lundi 1 novembre 2010

Les Belges et Nous

MISE EN LIGNE LE 1ER NOVEMBRE 2010 | LE SOFT INTERNATIONAL N° 1075 DATE 1ER NOVEMBRE 2010

La Belgique revendique son rôle historique au Congo et veut éviter «l’image d’un Congo devenu la terre de prédation universelle». Les élections qu’ils veulent - «à la date prévue». la gouvernance de l’État, l’armée, la sécurité, la justice, les droits de l’homme... «À la suite des pillages, les Belges avaient perdu toute confiance d’investir au Congo». «La Belgique est pour l’effacement de la dette mais elle ne saurait y aller seule...» «Tungulu est un citoyen congolais ayant commis sur le sol congolais un acte que tout le monde désapprouve». «Entre la Belgique et le Congo, il y aura toujours un plus. On n’efface pas l’histoire». Une interview fleuve de SE l'Ambassadeur de Belgique en R-dC, Monsieur Dominique Struye de Swielande accordée lors d'une visite du groupe de presse éditeur du Soft International, sur les hauteurs de Binza Upn à Kinshasa.
Cette petite Belgique qui est la lucarne par laquelle le monde observe le Congo... Une belle phrase prononcée il y a quelques décennies par un homme d’État à Bruxelles et toujours aussi actuelle. Elle a beau être acariâtre c’est votre mère... c’est elle qui répond de vous.

Pour avoir parfois - et souvent - oublié une aussi simple vérité, voilà d’où viennent les malheurs du Congo, sous Lumumba, sous Mobutu, sous Mzee Kabila... aujourd’hui encore et parfois sous Joseph Kabila Kabange. Le libéral francophone Louis Michel peut se vanter d’être l’homme qui a remis le Congo sur les agendas internationaux.

S’il a été écouté par le monde, c’est parce que le monde reconnaît à la Belgique une légitimité. Le représentant d’un autre pays n’aurait certainement pas eu droit à la même écoute...

On a beau parler d’«esprit de colonisé», il faudra peut-être un jour qu’on en invente un autre digne de considération. «Il y aura toujours un plus dans les relations belgo-congolaises, et vice-versa, que dans toute autre relation que le Congo ou la Belgique aura avec n’importe quel autre pays au monde. On n’efface pas l’histoire», déclare au Soft International l’ambassadeur de Belgique en R-dC Dominique Struye de Swielande venu nous rendre visite mercredi 27 octobre au siège du groupe de presse Finance Press Group, éditeur du Soft International, aux confins de Binza-UPN, à Kinshasa.

Pourtant, quel gâchis! Si d’anciennes possessions françaises en Afrique ont gardé leurs relations quasi intactes avec Paris, qui dirait autant de Kinshasa? S’il y a foule de Français à Lomé, Libreville, Dakar, Yaoundé, Bamako, Ouaga, Abidjan, etc., et s’il y a autant de Britanniques à Lagos, Nairobi, Dar es-Salaam, etc., le dernier Belge n’a-t-il pas déjà quitté la R-dC?

En effet, on en compte plus que sur les bouts des doigts - ces derniers des Mohicans -, environ 4.000, soit ce qu’il y avait d’expatriés dans la seule ville de Kolwezi quand la Légion vînt à sauter sur cette ville du Katanga. Où sont partis les Belges? Et pourquoi sont-ils partis?

Désormais - c’est tellement dur de le dire - mais l’ancienne puissance tutélaire n’a plus aucun intérêt économique. Les trois Belges qui restent - et qui entendent trouver ici leur sépulture sont des personnes nées dans notre pays. Deux Katangais Georges Forrest (le groupe Malta Forrest) et Philippe De Moorlose (garage ATC, Grand Hôtel Kinshasa, la compagnie aérienne Hewa Bora, Karavia Hôtel, marchés de fournitures Demimpex, etc). Un Kinois, William Damseaux arrivé dans notre pays à l’âge de 4 ans, qui s’apprête à passer le flambeau à Jean Claude, son fils, né à Kinshasa.

Après la fin de l’administration ayant tout abandonné avec l’Indépendance - ce qui a jeté tout dans l’anarchie et dont nous payons encore aujourd’hui le prix -, le dernier missionnaire flamand a quitté le pays et c’est le Congo paradoxalement qui fournit désormais sa légion d’abbés à la Belgique. Entre-temps, 24.000 Congolais ont pris la nationalité belge.

Quant aux investissements, il n’y en a guère plus sauf les marchés spéculatifs de fournitures. En clair, rien de très élevé. «Mon souhait est que l’année prochaine il y ait un petit groupe de vrais investisseurs belges qui viennent ici pour redévelopper un certain nombre de secteurs», se lâche Dominique Struye de Swielande qui nous décline les axes prioritaires belges au Congo. À savoir: la sécurisé, l’armée, la police, la justice, les élections, les droits de l’homme, la gouvernance. «Les élections seront plus démocratiques lorsqu’à la date prévue, les Congolais repartent aux urnes», nous dit le diplomate. Ci-après.

Excellence Monsieur l’Ambassadeur, vu de Bruxelles - donc de l’Europe, donc de l’Occident -, le regard est toujours aussi critique sur le Congo … Oui, il est critique je dirais dans la mesure où, peut-être, se focalisant sur les événements journaliers, on oublie une certaine évolution sur une période de dix ans. C’est ça l’avantage ou le défaut de la presse. Je voudrais d’abord, ici, rendre hommage à la liberté de la presse et au rôle que la presse joue dans un pays comme le Congo, en particulier, et dans le monde, en général. La presse doit se jeter quelque part sur l’événement du jour. Et elle a peut-être quelques difficultés à projeter un pays sur un certain nombre de mois, d’années ou de décennies. Donc, il est certain que, si on lit quelque chose, par exemple, une barge qui s’est renversée, attaque d’un camp des Nations Unies, huit Maï-Maï tués, etc., cela apparaît immédiatement à la presse en oubliant l’immense chemin parcouru par le Congo. On cite souvent Sun City, c’est un peu devenu comme une sorte de date symbolique, là où le soleil se levait, avec toutes ces grandes étapes. Puis, des élections et une première législature avec certainement encore de problèmes de sécurité à l’Est. Et même, de temps en temps, des difficultés de sécurité dans d’autres endroits du Congo. Je pense que sur une période de dix ans, globalement, les observateurs neutres, ou positivement critiques, reconnaissent qu’il y a une évolution positive.

