Le nouvel emballement médiatique autour de l’affaire DSK empêche d’y voir clair: entre les révélations du procureur, les arguments de la défense de DSK et la contre-attaque de l’avocat de Nafissatou Diallo, qui croire?
Un homme lit un journal à New York, le 2 juillet 2011. AFP PHOTO/Jessica Rinaldi
En quelques jours, Nafissatou Diallo est passée du statut de victime à celui de menteuse invétérée, voire de prostituée, vilipendée par des médias qui ne citent aucune source. Les doutes émis le 1er juillet par le procureur sur sa crédibilité, en raison de ses mensonges (un viol collectif en Guinée dont elle a parlé aux enquêteurs mais qui n'a jamais eu lieu), de ses contradictions (sur son récit des faits), de ses conversations sur écoute (avec un détenu gambien qui serait non seulement un trafiquant de cannabis, mais aussi, selon certains médias, son mari au sens religieux du terme) et sa situation bancaire (des dépôts de 100.000 dollars en deux ans en provenance de plusieurs Etats américains) en font d’ores et déjà une criminelle. Voire une prostituée… Un raccourci emprunté par le New York Post, encore lui, selon lequel la femme de chambre se prostituait bel et bien au Sofitel et appartenait même à un réseau guinéen — une hypothèse qui ne repose que sur une source «proche de la défense», selon laquelle «elle recevait des pourboires extraordinaires, si vous voyez ce que je veux dire, et pas pour apporter des serviettes de toilette».
Le procureur joue sa carrière
Ce 5 juillet, nouveau rebondissement: Nafissatou Diallo semble reprendre l’avantage. Selon le quotidien français Le Figaro, qui s’appuie sur des «sources new-yorkaises», la lecture des cartes magnétiques utilisées par la femme de chambre le 14 mai corrobore bien sa version des faits. Elle a d’abord nettoyé la suite 2820, avant d’entrer, à 12h06, dans la suite 2806, encore occupée par DSK. Vingt minutes plus tard, elle retourne dans la suite 2820, pendant moins d’une minute, puis retourne dans la suite 2806, accompagnée d’une supérieure hiérarchique à qui elle livre sa première version des faits.Pourquoi s’est-elle donc empêtrée en racontant au procureur avoir fait le ménage dans la suite 2820 après, et non avant son passage chez DSK? Une hypothèse, parmi tant d’autres, livrée par un avocat new-yorkais au Figaro: «On sous-estime peut-être les problèmes de compréhension d’une jeune femme qui maîtrise mal l’anglais et dont les relations avec les enquêteurs sont devenues très tendues». Et pour cause: le procureur Cyrus Vance Junior joue lui-même sa crédibilité et le reste de sa carrière sur ce dossier. Une affaire dans laquelle il s’est lui-même emballé dès le départ, à l’image des médias. Aujourd’hui, Cyrus Vance Junior est accusé par l’avocat de Nafissatou Diallo de ne pas vouloir aller au procès par peur de le perdre. Plusieurs journaux américains pointent des erreurs dans l’enquête et la précipitation du procureur à accuser sans nuances, avant d’avoir récolté toutes les preuves.
Le principal doute sur Nafissatou Diallo s’est instillé en raison d’une conversation qu’aurait eu la jeune femme au lendemain de son agression avec un de ses contacts — un trafiquant de cannabis se trouvant en prison en Arizona, un homme d’origine gambienne que Le Journal du Dimanche présente comme son mari, sur la base d’un mariage religieux célébré devant un imam, selon des sources encore mystérieuses. «Ne t’en fais pas, cet homme est riche, je sais ce que je fais», aurait dit la jeune femme à ce contact. Une phrase tirée de son contexte, qui a fait l’objet d’une fuite dans la presse américaine et n’a pas été expressément confirmée par le procureur. Pourquoi la fameuse conversation, en langue peule, n’a-t-elle été traduite qu’un mois et demi après les faits? Mystère…
Des preuves médico-légales
Si les liens de Nafissatou Diallo avec un dealer de drogue paraissent bien suspects, on voit mal comment ils pourraient, à eux seuls, effacer la scène qui s’est déroulée le 14 mai dans la suite 2806, ni les preuves glanées par la justice dès le début de l’affaire. L’avocat Kenneth Thompson, dans un long plaidoyer fait le 2 juillet devant la presse, au moment de la levée de l’assignation à résidence de DSK, a donné pour la première fois des détails sur la version de sa cliente: «Quand elle est entrée dans la suite du Sofitel, elle croyait qu’il n’y avait personne. DSK, à ce moment-là, est sorti en courant, nu. Il s’est précipité sur elle. Il a d’abord pris ses seins à pleines mains, puis il a attrapé son vagin avec une force telle qu’il lui a fait mal. Des hématomes sur son vagins ont été pris en photo par la médecine légale.» L’ancien patron du FMI l’aurait ensuite jetée sur le sol. «Il lui a luxé un ligament de l’épaule. Depuis le premier jour, elle dit qu’elle a mal au bras.» DSK lui aurait également «déchiré ses collants», et «quand elle se débattait pour s’échapper, quand elle était à genoux, elle a craché, dégoûtée, le sperme de DSK. Des preuves médico-légales accréditent ce récit.»Mais pour ceux qui tenaient à avoir le fin mot de l’histoire, il est peut-être déjà trop tard. Si les charges sont levées par le procureur et que DSK bénéficie d’un non-lieu, comme l’annonce le New York Post, la lumière ne sera jamais faite sur l’affaire. Mais un autre procès, que veut désormais intenter en France la jeune romancière Tristane Banon, qui affirme avoir subi en 2003 une tentative de viol de DSK, prendra le relais. Au moins pour épancher les soifs de suspense.
Sabine Cessou
SlateAfrique
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire