mercredi 22 décembre 2010

Côte d'Ivoire: le mot de trop de Sarkozy

Le sentiment anti-français n'est pas une vue de l'esprit en Côte d'Ivoire. Les partisans de Laurent Gbagbo sont regonflés depuis la sortie du président français.


Une manifestation pro-Gbagbo à Abidjan, le 18 décembre 2010. REUTERS/Luc Gnago -

Gbagbo doit partir «avant la fin de la semaine». Nicolas Sarkozy n’a pas résisté au plaisir de donner un petit air hollywoodien à la crise ivoirienne. Un nouvel épisode de la série américaine 24 heures chrono. Avec Super Sarko dans le rôle de Jack Bauer. D’une réplique cinglante, il pourrait chasser le méchant président. Celui qui n’est vraiment pas à sa place et qui doit le comprendre au plus vite.

Imaginait-il déjà Laurent Gbagbo partant d’un pas rapide et furtif, apeuré par la détermination sans faille de l’homme fort des bords de Seine? Boy du joli temps des colonies qui partirait la tête basse, en dodelinant du chef et en se demandant comment il avait pu offenser son bon maître? Il n’en a rien été.

Le coup de semonce du 17 décembre n’a pas fait plier Gbagbo. Bien au contraire, il semblerait que le courroux élyséen ait regonflé à bloc ses partisans. Tout le week-end, la radio télévision ivoirienne (RTI) s’est déchaînée contre la France. La vedette du petit écran n’était autre que Charles Blé Goudé, le «général de la jeunesse», le chef des «patriotes». C’est un habitué de la chaîne: à longueur de journée, même à l’heure où elle diffuse des feuilletons, les lieux et les horaires des prochains meetings de Blé Goudé sont annoncés par des incrustations. Ce week-end, Blé Goudé s’est régalé. Sarkozy lui a offert un superbe prétexte pour se livrer à son sport préféré: le «french bashing».

Gbagbo n'est pas un «sous-préfet» français

Selon Blé Goudé, Sarkozy et les Nations unies ne préparent rien de moins qu’un génocide en Côte d’Ivoire. Mais il compte sur «l’armée de l’éternel» pour défendre le pays menacé par ses innombrables ennemis. Il rappelle que Gbagbo n’est pas un sous-préfet français et que ce n’est pas à Sarkozy de le révoquer. Ses partisans –particulièrement énervés– agitent des pancartes qui répètent ce slogan.

Selon le site Fasozine, les Français risquent de vivre des moments délicats:

«Les Français vivant en Côte d’Ivoire sont à nouveau sur la sellette au nom du supposé impérialisme français que dénonce le clan Gbagbo pour refuser de quitter le pouvoir. Au-delà de cette énième chasse aux Français, c’est une nouvelle tempête qui s’abat sur les relations tumultueuses entre l’Hexagone et la Côte d’Ivoire. Cette fois-ci, c’est la France de Sarkozy qui est accusée d’imposer l’opposant Ouattara à la tête de la Côte d’Ivoire.»

Blé Goudé , tribun volontiers démagogue et xénophobe, jouit d’une certaine popularité chez de jeunes Abidjanais. «Il a le feu vert. Pendant un moment il est resté à l’écart, mais maintenant il est très utile à Gbagbo qui veut garder le contrôle de sa place forte, Abidjan»,explique Rinaldo Depagne d’International Crisis Group.

Le tout nouveau ministre de la Jeunesse invite ses partisans à se préparer au combat final. Et prévient les «ennemis de la Côte d’Ivoire»: s’ils touchent à un cheveu de Gbagbo, il va y avoir du«grabuge». Avec un sourire gourmand, celui qui a mené les manifestations anti-françaises en 2004 annonce qu’il va demander aux patriotes de ne faire aucun mal aux Français. Même s’il note au passage que Sarkozy ne doit pas les aimer beaucoup pour faire de telles déclarations… depuis Paris.

La théorie du vaste complot

Qu’on le veuille ou non, les arguments de Blé Goudé touchent une corde sensible chez une partie des Ivoiriens. Gbagbo a remporté 38% des suffrages lors du premier tour de la présidentielle. Il compte de nombreux partisans qui considèrent que leur pays et «son chef» sont victimes d’un vaste complot. Pour eux, la communauté internationale n’aime pas Gbagbo car c’est l’homme qui veut libérer l’Afrique de l’oppression «néocoloniale». Elle lui préfère Alassane Ouattara, un«libéral qui va faire le jeu des multinationales», selon la RTI. Très caricatural, ce discours fait pourtant de nombreux émules au-delà même de la Côte d’Ivoire.

