dimanche 26 décembre 2010

J’avais bien dit : Si...


Le débat sur la crise ivoirienne est houleux, donc intéressant et peut-être déterminant pour l’avenir de l’Afrique.
Gbagbo n’est pas un saint, pas plus que Ouattara d’ailleurs...Mais ceux qui affirment, sans nuance, sans aucune tentative d’exercer leur esprit critique que l’un (Gbagbo) représente la dictature et l’autre (Ouattara), la démocratie expriment à mon avis un jugement hâtif. Si, comme l’allèguent les partisans de Gbagbo il y a eu des fraudes massives dans le Nord, ce ne serait pas la preuve d’une pratique démocratique exemplaire de la part de Ouattara et de ses partisans. Et, naturellement, Gbagbo, en s’appuyant sur ces allégations de fraudes pour se faire proclamer vainqueur, n’a pas non plus convaincu qu’il agissait en démocrate. Je n’ai donc pas plus de raison de soutenir l’un que l’autre. Mon problème n’est pas non plus que la prétendue Communauté Internationale ( je sais pourquoi je dis prétendue, car elle n’en est pas une à mon avis ) reconnaisse Alassane Ouattara comme vainqueur des élections. J’avais déjà envisagé les difficultés que Ouattara aurait à gouverner et à réaliser son projet, même avec le soutien de la communauté internationale. Ces difficultés ne me paraissent pas moindres que celles qu’aurait Gbagbo en voulant à tout prix rester au pouvoir.

Avons-nous raison, dans cette affaire, de nous prononcer uniquement en fonction des hommes et de ce que nous croyons connaître de la personnalité et de l’histoire personnelle de chacun des protagonistes ? Gbagbo est ainsi, Gbagbo a fait ceci ou cela...Ouattara a fait ceci ou cela...Et par conséquent... ? Je crois qu’il y a les entourages de l’un et de l’autre, le contexte national en Côte d’Ivoire, mais aussi le contexte international, surtout les rapports avec la France qui jouent un rôle important dont il faut largement tenir compte. Certains ont évoqué, dans le débat sur la Côte d’Ivoire, la comparaison avec Faure Gnassingbé, laquelle comparaison peut être étendue à tous les hommes parvenus au pouvoir par des moyens pas du tout démocratiques et qui font tout pour s’y maintenir. C’est vrai, qu’en un sens, Gbagbo peut être rangé dans cette catégorie et si la comparaison s’arrêtait là, aucun démocrate africain, aucun démocrate au monde ne saurait soutenir Gbagbo.

Mais, je propose de creuser un peu plus profondément le mal dont nous souffrons en Afrique pour trouver ses racines. On dit qu’il faut prendre le taureau par les cornes. Où sont les cornes, c’est-à-dire les forces qui ont aidé Faure Gnassingbé à prendre le pouvoir sans élections réelles ? Et, peut-on comparer ces forces à celles dont Gbagbo a bénéficié ? Faure Gnassingbé a eu un père, c’est-à-dire qu’il a eu, qu’il a encore derrière lui et pour lui une armée dévouée, de l’argent, un réseau de relations mais aussi de pays dont son père garantissait les intérêts au Togo et en Afrique. C’est de tout cela qu’il a hérité. Mais, le plus sûr et le plus flagrant, le plus révoltant aussi pour un Africain, c’est de savoir que Chirac a constitué l’appui le plus déterminant dans la prise de pouvoir de Faure Gnassingbé. Il est évident que Faure Gnassingbé aurait pu s’imposer en utilisant uniquement l’armée de son père, ce qu’il a tenté dans un premier temps.

La prétendue communauté internationale, en fait communauté d’intérêts et de puissances avait d’abord réagi en condamnant le coup d’Etat militaire (comme elle réagit d’ailleurs par rapport à Gbagbo aujourd’hui). Elle ne pouvait faire autrement. Mais, par la suite, la même communauté, menée par Chirac, avait trouvé le moyen de donner une apparence de légitimité au pouvoir usurpé de Gnassingbé, par les fausses élections selon un scénario que nous connaissons tous. La comparaison ici avec le cas Gbagbo est que lui aussi dispose d’une armée qui lui est plus ou moins loyale, plus ou moins fidèle, mais avec ces différences qu’il n’a pas hérité cette armée de son père, qu’en face de celle-ci il y a une armée de rebelles et qu’à côté d’elle, il y a les forces onusiennes et françaises qui dans le conflit se sont plutôt rangées du côté de Ouattara et de Guillaume Soro, ce dernier ayant été le chef de l’armée rebelle. Une différence de taille encore, sur laquelle se base ma réflexion est l’attitude de la France, favorable en 2005 comme en 2010 à Faure Gnassingbé, en situation de coup d’État, de coup de force comme dans celle des mascarades électorales.

