mercredi 6 août 2014

Pourquoi ce subite acharnement d’Obama sur Kabila? – Partie II

05 août, 2014



A l’heure du Sommet Etats-Unis – Afrique du 5 au 6 août 2014 à Washington, DESC tente, dans une analyse descriptive, de comprendre pourquoi cette attention particulière de l’administration américaine sur la RDC.

Dans la première, nous avons essayé de mettre en lumière des facteurs électoraux, politiques et diplomatiques qui se sont trouvés en collision avec le discours du président américain , Barack Obama, d’Accra de 2009 sur sa politique africaine, difficile à mettre en place dans son premier mandat pour cause d’agenda interne et prioritaire de la politique américaine. 

Dans cette partie, nous allons dans cette deuxième partie tenter de comprendre pourquoi cet intérêt particulier d’Obama sur la RDC et énumérer les signes concrets annonciateurs et prémisses à son activisme en faveur de la RDC.

Pourquoi la RDC et pas d’autres pays africains où sévissent des dictatures similaires ?

De tous les temps, depuis la Conférence de Berlin en 1885, le Congo a toujours occupé une place spéciale du fait de son importance et de sa position géostratégiques de premier plan. 

Ce sous-continent, contenant une très large gamme de ressources naturelles essentielles, est considéré par les géologues comme l’un des plus riches réservoirs de stockage géologique des minéraux sur la surface de la terre, d’importance stratégique pour la production mondiale. 

La RDC participe en outre comme le Brésil à l’équilibre éco systémique du monde. Il est dès lors pas étonnant que son sous-sol et ses diverses ressources soient depuis plus de trois siècles enviés, convoités et spoliés par les puissances du monde.

Selon le géopolitologue respecté Gérard Chaliand (L’enjeu africain, 1984), l’enjeu minier est indissociable de l’enjeu géopolitique en Afrique. De ce fait, l’Afrique entrait progressivement dans une logique géostratégique des perspectives de crise apocalyptique, du fait que les matières premières stratégiques sont considérées avec inquiétude comme étant épuisables. 

Des crises à caractère psycho-dramatico-économico politique (malédiction des ressources naturelles) dont l’épicentre se trouve en RDC, prophétisait-il, il y a 30 ans en pleine gloire dictatoriale mobutienne entourée d’une pléiade de conseillers spéciaux politiques et en sécurité, dont certains s’illustrent encore actuellement, à l’intérieur comme à l’extérieur de la RDC.

Ces fameux ‘conseillers spéciaux’ ont carrément ignoré (ou étaient ignorants) que dans le cadre de l’équation factorielle stratégique de la sécurité (S), que nous avons modélisée dans notre ouvrage [Les armées au Congo-Kinshasa : S=(A+E+D)M], l’anticipation (A) reste un des facteurs constitutifs de la sécurité à ne pas négliger aux côtés de l’efficacité (E) et de la discipline (D) avec lesquels la motivation (M) joue un rôle central. 

Eux qui ont détruit l’armée et les services de sécurité par la démotivation et, l’absence d’anticipation des services de renseignement et de constitution de think tanks chargés de faire des études prospectives et projectives sur l’avenir du pays (le crédo de DESC) se complaisaient à se trémousser inconsciemment dans la rumba et le ndombolo jusqu’à l’aventure militaire de Laurent Désiré Kabila et son conglomérat d’aventurier de l’AFDL. 

Plusieurs de ces ‘conseillers spéciaux’ se sont mis aujourd’hui au service du ‘raïs’, rampant à ses bottes pendant que d’autres sont devenus des évangélistes de la libération d’un Congo mis sous occupation dont ils auraient pu nous épargner n’eût été leurs turpitudes.

Si toutefois l’attention d’Obama est focalisée particulièrement sur la RDC, c’est qu’il a tiré la leçon au cri d’alarme lancé par Jan Egeland, ancien Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires (OCHA) et actuel Conseiller spécial du SG ONUsur les questions de prévention et de règlement des conflits. 