Un argumentaire développé par Le Bénin aujourd’hui:

«Le problème n’est pas en soi que Gbagbo ou Ouattara ait été élu et qu’il y ait crise post-électorale. Cela n’est que monnaie courante en Afrique. Le véritable problème demeure ce que l’on continue d’appeler pompeusement la communauté internationale et qui n’est en fait qu’un agrégat de puissances occidentales qui jouent les gendarmes en Afrique au gré de leurs intérêts. Cette soi-disant communauté sera comptable des événements consécutifs à sa méconnaissance des réalités ivoiriennes et à sa mauvaise gestion de la crise.»

Cet hebdomadaire de Cotonou ajoute:

«Qu’on le veuille ou non, Gbagbo a bien été élu président en 2000. A partir du moment où la guerre a été déclenchée en 2002 contre un régime légal et légitime, nous sommes en droit de demander ce que cette communauté a fait pour soutenir le régime constitutionnellement établi. Il apparaissait évident que son échec à réunifier et pacifier le pays allait conduire à la situation de chaos actuelle. Dans des affaires qui ne concernent que les Ivoiriens, la communauté internationale s’autorise à soutenir un candidat, en faisant délibérément preuve de vision partiale, partielle et parcellaire de la crise. Un précédent grave qui donne à réfléchir sur la réorganisation de l’ONU même. Et dans cette nouvelle recomposition, l’Afrique devrait hausser le ton pour dire qu’elle n’est plus la terre où l’on peut toujours continuer à s’aventurer comme par le passé.»

Les 15.000 Français vivant en Côte d’Ivoire ne sont pas forcément enchantés de la dernière sortie africaine de leur président. Car les sentiments anti-français ne sont pas que des mots jetés en l’air. Deux journalistes français ont été assassinés à Abidjan: Guy André Kieffer(disparu le 16 avril 2004) et Jean Hélène, correspondant de RFI assassiné le 21 octobre 2003. Une partie de la presse ivoirienne pro-Gbagbo avait d’ailleurs essayé de légitimer l’action de l’assassin de Jean Hélène.

En 2004, après que Jacques Chirac avait fait détruire l’aviation ivoirienne, de violentes manifestations avaient entraîné le départ de milliers de Français. Des «patriotes» agitaient des pancartes: «A chacun son Français.» Des Françaises avaient été violées lors de ces émeutes.

L'ombre de la Françafrique

Pour monter l’opinion contre la France, l’appareil de propagande de Gbagbo fait preuve d’une certaine habileté. La RTI diffuse en boucleFrançafrique, récent documentaire de France 2, qui dénonce avec talent les coups bas de la politique française sur le continent noir. La récente diffusion sur la même RTI du film Hôtel Rwanda ne doit rien non plus au hasard.

Les pratiques prêtées à la «Françafrique» donnent du grain à moudre aux «patriotes» qui veulent diaboliser la France. Ainsi, le documentaireFrançafrique a donné un argument de poids aux partisans de Gbagbo. Dans ce film, des Français expliquent que la présidentielle organisée au Gabon en 2009 a été truquée en faveur d’Ali Bongo. Ils ajoutent que la France était parfaitement au courant et n’a rien fait pour s’y opposer.

«La France ne défend la démocratie que quand cela va dans le sens de ses intérêts. Pourquoi les élections doivent-elles être transparentes en Côte d’Ivoire et pas au Gabon? J’avoue avoir du mal à comprendre. Paris veut juste imposer ses candidats. Mais cette époque est révolue», s’emporte Alain, un Ivoirien, qui n’a pas de sympathie particulière pour Gbagbo.

Gbagbo est perçu par nombre d’Africains comme un «résistant». Le premier qui a osé dire non à la France. S’opposer ouvertement à l’ancien colonisateur. On peut trouver cela ridicule. Car le bilan de ses dix ans de présidence –notamment en ce qui concerne l’économie et les droits de l’homme– est très peu reluisant. Mais on ne peut ignorer ces sentiments.

Les journaux partisans de Gbagbo n’hésitent à pas dépeindre leur «héros» comme un futur martyr de la Françafrique. Selon Notre Voie, l’organe du FPI (Front populaire ivoirien, le parti de Ggagbo), des agents secrets français ont débarqué à Abidjan pour assassiner Gbagbo. Délire paranoïaque, diront certains. Sauf que le documentaireFrançafrique explique justement que la France n’a pas hésité dans le passé à faire éliminer physiquement des dirigeants africains jugés «trop rétifs». Tout comme les Belges ont fait disparaître Patrice Lumumba au Congo.

Dans ce contexte, Paris pourrait peut-être laisser à d’autres le soin de donner des leçons tonitruantes de démocratie. D’autant que l’Elysée n’a pas hésité à adouber la peu reluisante démocratie gabonaise.

Pierre Malet

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