vendredi 18 mars 2011

L’armée congolaise : une véritable casserole à pression


Publié le  par http://dc-kin.net


Marie-France Cros
Attaques armées, complots réels ou fictifs, désordre organisationnel : la tension militaire est forte. En cause : une armée sous-payée, sous-alimentée.
Les désordres militaires qui se sont accumulés récemment au Congo montrent que, loin d’être stabilisée, la situation demeure explosive.
L’attaque armée, à Kinshasa, d’une villa du président Kabila le 27 février, survenant après celle de l’aéroport de Lubumbashi le 4 février, en ont été les signes les plus visibles. La seconde lie des revendications autonomistes katangaises à un mécontentement quant aux conditions de vie des militaires; la première serait l’expression d’un mécontentement militaire.
Et semble volontairement grossie par les autorités pour permettre « un nettoyage » : on est ainsi passé, en quelques jours, de 20 à 30 assaillants, et de 6 à 7 morts, à « une centaine » d’attaquants, « 19 morts » et 126 arrestations.
 Ces détenus ont été montrés à la presse, qui n’a pas pu leur poser de questions, tandis que les prisonniers, parfois en vêtements de travail, criaient leur innocence. La rumeur court que beaucoup seraient originaires de l’Equateur, d’où sont originaires Mobutu et l’opposant Jean-Pierre Bemba; le MLC, son parti, a dénoncé « la rafle » opérée « à 4 heures du matin, le 3 mars », à sa permanence de Kinshasa.
Mais il y a aussi l’arrestation manquée, fin septembre 2010, à Kinshasa, du général Faustin Munene, chancelier des Ordres nationaux et ex-Tigre katangais (1), qui prit la fuite au Congo-Brazzaville, où il serait détenu. Il a été condamné par défaut par un tribunal militaire à Matadi, le 4 mars dernier, « à perpétuité et au paiement de 5 milliards de dollars » d’amende pour participation à un mouvement insurrectionnel, tandis que 77 autres prévenus prenaient vingt ans de prison « alors qu’ils n’avaient pas d’armes« , diront leurs avocats. Peu d’indications ont filtré sur ces 77 : figurent parmi eux 28 « anciens militaires » mobutistes (et bembistes ?) arrêtés fin décembre au Bas-Congo, ainsi que le directeur d’une chaîne de télévision de Matadi appartenant à Jean-Pierre Bemba, qui organisait des débats politiques. Dans une interview au « Potentiel » de Kinshasa, le 30 juillet 2010, le général Munene estimait que « les officiers doivent être formés et les militaires payés » et l’armée « budgétisée en conséquence ».
Le général Munene ne faisait là que répéter une évidence déjà soulignée par l’empereur Charles Quint au XVIe siècle : il vaut mieux pas d’armée qu’une armée non payée. Or, à cet égard, l’armée congolaise est une véritable casserole à pression.
La coopération européenne Eusec a permis certains progrès, notamment en établissant une chaîne fiable de paiement des militaires (avec carte d’identité digitalisée); on sait ainsi que le Congo compte 152 000 militaires et non 343 000 comme annoncé en 2005.
En outre, ces militaires reçoivent maintenant leur salaire – à l’exception de ceux ayant changé d’unité de leur propre initiative, par exemple, parce que celle où ils avaient été placés comportait trop d’ex-ennemis et pas assez de camarades de l’ancienne faction armée dont ils proviennent; dans ces cas-là, ils ne sont pas payés dans leur nouvelle unité et leur solde, qui arrive à l’ancienne unité, est empochée par un supérieur qui n’a pas intérêt à signaler le départ du soldat.
Cependant, la solde mensuelle (50 dollars pour le soldat, le double à l’officier) est loin de suffire à nourrir une famille et les militaires congolais sont aujourd’hui largement sous-payés et sous-alimentés en plus d’être sous-équipés. Seule exception à cette règle : la Garde républicaine (la garde du président Kabila), forte de 12 000 hommes placés en dehors de la hiérarchie normale, bien équipés (véhicules, armes, uniformes neufs, nourriture correcte) et dont la solde est grossie d’une série de primes.
Avant les élections de 2006, divers pays amis du Congo – dont la Belgique – avaient participé à la formation de brigades « intégrées » (comprenant des soldats de diverses factions ex-ennemies), processus dont on comptait voir sortir une véritable armée nationale. Il n’en reste pratiquement rien aujourd’hui : les 16 brigades intégrées ont été dispersées dans d’autres unités, au gré de mutations, décisions unilatérales d’officiers partis avec leurs hommes rejoindre une unité de leur choix, ou caprice de soldats décidés à obéir au plus vieux d’entre eux originaire de leur région natale plutôt qu’à l’officier en poste.
Il reste en outre de nombreuses unités jamais « intégrées » à l’est du pays. Celles qui le sont (suite à l’intégration accélérée, à partir de janvier 2009, d’ex-maï maï (2) et des ex-rebelles de Nkunda, les CNDP) sont aujourd’hui généralement commandées par d’ex-CNDP, qui le doivent à leur bonne organisation, qualité qui leur a permis ainsi de succéder à d’autres militaires pour mettre en coupe réglée les mines du Kivu afin d’offrir une compensation à leur sous-paiement.
Le processus de démobilisation est, lui, en panne, depuis qu’à la suite du détournement de l’argent qui lui avait été réservé par la Banque mondiale et divers bailleurs de fonds, un processus difficilement corruptible a été mis en place.
(1)Fils des ex-gendarmes de Tshombé; intégrés à l’armée angolaise avant de rentrer au Congo avec Laurent Kabila, en 1996-1997.
(2)Combattants anti-Tutsis venus au banditisme.
(c) La Libre Belgique
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