Ça c’est au niveau des médias. venons-en aux politiques, aux chancelleries, le regard est toujours très critique… Il est critique mais je dirais d’une façon bizarre, c’est que, de temps en temps, les espoirs qu’on place dans le Congo ne sont pas toujours valorisés et mis en œuvre. Souvent, j’ai l’impression que le monde souhaiterait voir le Congo faire partie des pays qu’on appelle BRUICH, Brésil, Russie, Inde, Chine et connaître un développement très rapide. Peut-être, l’évolution est plus lente, puisque certains souhaiteraient voir le Congo évoluer plus vite. Et là, c’est une forme de critique pour dire que ce pays pourrait encore faire mieux.

Quels sont les secteurs que la Belgique aimerait voir évoluer plus vite? Dans notre approche du Congo, je dirais très clairement que nous avons trois priorités. La première priorité, c’est la sécurisation du pays. Nous sommes tous convaincus que sans sécurisation du pays, ce dernier ne fera pas de réel progrès. La sécurisation englobe la réforme du secteur sécuritaire: l’armée, la police et la justice. La deuxième priorité qui n’a pas d’ordre préférentiel, c’est incontestablement la poursuite du processus démocratique, c’est-à-dire les élections, mais aussi tout ce qui concerne les droits de l’homme. La troisième priorité ou préoccupation, c’est la bonne gouvernance.
De façon très simple, il s’agit d’accroître les revenus de l’État congolais. Il faut que le gouvernement congolais puisse accroître ses propres revenus pour gouverner le Congo et distribuer les avantages sociaux à la population. Voilà des axes prioritaires pour tout élément de gouvernance dans le monde.

Le Congo est un pays post-crise. Si l’on devait hiérarchiser, quel serait le plus important? Je suis tout à fait d’accord que le Congo est un pays post-conflit. Il y a tellement des défis au Congo que je n’aimerais pas hiérarchiser. Mais nous devons accepter les lignes directrices telles que tracées dans la logique. Le Congolais a la vision nationale. Chaque citoyen souhaite d’abord vivre en paix, il attend une amélioration de sa situation quotidienne. Il souhaite s’exprimer au travers des élections démocratiques. Elles seront plus démocratiques lorsqu’à la date prévue, ils repartent aux urnes. Mais il est clair que ce n’est pas le jour suivant qu’ils auront l’eau et électricité. La démocratie est là, c’est le règne de la population. Il convient donc d’assouvir les besoins fondamentaux de la population.

Là est-ce le message dont vous êtes porteur en arrivant à Kinshasa d’autant que votre prédécesseur a eu beaucoup de problèmes? Sans m’opposer à votre façon de le présenter, c’est le message, à mon avis, du peuple congolais. Ce n’est pas le message de l’étranger, mais celui du peuple congolais qui souhaite cette politique. La communauté internationale vient en appui à cette politique. Et c’est pour moi, clairement, la résultante de votre Constitution et des premières élections démocratiques. La communauté internationale ne vient qu’en appui politique. Pour y arriver, c’est là, en tout cas, je le pense, l’une des missions que j’ai reçues. À ce moment-là, celle des relations belgo-congolaises normales et confiantes peut véritablement venir en appui de cette politique. Si, à un certain moment, il y a crispation dans les relations bilatérales, le message d’appui que nous pourrions donner sera toujours mal interprété parce que ce sera vu sous l’angle de crise qu’on exploite à une fin ou une autre. C’est la volonté de tous les pays de la communauté internationale de voir ce pays se développer positivement. Il n’y a personne à ma connaissance qui souhaite voir le Congo dans un état de délabrement, d’implosion, de pauvreté. L’essentiel, c’est que le Congo entretienne avec chacun de ces pays de la communauté internationale, je parle aussi bien de la Belgique que de tout autre pays, des bonnes relations bilatérales en appui de sa politique. Il ne faudrait pas que l’image du Congo soit projetée dans le monde comme la terre de prédation universelle. Donc, il faut savoir faire la différence entre ce que les gens montrent et les intérêts économiques qui se font jour dans les grands enjeux de la globalisation du monde, où chacun est à la recherche d’un ensemble des matières premières.

Quel est l’état de la coopération entre la Belgique et le Congo? Au moment de la normalisation de nos relations, on a signé un document important, définissant un certain nombre de principes qui sont du dialogue franc, ouvert et constructif ainsi que le respect des institutions respectives. Les relations sont basées sur l’égalité et la réciprocité, l’intensification de la coopération. À partir de là, nous avons essayé de donner de la substance à ce message politique. Le dialogue politique est excellent en ce moment-ci. Cela a été couronné par la venue du couple royal à l’invitation du président Kabila. Du point de vue politique, dans le sens le plus noble du terme, les relations sont au beau fixe, c’est d’ailleurs l’expression du président Kabila lui-même. Le deuxième élément, c’est la coopération militaire. Nous avons défini très clairement un axe assez simple, avec comme priorité première, très simple, l’entraînement du 321ème bataillon stationné actuellement à Kindu. C’est un élément extrêmement positif parce que ce bataillon était engagé dans la bataille contre les Enyelés dans l’Équateur. Et maintenant de retour, ce bataillon est à la disposition du chef d’état-major pour être engagé sous d’autres opérations. Troisième pilier, la coopération au développement. Depuis fin 2009, nous avons signé un nouveau programme indicatif de coopération basé sur trois axes prioritaires. Il y a d’abord le désenclavement rural, spécialement en ce qui concerne les bacs et la desserte rurale, ensuite, l’agriculture, c’est-à-dire l’amélioration des filières semencières. Puis, l’éducation, principalement, tout ce qui est école technique et professionnelle. Là, la mise en œuvre prend du temps. Sur ce dossier, je suis prêt à aller plus loin, si vous le souhaiter… Quatrièmement, les échanges commerciaux et économiques. Dans un mois, nous allons recevoir une mission économique d’une cinquantaine d’hommes d’affaires belges qui viennent voir comment faire des affaires au Congo. Entre temps, nous avons eu une vingtaine d’hommes d’affaires congolais en Belgique. Et cinquièmement, nous avons ouvert la Maison Schengen, qui est un centre d’accueil de toutes les demandes consulaires pour faciliter l’accueil et le traitement de dossiers. On n’avait jamais donné autant de visas, même si pour dix visas délivrés, je reçois souvent des critiques pour les deux refus. La Belgique peut encore faire plus, mais cela doit se faire progressivement et dans un esprit de confiance retrouvée.

