jeudi 28 mai 2015

RD Congo – massacres : Obama et un incroyable Etat failli

jeudi 28 mai 2015 

Un groupe de députés congolais a adressé une lettre ouverte à Barack Obama, le président américain, pour le prier de s’impliquer dans l’affaire des massacres de Beni. 

  RD Congo – massacres : Obama et un incroyable Etat failli
Pour rappel, depuis octobre 2014, la population du Territoire de Beni, dans l’Est de la République Démocratique du Congo, est la cible de massacres à répétition que ni le gouvernement, ni l’armée, ni la police, ni même la Monusco (Mission des Nations Unies au Congo) ne semblent en mesure d’arrêter. 

Les massacres se déroulent pourtant dans un secteur sous contrôle de l’armée et sur un rayon de quelques dizaines de kilomètres. Mieux encore, en face, c’est un groupe d’assaillants armés de couteaux, de haches, de marteaux, de morceaux de bois. 

Mais l’Etat congolais et la Monusco n’arrivent pas à prendre le dessus. Il faut donc appeler le président américain à l’aide, la seule personne supposée encore être capable de faire quelque chose.

Si la démarche des députés a quelque chose de désespéré, elle est incontestablement l’expression d’un Etat assez failli pour que ses dirigeants puissent être considérés comme démissionnaires. Ils n’assument pas la charge pour laquelle ils occupent leurs fonctions.

Beni ou un incroyable échec

Les massacres de Beni sont des tueries qui se déroulent dans un rayon d’une cinquantaine de Kilomètres entre la ville de Beni et la frontière ougandaise. C’est un secteur où sont déployés plus de six mille militaires FARDC (armée gouvernementale) et plusieurs centaine de casques bleus. 


Le groupe accusé de commettre ces massacres, les ADF, ne compte que quelques dizaines d’individus[1] selon les experts de l’ONU. Ils commettent les massacres à quelques dizaines de mètres des positions de l’armée ou de casques bleus et repartent sans que les soldats, congolais et onusiens, ne soient en mesure d’en capturer un seul. 

Il y a des massacres qui durent plusieurs heures. Par exemple, un massacre, à quelques kilomètres seulement de la ville de Beni, a pu durer tout un après-midi. Les massacreurs utilisent des machettes, des haches, des couteaux, des marteaux. Donc, des armes tout à fait rudimentaires en cas de face-à-face avec une armée moderne.

L’armée congolaise est une force de 140 mille soldats à laquelle il faut associer la police nationale forte de 107 mille hommes[2]. A ce dispositif national il faut ajouter les contingents de la Monusco (19.815 casques bleus) dont une brigade d’intervention, comprenant trois bataillons d’infanterie, une compagnie d’artillerie, une force spéciale et une compagnie de reconnaissance.

Portrait d’un Etat failli

Derrière ce dispositif militaire opèrent des hommes et des femmes dont les fonctions, les charges et les missions sont la protection de la population, de ses biens et du territoire national. 


D’abord le président Joseph Kabila, commandant suprême des armées aux termes de l’article 83 de la Constitution, et qui a fait campagne aux présidentielles de 2006 et de 2011 sur la promesse de protéger la population et le territoire national. 

Aujourd’hui, les députés de son pays (de la majorité et de l’opposition) s’adressent à un président étranger, Obama, pour lui demander de ramener la paix au Congo, alors que le président congolais est toujours en fonction (le mandat de Kabila prend fin en décembre 2016). 

Ensuite un gouvernement, le gouvernement congolais. C’est un gouvernement composé de 48 membres (un Premier ministre, 3 vice-Premiers ministres, 2 ministres d’Etat, 32 ministres et 10 vice-ministres). 

Le Premier ministre s’appelle Augustin Matata Ponyo. Le ministre de l’Intérieur et numéro 2 du gouvernement s’appelle Evariste Boshab. Le ministre de la Défense s’appelle Aimé Ngoy.

A côté du gouvernement, il y a au Congo un Etat-major de l’armée. Il a à sa tête le général Didier Etumba, un diplômé de l’Ecole royale militaire (ERM) de Belgique[3]


A Beni-même, l’opération contre le groupe armé de massacreurs (opération Sokola) est dirigée par trois généraux : le général de brigade Akili Muhindo, dit « général Mundos », officier de la Garde républicaine[4] ; le général-major Léon Mushale, commandant de la 3ème zone de défense ; et le général de brigade Emmanuel Lombe, commandant de la 34ème Région militaire[5]

Il y a, bien entendu, à la tête de la Province du Nord-Kivu, un gouvernement provincial avec à sa tête le gouverneur Julien Paluku, qui se trouve être originaire de la partie nord de la province où, justement, se déroulent les massacres. 

Le président Kabila a aussi une police nationale. Son numéro 1 s’appelle général Charles Bisengimana et son numéro 2 est un illustre personnage, bien connu au Congo notamment en matière de répression. 

Il s’appelle général Kanyama. Kabila a aussi un service de renseignement, très redouté par la population et les opposants au régime. Il s’appelle ANR (Agence nationale de renseignement), que dirige M. Kalev Mutond considéré comme le numéro 2 du régime.

ONU, Obama : aider comment et jusqu’où ?

A côté des autorités nationales, le Congo « bénéficie » d’une impressionnante force des Nations Unies avec à sa tête le diplomate allemand Martin Kobler, ancien Représentant spécial de l’ONU en Irak et en Afghanistan. 


Il a à ses côtés un chef militaire, le général brésilien Carlos Dos Santos Cruz, ancien commandant de la force de l’ONU en Haïti. Cette mission de l’ONU au Congo dure depuis 15 ans. 

Avec un budget annuel de 1.398.475.300 dollars US et un effectif - civil et militaire - total de 25.175 personnes, la Monusco est la plus grande et la plus coûteuse mission de maintien de la paix au monde. Mais il ne faut pas attendre d’une force étrangère qu’elle se substitue aux autorités d’un pays. 

Encore moins lorsque celles-ci sont démissionnaires, défaillantes voire complices des catastrophes qui frappent leurs populations[6]

Autrement dit, dans un Etat à peu près normal, les députés congolais auraient exigé et obtenu des explications sur les défaillances de l’armée, de la police, des services de renseignement, des ministres, voire du président de la République. Ils auraient obtenu la démission des ministres défaillants et des sanctions contre des commandants militaires fautifs. 

Dans un Etat à peu près normal. Le Congo n’y est pas encore… C’est peut-être ce qu’on devrait demander à Barack Obama. Aider les Congolais à bâtir un Etat à peu près normal. 

Car à supposer que le président américain reçoive l’appel des députés congolais, qu’il trouve, dans son agenda surchargé, le temps de s’en occuper ; qu’il parvienne à assurer le suivi pour que ces tueries ne se reproduisent plus. 

Il faudra bien qu’il se charge d’autres problèmes du Congo : l’armée, la police, la pauvreté, les élections, la corruption, la dette,… Il n’y arrivera pas, même s’il le voulait. Et même s’il y arrivait, il ne le ferait pas tout le temps.

La solution à la détresse exprimée par les députés congolais, à travers leur lettre à Obama, se trouve dans une sagesse chinoise : « si tu me donnes un poisson, je mangerai un jour. Si tu m’apprends à pêcher, je mangerai tous les jours ». 


Un peuple n’est pas supposé être aidé au coup par coup. Il lui faut un Etat qui se charge durablement de ses problèmes en interne. Un Etat animé par des gens responsables. 

De toute évidence, un Etat en remplacement de l’Etat actuel formé de démissionnaires, accrochés à leurs fonctions mais qui, tragiquement, ne s’acquittent pas des missions pour lesquels ils occupent ces fonctions. Reste à savoir si Obama est la bonne personne pour un chantier de cette nature.
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Boniface MUSAVULI


 

[1] Selon les experts de l’ONU, l’effectif des ADF serait de 150 à 200 membres : une trentaine de soldats, 30 à 40 commandants (qui ne participent pas aux combats), plus des femmes et des enfants. Les soldats n’auraient ni armes ni munitions et seraient privés de sources de ravitaillement et d’équipement. Cf. Rapport S/2015/19 du Groupe d’experts sur la RD Congo du 12 janvier 2015, § 14 p. 7.

[2] JJ. Wondo, « Tableau comparatif des données militaires des pays régionaux et limitrophes de la RD Congo », desc-wondo.org, 21 août 2013

[3] Pour en savoir davantage sur « qui est qui » (who is who) dans la hiérarchie militaire au Congo, lire JJ. Wondo, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ?, Bilan – Autopsie de la défaite du M23 – Prospective, Ed. www.desc-wondo.org, pp. 173 - 207.

[4] La Garde républicaine (GR) est l’unité en charge de la sécurité du président Kabila. C’est l’unité la plus équipée et la plus choyée par l’Etat et la plus écoutée. Elle compte, selon les sources, entre 10 mille et 18.700 soldats. Ibidem, p. 105.

[5] Ibidem, p. 59.

[6] Dans un article, l’analyste des questions militaires Jean-Jacques Wondo estime que les massacres de Beni sont fomentés par le président Kabila et son bras droit sur place, le « général Mundos ». Cf. JJ Wondo, « Joseph Kabila et le Général « Mundos » créent-ils des faux ADF/Nalu ? », desc-wondo.org, 15 mai 2015.

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