jeudi 23 décembre 2010

Démocrature monarchique en Afrique

Un nouveau modèle de démocratie tropicalisée et chefferisée
La démocratie africaine doit-elle toujours être synonyme de coups de bottes et de répression?


















Le processus de démocratisation en Afrique, depuis la fin de la bipolarisation du monde en 1990 avec la chute du mur de la division Est-Ouest, révèle un paradoxe dans la démocratie africaine.
En effet, pour certains pays, on observe de réelles avancées significatives dans la consolidation des institutions démocratiques. C’est le cas dans des pays comme le Bénin du président Yayi Boni, le Ghana avec l’élection récente de John Atta Mills du parti de l’opposition dénommé le CND ou encore en Afrique du Sud avec l’élection du très controversé Zoulou et leader de l’ANC Jacob Zuma. Cependant, nous observons également chez une certaine classe dirigeante africaine, un nouveau modèle de démocratie tropicalisée influencée par les traditions africaines de nos chefferies et de la monarchie. Il s’agit de la démocrature monarchique ou la dictature démocratique et monarchique. De quoi s’agit-il et quelle est son orientation?

La démocrature monarchique est un gouvernement caractérisé essentiellement par une classe dirigeante qui dure ou aimerait durer au pouvoir ad vitam æternam c’est-à-dire éternellement. Il s’agit pour ces chefs d’État, malgré plusieurs décennies au pouvoir, d’assurer la succession à la tête du pays à son fils, à son beau-fils, à sa fille, à un proche parent ou à un ami de longue date. C’est le cas au Gabon d’Omar Bongo, chef d’État de plus de 42 ans de pouvoir qui prépare, de toute évidence, la passation de la gestion du pays à son fils Ali Bongo, à sa fille ou à son beau-fils, tous membres du gouvernement ou du cercle présidentiel occupant des fonctions de premier plan. C’est également le cas en Guinée Équatoriale du président Obiang Nguema Mbazogo. En RDC, le chef de guerre devenu chef d’État Laurent Désiré Kabila, après sa prise de pouvoir, avait bien préparé la succession de son fils Kabila à la tête du pays malgré son assassinat.
Il s’agit là tout simplement des régimes peu démocratiques voire dictatoriaux portant le manteau de la démocratie. Mais, le drame est surtout d’observer que ce syndrome s’est répandu au Sénégal où l’alternance à la tête du pouvoir a permis l’élection du plus grand opposant aux présidents Senghor et Diouf à savoir Abdoulaye Wade. En effet, les ambitions présidentielles pour 2012 de Karim Wade, le fils du président Wade qui a reçu l’onction de succession de son père connaît un mauvais vent depuis sa défaite à l’élection comme maire de Dakar. Malgré l’échec cuisant de son fils, âgé de 40 ans, aux municipales dans la capitale du pays, son octogénaire de père, au crépuscule de sa vie, vient de nommer son «  fils à papa » au poste taillé sur mesure de ministre d’Etat, ministre de la Coopération internationale, de l’aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures. C’est la preuve que la démocratie sénégalaise s’est plombée depuis l’arrivée de Wade au pouvoir. Karim Wade devient ainsi le premier enfant d’un chef d’État sénégalais à occuper un porte feuille ministériel. C’est ce que l’on peut appeler la gestion patrimoniale du pouvoir en Afrique. Le président Wade, grand maître dans l’art de la séduction dolosive ou à base de tromperies, que j’ai eu l’opportunité d’interviewer lors du sommet de la Francophonie à Québec prouve définitivement qu’il a choisi le camp de Bongo et de tous ceux qui refusent l’alternance au pouvoir et une avancée significative du processus de démocratisation en Afrique. Pourtant, cette volonté manifeste de tropicaliser voire chefferiser la démocratie africaine en y introduisant des éléments majeurs d’un régime stalinien et monarchique présente le danger de plonger les populations de nos Etats dans ce qu’il y a lieu d’appeler «le spectre angoissant du futur». Les évènements intervenus ces derniers jours au Togo entre les enfants du dictateur Gnassingbé Eyadèma, à savoir le désigné président Faure Gnassingbé et son frère Kpatcha Gnassingbé, ancien ministre de la défense soupçonné de complot de coup d’État contre son demi-frère témoignent à suffisance du danger de l’instabilité du nouveau modèle de démocratie en Afrique fortement diluée du respect des droits de la personne, de la liberté d’opinion ou d’association, de la liberté de presse ainsi que de l’alternance à la tête de nos Etats.
Il est urgent que les chefs d’État qui s’arrogent le titre de «président à vie» avec succession à la clé arrêtent cette mascarade qui n’honore pas du tout l’Afrique. Pour ces derniers, la démocratie, dans ce que d’aucuns appellent la version occidentale, n’est pas du tout bonne pour l’Afrique. C’est une aberration sans fondement et sans justification. Il est vrai que de nombreux politologues occidentaux ont affirmé que l’Afrique traditionnelle ne pratiquait pas la démocratie. Cette lecture dénuée de tout fondement d’objectivité de cette «nuée de vautours» a été confortée par le président français Jacques Chirac qui affirmait que l’Afrique n’était pas mûre pour la démocratie. Cette vision complètement fausse de la réalité politique et historique africaines relève de ce que j’appelle la malhonnêteté intellectuelle. En effet, l’arbre à palabre constitue un démenti formel à ces allégations. C’est ici le lieu pour nous d’inviter la société civile en Afrique et les populations à peser de tout leur poids comme au Sénégal pour faire échec à ce nouveau coup de vent malsain. Un mauvais vent qui veut s’enraciner chez une certaine élite dirigeante du continent dont la direction indique assurément qu’on veut éviter la démocratie par l’utilisation moins ouverte mais plus subtile de la dictature monarchique grâce à de nombreux ingrédients connus dans des régimes totalitaires.
Ferdinand Mayega, journaliste-chercheur, Québec, Canada

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