À propos de la Maison Schengen, qu’est-ce qui a changé? Les Congolais trouvent les conditions d’octroi de visa toujours aussi pénibles? Prenons le point positif. C’est tout d’abord un centre que nous souhaitons être un centre d’accueil et d’introduction de toutes les demandes de visas au nom de la plupart des pays de l’espace Schengen. Dorénavant, le Congolais ne devra plus aller une fois chez les Français, une fois chez les Belges, etc. Nous avons maintenant un guichet d’entrée unique. Et cela ne veut pas dire que c’est la Belgique qui délivre et donne des autorisations pour tous les pays. Deuxième élément, le bâtiment, en tant que tel, est de loin plus beau et plus accueillant que ce que chacune des ambassades avait à offrir individuellement. Maintenant, vous avez une salle climatisée, propre. La prise des empreintes digitales se fait plus rapidement qu’avant et nous avons une procédure de consultation de tous les pays qui s’inscrit dans la logique européenne qui exige dix à quinze jours. Il y a eu quelques soucis au niveau de l’informatique en Europe parce qu’on ne parvenait pas à suivre les demandes. Oui, il y a des refus principalement dans les premières demandes. Dorénavant, toute demande qui se fait sur base d’un document falsifié, sera automatiquement refusée. Je pense que vous sous-estimez le nombre de falsifications de documents que nous recevons. Des ordres de mission signés par des personnes sans qualité, avec des fausses indications en ce qui concerne le point de référence en Europe… Nous sommes très contents que nous sommes au temps de l’électronique. Si un clignotant s’allume, cela prouve qu’il y a une erreur ou une fausse déclaration. Nous traitons les demandes avec rigueur. Et nous suivons en cela une injonction de la présidence de la République, la Tolérance zéro. Vous ne pouvez pas demander à la Belgique de ne pas appliquer une politique congolaise! Le nombre des visas est en croissance. Entre-temps, 24.000 Congolais sont devenus des Belges. On ne peut pas dire que la Belgique a une politique négative pour le Congo. Il y a certaines demandes de visas par les Belges à Bruxelles qui ne sont pas facilement traitées, et le prix demandé ici est moins élevé que celui qui est demandé à Bruxelles à l’ambassade du Congo.

Sur l’arrivée des hommes d’affaires belges, ce n’est pas une première. La venue des Indiens, des Chinois, cela vous fait mal. Est-ce qu’il y a des zones d’ombre que les milieux d’affaires belges voudraient voir s’éclaircir avant de revenir? Avant tout, j’aimerais faire cette précision: la concurrence chinoise n’est pas une mauvaise chose pour nous. Il faut qu’on enlève le mythe selon lequel le Chinois fait peur. Les Chinois ont autant que les Occidentaux le droit d’être ici. Il n’y a pas de péril jaune. Au contraire, l’avantage du Congo, c’est de pouvoir profiter de tout le monde aujourd’hui. Vous êtes une terre d’accueil, vous serez totalement en manque d’intelligence que de vous concentrer sur un seul pays. Laissez jouer la concurrence. N’était-ce pas le but premier de Léopold II de faire de cette terre la plus grande terre de libre-échange au monde? C’est quelque chose de fascinant, l’idée première de Léopold II de soustraire ce pays à une puissance étrangère pour le donner en libre-échange au monde entier. C’est ça, l’État indépendant du Congo de 1885 à 1908. Si je parle d’une mission d’investisseurs, je crains que ça soit une mission des commerçants. Il y a un problème fondamental, c’est qu’il n’y a pas trop d’investissements belges au Congo. Je ne plaide pas coupable parce que je n’ai pas de millions en poche. Mais je sais ce dont le Congo a besoin: ce sont des investissements. Ce n’est pas la coopération qui va sauver le Congo, ce sont les investissements. Il faut pour cela les rassurer dans le besoin premier de faire du bénéfice. Il y a eu des réunions du côté du Premier ministre, mais nous entendons encore quelques plaintes sur l’amélioration du climat des affaires. On peut présenter ça sous forme de la règle de trois. Les investisseurs amènent le capital, ils doivent respecter scrupuleusement, totalement et honnêtement toutes les lois et les textes réglementaires. Ceci sous-entend que les règles et les taxations soient claires, nettes et transparentes. Et, personnellement, je pousse tous les hommes d’affaires belges à respecter scrupuleusement les textes et les lois du pays. Cependant, il y a des choses à faire en ce qui concerne la législation congolaise. Il y a des textes qui remontent à l’époque coloniale. Ce qui demande un nettoyage pour les mettre à jour. Troisième règle, il faut laisser travailler calmement les investisseurs. Quand je vois la FÉC se plaindre de son gouvernement, je me dis qu’on doit améliorer. Puisqu’on a tendance à embêter les investisseurs, je soutiens la FÉC dans certains domaines, notamment la multiplication des taxes. Il y a environ 622 sortes de taxes au Congo. Le 4 novembre, on va publier le nouveau classement de Doing Business. Vous étiez 182e sur 183e, j’espère que vous allez progresser. L’année d’avant vous étiez 176e sur 176e. Certains disent que vous avez fait du progrès et d’autres prédisent de progrès d’ordre de trois ou de quatre places, voire de huit places… Si tel est le cas, c’est que le travail fait dans les différentes feuilles de route montrent que le Congo excelle bien dans le Doing Business qui est le révélateur économique par excellence que le monde entier observe, surtout que c’est publié par la Banque Mondiale. Il y a une timidité belge que j’essaie de transformer en dynamisme nouveau. Les Belges avaient un peu perdu confiance d’investir au Congo suite aux pillages, à la zaïrianisation et au manque d’administration.

Est-ce qu’il ne faut pas aujourd’hui un volontarisme nouveau de la part du gouvernement belge parce que, si on regarde bien, pour les Belges - le Congo peut s’ouvrir autant qu’il veut - investir en Pologne ou en Roumanie, c’est cent fois plus excitant, c’est à côté de Bruxelles plutôt que d’avoir à faire huit heures de vol jusqu’ici? Pourquoi aujourd’hui le Français se trouve chez lui au Mali, au Gabon, au Cameroun, au Sénégal, à Brazzaville et le Belge ne se retrouverait-il pas chez lui, à Kinshasa, et ce vice-versa? Je ressens beaucoup d’appels du pied de la part du Congo vers la Belgique. Le Cinquantenaire de l’indépendance du Congo m’a conforté dans cette idée. Pourquoi est-ce que les Belges ne reviendraient-ils pas beaucoup plus en force? Le manque de volontarisme peut s’expliquer sur plusieurs aspects. Le premier, c’est une audace économique insuffisante. Certains trouvent plus facile d’aller au Brésil, en Chine que de venir ici. Les gens cherchent là où c’est facile. L’image du Congo reste toujours celle d’un pays qui n’est pas facile aux investissements. Deuxièmement, la Belgique est dans une phase de transformation institutionnelle qui peut être un peu trop introvertie mais extravertie vers notre dimension la plus immédiate. Toute notre politique étrangère, et probablement économique, depuis maintenant cinquante ans, est beaucoup plus tournée vers l’Europe. Étant donné que Bruxelles est un peu la capitale de l’Europe, on a découvert, politiquement, une terre d’accès plus facile, un pays très attirant pour nous, comme la Pologne, qui se développe aujourd’hui. Mais il y a aussi des Belges qui ont une forme de complexe pour le Congo. Cela veut dire qu’ils n’ont pas toujours réalisé la chance unique qu’un génie politique nous a donnée, c’est de créer un pays extraordinaire et magnifique, très accessible. Certains en gardent une forme de maladie introvertie. Ils n’arrivent toujours pas à réaliser que la Belgique ne sera grande qu’au travers du Congo, d’une certaine façon. On vit trop bien chez nous et quand on vit trop chez soi, on a moins le besoin de rechercher véritablement de terre nouvelle, pas envie de terre nouvelle à conquérir. Il n’y a presque plus cette race des grands bâtisseurs, des grands colons qui donnèrent toute leur vie au Congo. On n’en a pas beaucoup actuellement parce les Belges sont devenus un peu plus riches et plus tournés sur eux-mêmes. On va essayer de faire plus pour qu’il y ait non seulement des commerçants qui vendent des produits de consommation au Congo, mais surtout des vrais investisseurs qui ouvrent des usines, qui poussent l’industrie productive congolaise, qui font des plantations, et qui sont censés diminuer les importations. Le Congo a besoin d’investisseurs productifs pour transformer sur place tout ce que vous avez ici.

Il ne reste plus que deux ou trois derniers Belges au Congo - en réalité des Congolais puisque tous nés dans ce pays qu’ils ne quitteront pas voulant y trouver leur sépulture. C’est Georges Forrest, Philippe De Moorlose et William Damseaux, celui-ci arrivé au Congo à l’âge de 4 ans et qui initie déjà son fils Jean Claude né à Kinshasa. Quand on regarde le passé belge, c’est un passé d’État, des grandes compagnies à charte appuyées par l’État. Aujourd’hui, la Belgique peut-elle offrir son investissement privé sans l’appui de l’État? Pourquoi le Belge ne veut-il pas prendre un peu de risque dans ce pays? Faut-il tourner la page des investisseurs belges qui réclament tout de Ducroire? La présence belge au Congo était bâtie sur quelques grands piliers. Premièrement, une administration exemplaire. Deuxièmement, un immense effort des missionnaires. Et troisièmement, des colons qui développaient l’agriculture et l’industrie. Le premier pilier a disparu complètement, le 4 juillet 1960. Nous en payons encore les conséquences. Le deuxième est en voie de disparition. Et, curieusement, tout mariage à succès en Wallonie ne doit être célébré que par un curé congolais. Enfin, on reconnaît, certes, l’affaiblissement de l’investissement, pas seulement à Kinshasa mais surtout à l’intérieur du pays. Tout ce qu’il y a eu comme plantations, qui produisaient, par-ci par-là, ont eu des usines à Kinshasa, a disparu. Mon souhait est que l’année prochaine il y ait un petit groupe de vrais investisseurs belges qui viennent ici pour redévelopper un certain nombre de secteurs.

À qui pensez-vous? À tout homme de bonne volonté qui a des millions à investir dans le secteur de l’industrie. Regardez, le textile a disparu au Congo… Le Congo doit être en mesure de protéger sa propre industrie.

Une décision venait d’être prise d’indemniser les victimes de la zaïrianisation dont des Belges. Cela vous satisfait-il? C’est une bonne mesure, mais nous remontons tellement loin dans le passé. Je crois qu’au bout de cinquante ans, vous devez vous adresser à une nouvelle génération des Belges, des jeunes entrepreneurs qui abordent le Congo avec des idées nouvelles de partenariat, et qui ont confiance en des Congolais pour reconstruire conjointement les industries. Il faut aussi des mesures d’accompagnement du gouvernement. Actuellement, dans l’état institutionnel de formation du gouvernement à Bruxelles, il nous faut attendre une nouvelle équipe qui pourrait mettre ça à l’agenda de son programme des priorités.

Entre la Belgique et le Congo, il y a un secteur qui se porte très bien: l’aviation civile. Chaque jour, il y a un avion SN Brussels Airlines qui atterrit à Kinshasa et qui décolle vers Bruxelles. En revanche, pas une compagnie congolaise ne dessert Bruxelles. La Belgique ne tire-t-elle pas les ficelles, profitant de la faiblesse des compagnies congolaises qu’elle aurait pu relever si elle le voulait? En clair, la blacklist n’arrange-t-elle pas la Belgique? Question difficile et complexe. Je sais que chaque mot que je dirais ici sera immédiatement détourné et critiqué par un certain nombre de personnes au Congo. Mais laissez-moi vous dire très clairement qu’il y a dans les faits, actuellement, une position avantageuse pour la Belgique. C’est une position de fait qui n’est pas basée sur une position légale avantageuse. Les relations aériennes entre les deux pays sont régies par des accords aériens qui prévoient cinq fréquences pour chaque pays. Le Congo et la Belgique ont le droit sur base de ces accords gouvernementaux d’exploiter ces fréquences entre Kinshasa et Bruxelles et vice-versa. Mais à la suite d’une longue détérioration des compagnies congolaises, de l’aviation civile en général, on s’est vu dans l’obligation de blacklister les compagnies aériennes congolaises. Si le Congo exploitait ses cinq fréquences et la Belgique, les siennes, il y aurait dix vols réguliers par semaine. Mais suite à l’absence de compagnies aériennes congolaises, SN Brussels a loué deux fréquences congolaises. Actuellement, nous exploitons cinq fréquences belges et deux fréquences congolaises pour lesquelles nous payons de l’argent à LAC.

Ceci étant dit, cette position ne me satisfait pas. Et nous ne bloquons rien. Par exemple, Hewa Bora avait décidé d’exploiter ses fréquences sur la Belgique, malheureusement, cela n’a pas été une réussite du point de vue commercial. En attendant, la Belgique s’efforce, au travers d’une coopération transparente entre l’aviation civile congolaise et la régie des voies aériennes belge, d’aider l’aviation civile à se déblacklister. Non, on ne peut pas dire que nous ne sommes pas honnêtes dans ce dossier. Au contraire, nous faisons de tout notre mieux pour faciliter la réintégration du Congo dans l’aviation civile internationale.

Nous avons une très bonne coopération entre les deux institutions et nous espérons que ces relations vont bien marcher. Par ailleurs, le Congo vient de franchir un pas très important: c’est l’adoption de la loi sur l’aviation civile. Nous espérons maintenant que le gouvernement soumettra rapidement cette loi à la promulgation du Chef de l’État. Ce qui donnera le socle indispensable pour le développement de l’aviation civile au Congo. Ce n’est pas facile, certes. Mais il y a une volonté réelle et honnête de la part de la Belgique de remettre le Congo dans le giron international quoi qu’en disent certaines personnes. Mais en attendant, la lutte au Congo est âpre parce qu’il semble que tout le monde ne souhaite pas voir le Congo se replacer dans la légalité internationale de l’aviation civile.

Que voulez-vous dire? C’est bien simple et clair, me semble-t-il.

On vient de vivre une nouvelle passe d’armes entre Bruxelles et Kinshasa à la suite de la déclaration du ministre Charles Michel. On vous a vu, le jour même, chez le ministre des Finances, Matata Ponyo. Comment expliquer cette remise en cause de l’effacement de la dette et le report pour l’année prochaine de la réunion du Club de Paris? La façon dont vous posez la question démontre combien comment tout a été mal compris. Fondamentalement, et par principe, la Belgique reste le plus grand défenseur de l’annulation de la dette congolaise. Et je peux le démontrer. En fait, la frustration du ministre est facile à expliquer, c’est-à-dire si, éventuellement, l’annulation de la dette était remise en question, cela ne lui permettrait pas d’atteindre en 2010 les 0,70% du produit national brut belge consacré à la coopération. Pour rappel, c’est un élément substantiel en fin d’année.

La frustration du ministre porte sur une certaine inquiétude chez quelques partenaires en ce qui concerne la bonne gouvernance et le climat des affaires. Ils se demandent si l’annulation de la dette est justifiée au regard du climat des affaires qui n’est pas bon. En clair, le ministre Charles Michel veut, d’une part, une annulation de la dette dans le cadre de sa politique belge, mais, néanmoins, il a pris note d’une certaine inquiétude internationale. C’est cela que j’ai expliqué au ministre des Finances Matata Ponyo, parce qu’il revient à un ambassadeur de jeter le pont entre les rives très distantes. Bref, c’est un problème réel, mais nous restons dans l’espoir de l’annulation de la dette.

Dans l’espoir, dites-vous? Oui… Cela doit se décider à Paris… Il faut rappeler que c’est une décision collective, mais certains pays peuvent bloquer. Il n’est pas dit que c’est la Belgique qui va bloquer cette décision. Les réunions qui s’ensuivent, doivent créer un climat positif, lequel permettrait l’annulation de la dette. La Belgique reste fondamentalement, et par principe, favorable à l’annulation de la dette. Cependant, elle doit tenir aussi compte de l’état d’esprit régnant chez certains et il faudra réunir l’unanimité à Paris. La Belgique est d’accord, mais elle ne sait pas y aller seule.

Il y a eu des élections en Belgique. Et cela fait des mois que la Belgique est sans gouvernement. Le pré-formateur, le formateur, etc., ont fait chacun son boulot. Et on ne voit toujours rien venir. Est-ce que la Belgique existe encore? Ou va-t-elle demain exister? La Belgique existe et continuera à exister. Elle est indivisible! Tout simplement parce que tout le monde veut Bruxelles qui est un morceau de gâteau qu’on ne peut partager. Ce qui se passe actuellement en Belgique n’est pas facile à comprendre pour un étranger, c’est vrai. Mais, ce n’est pas aussi catastrophique pour le Belge. Nous vivons dans un système démocratique où les règles sont bien respectées. Il y a eu des élections anticipées parce que le Roi a dissout les assemblées. Mais cela n’est pas exceptionnel lorsqu’il y a un manque de support pour le gouvernement. Les élections ont été transparentes et ont donné dans chaque partie du pays un gagnant. En Wallonie, c’est le Parti socialiste, et en Flandre, la N-VA qui est un parti plus autonomiste et plus à droite. Nous sommes dans une logique avec trop de problèmes à résoudre et où l’on fait travailler l’imaginatif institutionnel au maximum.

Quel type de problèmes à résoudre? C’est une question qui est liée à l’évolution historique de la Belgique. Nous la retrouvons d’ailleurs dans d’autres pays, voire au Congo. Bref, le système politique évolue. Le système politique belge qui était un système unitaire avec un pouvoir central, a eu besoin de la décentralisation au cours des années. Le pouvoir central a cédé à certaines instances, originairement, les provinces et ultérieurement les régions et les communautés, certaines de ses compétences. Maintenant, selon un modèle étatique différent mais qui existe dans plusieurs pays, on donne le pouvoir aux régions qui délèguent au pouvoir central un reliquat de ce pouvoir. La Belgique se trouve dans cette phase de mutation institutionnelle. Les gens disent que tout ce qui concerne les revenus fiscaux, au moins 50%, doivent aller aux deux grandes régions. La solidarité ne se jouera plus que sur les 50% restants. Donc, une question de lutte entre solidarité et responsabilité financières. Le Congo se trouve dans une phase normale de centralisme assez poussé. Mais il tend vers une décentralisation contrôlée. Il n’est pas à exclure que le Congo, dans cinquante ans ou plus, bascule vers un mouvement plus régionaliste. Il y a déjà certaines indications qu’au Congo aussi, on peut vivre ce qui se passe en Belgique. En Allemagne, il y a des lands qui sont beaucoup plus importants que le pouvoir central. Le tout est rendu un peu plus difficile en Belgique du fait de deux langues majoritaires puisqu’il y a trois langues reconnues: le néerlandaises au Nord du pays qui regroupe 60% de la population, le français dans la partie francophone avec 40%. Pendant longtemps, ces 40% ont culturellement dominé la Belgique. Mais, maintenant, d’une certaine façon, les Flamands disent que cette perception doit changer et ils veulent une autonomie. Cela a rendu les relations plus difficiles et tracé une frontière linguistique. Cette frontière n’est pas visible, mais du fait de la différence de prix dans l’acquisition des terres, il y a eu un mouvement massif des Francophones qui ont acheté des terrains en terre flamande. Au point qu’il y a eu jusqu’à 80% de la population dans une commune périphérique de Bruxelles qui sont francophones. Et voilà que ces Francophones disent qu’il faut peut-être faire du français la langue officielle de cette commune. Et les Flamands y sont fermement opposés parce qu’ils sont en terre flamande et les Francophones doivent s’y adapter. Alors qu’en Suisse, l’adaptation est plus normale, chez nous, elle est un peu plus difficile. J’ai essayé donc de vous expliquer simplement une réalité politique qui est difficile à gérer actuellement et qui est rendu difficile d’autant plus que certains veulent une cassure très nette entre cet État central et cet État fédéral. C’est normal que l’accouchement soit plus long et que la période de formation du gouvernement prenne trois semaines, cent jours, trois mois…

Faut-il exclure l’hypothèse d’un visa qui serait demandé d’une part à la Flandre et, d’autre part, à la Wallonie… Je l’exclus parce que le Congolais viendra à l’ambassade de Belgique et cherchera un visa pour la Belgique.

Confirmez-vous que dans les jours à venir, il n’y aura pas un commerce pour l’une, puis pour l’autre région? Vous pouvez toujours dramatiser pour dire un commerce wallon, flamand ou bruxellois. Ce qui n’est pas faux dans le cadre de la décentralisation vers les régions. En effet, les compétences économiques ont été régionalisées.

Excellence Monsieur l’Ambassadeur, il y a quelques années, la Belgique représentait l’idéal démocratique fédéral. Son fédéralisme séduisait les Congolais. C’était l’exemple. Aujourd’hui, on a des difficultés à suivre… Je peux le comprendre pour les Congolais qui sont très attachés à la Belgique parce qu’un certain nombre de difficultés administratives internes en Belgique sont difficiles à comprendre. On ne peut pas voir ses parents se diviser. C’est normal que les Congolais sont le fruit de la Belgique au travers de Léopold II. C’est presque comme un enfant qui verrait ses parents divorcer. Le Congo a des difficultés réelles pour comprendre une certaine évolution de ce qui se passe en Belgique. Nous sommes déjà tellement petits et voir diviser ce qui est petit est difficile à assimiler et à assumer.

Peut-on dire que le divorce n’aura pas lieu parce que l’héritage sera difficile à partager? Je le présenterais différemment. Je dois vous dire que le Belge assumera son histoire dans son entièreté. Mais l’évolution politique a été difficile à comprendre et en fin de compte, quelque part, le bon sens prendra le dessus sous une forme institutionnelle nouvelle. Donc, personne, à ce stade-ci, ne peut vous donner la forme ultime.

Les dernières élections étaient anticipées et elles n’ont très clairement rien réglé. Peut-on exclure l’hypothèse de nouvelles élections anticipées pour régler ce problème récurrent? Je ne peux pas répondre à cette question. Cela appartient au Roi seul.

Où en est-on aujourd’hui en Belgique. Quelles sont les toutes récentes nouvelles des négociations? La situation est très claire. Le Roi a nommé, il y a quelques jours, un conciliateur qui potentiellement a des qualités. En tout cas, d’une part, il est socialiste et, d’autre part, il est flamand. Et le 2 novembre, il va faire un premier rapport au Roi sur sa conciliation. Celle-ci s’est bâtie sur toutes les étapes antérieures. Il y a eu une première mission d’information et une deuxième.

Chacune de ses missions a apporté des éléments d’information. On est déjà d’accord sur 90% des points, mais tout le monde sait que ce sont les derniers pourcentages qui seront les plus difficiles à solutionner. Laissons le temps au temps pour mûrir les esprits, les accommoder et pour réconcilier les deux thèses difficilement réconciliables. Vous ne m’entendez pas prendre position, j’explique pour faire comprendre sans dramatisation.

Peut-on dire que ce qui fâche est une question d’argent? Je ne réduirais certainement pas le problème à une question d’argent, seulement. Il y a une question de fierté et d’identité culturelle dans le chef des différentes communautés.

Est-ce que l’argent n’a-t-il pas redonné de la fierté à celui qui en a, c’est-à-dire le Nord? C’est plus complexe que ça. C’est 180 ans d’histoire!

Excellence Monsieur l’Ambassadeur, on vous a vu à l’Université de Kinshasa pour la remise des publications scientifiques. Est-ce signe que la Belgique est prête à remettre tout ce qu’elle détient sur le Congo? Cet événement me paraît extrêmement symbolique dans la mesure où il s’est agi de la remise de cinq tonnes de documents publics archivés en Belgique et qui n’existaient presque plus au Congo. C’est donc pour permettre aux Congolais de se remettre dans la mémoire congolaise que nous avons pensé poser ce geste. Un pays sans mémoire, sans passé, n’a pas d’avenir. On ne vole pas l’histoire d’un pays et le Congo est en droit de valoriser son histoire.

Cependant, il convient de faire un distinguo entre la restitution intellectuelle et la restitution d’un certain nombre d’œuvres d’art. À ce propos, je pense qu’on doit remercier la Belgique d’avoir sauvegardé une partie du patrimoine congolais dans des conditions de conservation magnifique. Néanmoins, le problème de leur restitution va se résoudre lentement. L’important, c’est d’y avoir accès et c’est peut-être là le grand mérite de la Belgique d’avoir gardé le musée de Tervuren dans son état actuel pour être un centre d’intérêt extraordinaire pour les Congolais.

J’ouvre une brèche pour dire que la coopération interuniversitaire, par exemple, n’est plus de la compétence du gouvernement central mais des communautés. Nous avons trois communautés : flamande, francophone et germanophone. Tout ce qui a trait à l’enseignement et donc à la culture d’une façon générale est communautarisé. Et donc, quelque part, la coopération universitaire joue sur un double pilier : fonds fédéraux et fonds communautaires. Donc, nous favorisons un jumelage entre quelques universités belges et congolaises. En ce qui concerne l’enseignement universitaire, il nécessite beaucoup d’argent. Mais nous accordons des facilités pour le troisième cycle. Laissez-moi vous dire que je suis ébloui par la qualité professorale des enseignants au Congo.

De passage à Kinshasa, la Vice-premier ministre et ministre du Travail Joëlle Milquet a visité l’INPP et la reine Paola a fait autant. Est-ce un signal pour dire que la Belgique s’intéresse plus à l’enseignement technique et professionnel au Congo? L’enseignement technique est l’un des piliers de notre coopération. L’INPP qui est une institution intéressante dans la mesure où il est véritablement soutenu par la coopération japonaise et la coopération belge, forme actuellement les femmes et les démobilisés. Dans la visite de Mme Milquet et de la reine Paola, l’aspect femme était donc très important. En effet, les femmes y apprennent des métiers: la coiffure, la cuisine, etc. Ces métiers, nobles, doivent être valorisés pour permettre aux femmes d’être utiles à la société. Par ailleurs, la formation des démobilisés est pour nous très importante. Le Congo n’a pas une armée pléthorique mais somme toute très grande. Un bon soldat s’épuise avec le poids de l’âge, il n’a pas envie de parcourir le Congo avec femme et enfants. Qu’est-ce qu’il peut faire après? Voilà le vrai problème.

L’affaire Armand Tungulu Mudiandambu est une affaire qui fâche en Belgique. Quand la justice belge s’en mêle, n’est-ce pas une ingérence dans les affaires d’un autre État? Tungulu est un citoyen congolais ayant commis sur le sol congolais un acte que tout le monde désapprouve. Dorénavant, dans l’esprit nouveau des relations bilatérales, un des éléments clés est le respect des institutions du pays. C’est dire que nous respectons les décisions prises, d’une part, par la justice belge et, d’autre part, par la justice congolaise. Ne faisons pas de tout problème, un problème politique. On observe que c’est dans la diaspora congolaise que l’affaire crée de l’émoi. En tout cas, je n’ai pas vu des manifestations des Belges sur cette affaire. Mais nous avons vu quelques Belges aux côtés des manifestants congolais pour un problème des Congolais. La décision du juge belge a été notifiée aux autorités congolaises. Tout naturellement, elles feront opposition devant la justice belge. Le gouvernement congolais peut aller en appel, au-delà de l’appel, en cassation. Présentement, laissons la voie de justice poursuivre son cours. Du point de vue diplomatique, il y a eu des conversations, mais nous n’avons décelé aucun souci allant dans le sens de perturber les relations entre les deux pays. Laissons donc les choses dans leur cadre juridique. La Belgique n’approuve pas le jet de pierre contre un chef d’État. Et la demande d’une enquête suite au décès d’une personne est quelque chose reconnue dans tout pays. Et la Belgique estime qu’il serait bon qu’on ouvre une enquête sur la mort d’une personne. Une pareille enquête se ferait aussi en Belgique lorsqu’un décès survient en prison.

