


A quelques variantes près, le modus operandi de la majorité des partenaires de l'Afrique est connu:
  • Importer de l'Afrique des matières premières pour approvisionner leurs usines, à des cours fixés dans les bourses qu'ils contrôlent;
  • Exporter en Afrique les produits finis issus de la transformation des matières premières africaines à des prix fixés par leurs soins.
Cette ruée vers l'Afrique, pour les richesses de l'Afrique et non pour les "beaux yeux" des Africains, tout le monde en a conscience sauf les Africains. Pourtant, un adage du terroir nous enseigne que "si la tortue rend visite au tisserand, ce n'est pas pour chercher une couverture. Elle a mieux: sa carapace". 

C'est dans cette indifférence presque généralisée que les raouts se succèdent en Afrique où les distributions de chèques, d'aides et de crédits des nouveaux partenaires se disputent la partie avec les remontrances, les directives, les mises en garde et les chantages des anciennes puissances coloniales. Tout cela dans une mésestime presque généralisée qui pourrait être qualifiée de "conspiration du silence".

Le continent des paradoxes

Il s'agit d'une problématique qui rejoint peu ou prou l'éternelle histoire du mendiant assis sur une mine d'or. A côté de la croissance forte et soutenue de sa population, l'Afrique a la densité démographique la plus faible au monde. 


L'Afrique, c'est aujourd'hui la dernière frontière du développement dans le monde. Certains prédisent l'avènement d'un "siècle africain" au cours des prochaines années. A la base de leur raisonnement, l'Afrique est l'une des régions qui connaît la plus forte croissance économique du monde: 5% en moyenne par an.

Selon une étude de juin 2010, les experts du McKinsey Global Institute (MGI) estiment que le continent africain est assis sur un potentiel minier unique dans le monde: 10% des réserves mondiales de pétrole, 40% des réserves mondiales d'or, 80% du chrome et 90% du groupe des métaux du platine. Au total, 30% des ressources minérales du monde ont élu domicile en Afrique. Dans leur immense majorité, ces richesses sont peu exploitées sinon mal exploitées.

Tout au moins, les retombées économiques pour les populations africaines sont marginales.
Cette embellie profite peu à la population africaine, pour la simple raison que la structure de leurs économies est déséquilibrée. Par ailleurs, la richesse continentale est fortement concentrée. 


Les pays du MANGANESE, acronyme que nous avons créé en 2013 (Les Afriques N° 237 du 28 mars 2013) et qui désigne les économies de 9 pays africains (Morocco, Algeria, Nigeria, Ghana, Angola, Namibia, Egypt, South Africa, Ethiopia), sont établis sur près du tiers de la superficie de l'Afrique avec un peu moins de la moitié de la population africaine et pèsent environ 70% du PIB de l'Afrique.

Sur les 49 pays les moins avancés (PMA) que compte le monde, 69% sont en Afrique. En d'autres termes, les 2/3 des pays africains sont des PMA et la liste continue de s'allonger depuis 1971, date de création de cette catégorie par l'ONU. 


Près de la moitié de la population africaine vit avec moins de 1,25 dollar par jour et 47,3 % des jeunes africains (15-24 ans) au sud du Sahara sont au chômage. Et la faim continue à tuer sur le continent plus que le Sida et la tuberculose.

Il est évident que la responsabilité de l'élite africaine, intellectuelle et politique, dans la production de la pauvreté et le maintien des populations africaines dans les conditions de servitude les plus inimaginables, est totale. Et elle doit être assumée.

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Huffington Post

Cheickna Bounajim Cissé 
Cadre dirigeant de Banque 

et co-fondateur du Club Madiba

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