Il y a quelques mois, il était question, aussi bien en Afrique qu’en Europe de la célébration des cinquante années d’indépendance des pays africains : presque partout, force a été aux uns et aux autres de reconnaître que le bilan de ces indépendances est négatif. Il y a déjà plusieurs années que beaucoup d’Africains pensent et disent que ces indépendances ne sont que de pure forme. Le défilé du 14 juillet 2010 à Paris auquel presque tous nos chefs d’Etat ont envoyé des troupes ( je n’attache pas tellement d’importance au fait que Gbagbo est l’un des rares chefs d’État à n’avoir pas honoré l’invitation de Sarkozy, mais il convient de le mentionner) est certes un symbole. Mais, comment ne pas chercher à lire ce que contient ce symbole ? Et qu’y lit-on ? La réconciliation, les retrouvailles entre ancienne puissance coloniale et anciens pays colonisés ? Ou l’affirmation du prolongement de cette colonisation ? Loin de moi la simplification qui consiste à crier partout des slogans anticolonialistes, anti-impérialistes etc. Mais il s’agit d’ouvrir les yeux sur notre situation.

Je reviens au mal dont nous souffrons : lorsqu’on en fait le diagnostic, est-il raisonnable de dire que notre situation de dépendance, surtout vis-à-vis des anciennes puissances colonisatrices, n’est pas pour beaucoup dans ce mal ? En quoi les pays d’Asie qui avaient été décolonisés au même titre (officiel) et à la même période que les pays africains et que l’on nous présente aujourd’hui comme émergents, que l’on compare aux nôtres en décrivant leur situation comme nettement meilleure, en vantant leurs progrès, au moins sur le plan économique, en quoi ces pays sont-ils différents des nôtres, de manière intrinsèque ? Les hommes ? Les richesses du sous-sol ? Les rapports avec la prétendue communauté internationale, c’est-à-dire en fait les anciens colonisateurs ?

Il me semble essentiel de savoir que si les hommes qui nous gouvernent depuis les indépendances avaient une attitude d’indépendance d’esprit et de choix par rapport aux anciennes puissances tutrices, que si ces hommes ne devant pas leur pouvoir à ces puissances pouvaient décider plus librement du destin de leur peuple, en fonction des aspirations et des besoins de leur peuple, nous aurions pu faire plus de progrès. J’ai même tendance, c’est peut-être trop simple, à croire que partout où des Africains avaient souhaité une réelle indépendance pour leur pays, sur les plans politique, économique et culturel, les puissances coloniales ont tout fait pour les éliminer physiquement, ou pour les isoler, si elles ne pouvaient carrément les acheter, l’essentiel pour elles étant la défense de leurs intérêts. Les noms de Patrice Lumumba, Abdel Gamal Nasser, Kwame N’Krumah, Sylvanus Olympio, Sékou Touré, Thomas Sankara... nous en disent long sur ce sujet.

J’ai bien dit : si...Si Gbagbo devait subir le même sort face à l’ancienne puissance coloniale que ces hommes, que feront les Africains ? Quel sera leur choix ? C’est certainement réducteur de clamer comme un slogan que tout le mal de l’Afrique provient des anciennes puissances coloniales. Mais, si nous reconnaissons que notre indépendance par rapport à ces puissances n’est pas encore réalisée et qu’elles interviennent de manière intempestive et selon leur gré dans notre processus de démocratisation, non pas pour nous aider à y parvenir mais uniquement pour défendre leurs propres intérêts, pour nous maintenir dans la dépendance, n’est-ce pas primordial pour nous de reconquérir d’abord cette indépendance, de la parfaire, en vue même de la vraie démocratie ? Pour ma part, je crois que nous n’avons pas seulement à lutter contre les dictateurs, mais aussi et en même temps contre ceux qui les installent au pouvoir et les y maintiennent. Les Ewe-Anlo disent : „ gogloa dzi wo nona xafi wo tsona dzodzoe „. (C’est sur le bois tordu que l’on s’appuie pour couper le bois droit). Gbagbo n’est pas parfait. S’il faut s’appuyer sur le bois tordu qu’est Gbagbo pour couper le bois droit, plus haut que notre bras, loin de notre portée, n’avons-nous pas quelque intérêt à tenter cette solution ?

Sénouvo Agbota ZINSOU

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