Le Congo qui se prépare à aller aux élections l’année prochaine peut-il compter sur la Belgique? Il faut être très clair à ce propos. Les élections sont des éléments constitutifs de la réalité politique congolaise puisqu’elles sont inscrites dans la constitution. Donc, les élections sont avant tout une obligation constitutionnelle pour les Congolais. Mon impression est que très clairement le chef de l’État et son gouvernement veulent respecter à la lettre et dans l’esprit, quelles que soient les difficultés, les échéances. Je pense qu’il est bon que vous voyiez le rôle de la communauté internationale dans ces élections comme secondaire. La responsabilité première pour les élections incombe aux Congolais. Quant à nous, nous ne pouvons que venir en appui. Il est clair que la Belgique viendra en appui parce que le mardi 26 octobre, elle a annoncé au comité de pilotage des élections une contribution supplémentaire d’une valeur de 12,5 millions d’euros, l’équivalent de plus de 17 millions de dollars. Et l’Union Européenne, dont la Belgique fait partie, a annoncé une contribution de 47,5 millions d’euros, soit 60 millions de dollars. Ce montant de près de 80 millions de dollars vient en appui à l’organisation des élections.

Cet appui peut se traduire ultérieurement aux libertés politiques. En effet, l’UE souhaite envoyer des observateurs pour garantir la transparence des élections. Qui sont, pour moi, l’événement politique majeur de l’année à venir. C’est pour la première fois que chaque Congolais pourra s’exprimer sur la gouvernance de cinq dernières années.

Récemment, une délégation de l’Union Européenne s’est rendue à l’Est du pays. Quel sens donner à cette visite? Nous avons reçu les 27 ambassadeurs du Comité de politique et de sécurité de l’UE. Ils sont venus ici pour voir la possibilité, pour l’Europe, de venir en appui au Congo. Ils sont venus se rendre compte de la situation sécuritaire à l’Est.
À Kinshasa, la mission devait se rendre compte de la démocratie et de la bonne gouvernance parce que ce sont ces deux aspects qui définissent maintenant la politique commune européenne. Le constat est qu’il y a une évolution. Tout doucement, il y a une politique étrangère européenne qui s’installe. Il y a plusieurs éléments remarquables qui se font de ce côté-là. Dorénavant, il n’y aura plus de présidence tournante parmi les ambassadeurs de l’UE à Kinshasa. Ça sera toujours le représentant de l’UE, actuellement l’ambassadeur Zink, qui fera les démarches et parlera autant que possible au nom de l’Europe. C’est un progrès substantiel qui amène d’ailleurs d’autres pays à fermer leurs ambassades parce qu’ils estiment être bien représentés par l’UE. Donc, à travers l’EUPOL et l’EUSEC, il y a une potentialité de donner un profil européen plus grand au Congo. Ils ont vu les autorités du Congo pour en discuter.

Quels pays pensent fermer leurs ambassades au Congo? Je ne peux pas parle au nom des autres, mais, depuis un certain temps, les Polonais et les Bulgares sont partis. Ce n’est pas parce que le Congo n’est plus leur première priorité, mais c’est plus une question d’argent. En effet, les ambassades coûtent cher. Et tout doucement, nous entrons dans une ère où chaque pays ne doit plus avoir son conseiller économique, son conseiller politique. Aujourd’hui, on se rend compte qu’un certain nombre de choses peuvent se faire conjointement. D’ici là, d’autres ambassades vont fermer, mais dans un esprit positif. J’y vois dans cette démarche une facilité pour le Congo d’entrer directement en contact avec les 27 pays de l’UE. C’est une évolution positive, à ma connaissance.

Avez-vous déjà vu le président Kabila en tête-à-tête? Oui. J’ai déjà vu le président Kabila en tête-à-tête, à la grande occasion de la présentation des lettres de créances. Puis, je me tiens à la disposition du chef de l’État, à chaque moment qu’il souhaite me recevoir. Entre-temps, je vais dire que le président Kabila a été en visite officielle en Belgique, il a vu le Roi. Entre les deux hommes, il y a donc des contacts tant que de besoin. Un ambassadeur, c’est un messager. D’abord. Les relations sont tellement bonnes qu’il n’y a même pas besoin urgent d’apporter un message au plus haut niveau.

L’ambassadeur n’est plus désormais l’homme qui apporte la dépêche de sa centrale? Oui, il apporte la dépêche, mais il reste l’élément essentiel dans les bonnes relations bilatérales puisqu’il est à tout moment à l’écoute des difficultés potentielles pour essayer de les aplanir le plus vite et pour donner de la substance et du contenu réel. Les moyens de communication modernes font évidemment que l’ambassadeur n’est plus comme il était, il y a cent ans. C’est-à-dire quelqu’un que l’on dépêchait et attendait trois mois pour obtenir des instructions de son gouvernement.

L’ambassadeur moderne reçoit le coup de fil et les instructions de sa capitale chaque jour. À tous les niveaux, les personnalités de deux pays peuvent communiquer. L’ambassadeur, dans la nouvelle vision, s’occupe de l’image de marque, essentielle aux bonnes relations au travers des interviews, des conférences, etc. Il reste un élément essentiel, même si, dorénavant, il y a beaucoup de choses qui passent au-dessus de sa tête. C’est bien, je m’en réjouis, parce que cela encourage un dialogue franc et constructif. L’ambassadeur, c’est l’incarnation de la réalité politique des relations entre deux pays, deux peuples, deux gouvernements et deux chefs d’État.

Il ne reste plus que 4.000 Belges au Congo, trois entreprises… belges, plutôt congolo-belges. Cela réduit-il la mission d’une ambassade? Il reste quatre ou cinq mille Belges dans ce pays. Je pense que le sens fondamental d’une mission diplomatique, c’est que nous devons profiter de ce cinquantenaire de l’indépendance pour redonner aux relations bilatérales une substance et un esprit nouveaux. Un esprit incontestablement d’égalité, de réciprocité et de respect mutuel. Réveiller tous ces aspects de coopération, de développement, militaire, consulaire est une substance entre deux pays qui ont confiance en eux, qui reconnaissent leurs liens historiques, les assument et qui reconnaissent l’unicité de cette relation dans l’avenir. Il y aura toujours un plus dans les relations belgo-congolaises, et vice-versa que dans toute autre relation que le Congo ou la Belgique aura avec n’importe quel autre pays au monde. On n’efface pas l’histoire.
Propos recueillis par TSHIMANGA DOLAY, POLD KALOMBO, PATIENCE KINVULA, MUYAYA WOWO BUKWE
 
lesoftonline.net

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