Ce dernier, dénonçant l’hypocrisie et l’indifférence de la communauté internationale à l’égard du drame congolais et conscient de l’importance géostratégique de la RDC, avait déclaré : « si la communauté internationale aidait la RDC à sortir de sa crise politico-économique et sociale, ce pays après quelques années sera à même de s’auto-suffire et d’aider tous ses voisins. » 

Il s’agit là d’une approche géopolitique inspirée de Frantz Fanon qui, en déclarant que «L’Afrique a la forme d’un révolver dont la gâchette se trouve au Congo», voyait en la RDC une grande nation stratégique au cœur de l’Afrique dont le positionnement géographique, l’importance et le rôle stratégique incontournable est indispensable pour le développement de l’Afrique.

Or suivant l’optique systémique interactionnelle où l’on considère l’Afrique noire comme un tout rassemblant un ensemble d’entités étatiques qui interagissent de sorte qu’une modification d’une entité centrale peut altérer positivement ou négativement l’ensemble du système. 

La RDC, en tant qu’état-pivot, est vue par Obama comme ce pays stratégique, capable de jouer un rôle d’influence et régulateur de puissance à un niveau géopolitique continental plus global. Un pays sur lequel il faut insuffler une nouvelle dynamique ‘démocratique’ » afin d’influer sur son voisinage et les autres pays d’Afrique noire encore réfractaires à ce mode de fonctionnement des Etats.

Il y a aussi un facteur psycho-historique et symbolique dans cet intérêt pour la RDC est que pour Obama, agir sur le pays de Lumumba, le héros africain est plus significative qu’agir sur des pays croupions , insignifiants, sans faits historiques héroïques glorieux que sont pour le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi…). Une façon pour Obama de réaliser les étapes ultimes de la pyramide de Maslow :



- Le besoin d’appartenance révèle la dimension sociale de l’individu qui a besoin de se sentir accepté par les groupes dans lesquels il est associé. Pour Obama, il s’agit des Etats-Unis d’Amérique en tant que citoyen américain d’abord, de la communauté afro-américaine et de l’Afrique à laquelle il est lié par son père. Pour le cas de l’Afriue, il s’agit pour lui d’un besoin« relationnel » de l’axe ontologique.

- Le besoin d’estime prolonge le besoin d’appartenance. L’individu Obama souhaite être reconnu en tant qu’entité propre au sein des groupes auxquels il appartient. 

C’est-à-dire le président noir des Etats-Unis et d’origine africaine. Il s’agit également du besoin de se faire respecter (en tant que président des Etats-Unis) et d’être capable d’influencer les autres (notamment la politique africaine ou sa vison du monde)

- Le besoin de s’accomplir ou d’autoréalisation, lequel besoin selon Maslow est le summum des aspirations humaines qui vise à atteindre l’épanouissement personnel ou le rêve de sa vie. En ce, après avoir été le premier président des Etats-Unis, avec un bilan à plus de mi-parcours plutôt positif, il ne lui reste plus qu’à marquer l’histoire autrement. Le Congo de Patrice Lumumba serait un pays phare sur lequel Barack Obama voudrait laisser ses empreintes politiques en Afrique.

Obama s’est toujours décrit comme étant un président pragmatique. Un président rejetant tout extrémisme politique et ultra-religieux, à l’opposé de l’ultra libéral religieux George. W. Bush. 

D’où sa smart power alliant savamment le hard et le soft power, c’est à dire un savant mélange du réalisme politique américain avec une bonne dose d’idéalisme. 

Pour rappel, la « smart power » est pour les politologues Joseph Nye et Suzanne Nossel, une subtile combinaison de hard et soft power qui prône la stratégie d’une « puissance intelligente » attentive au partenariat et à la réévaluation de certains enjeux-clés.

Ainsi, Pour Obama, l’effort principal de sa diplomatie africaine doit se concentrer sur la RDC. 

En effet, en matière géostratégique les États pivots sont considérés comme des pays destinés

 – en raison de leur emplacement stratégique, de leur potentiel économique et poids démographique, et des structures politiques – comme des nœuds importants de la croissance économique, de la stabilité politique et d’importants facteurs structurants de la géopolitique dans les principales régions du monde. 

De plus, un État pivot revêt une importance telle, au niveau régional, que son effondrement peut générer l’instabilité dans les pays voisins et sa stabilité politique et sa croissance économique peuvent être bénéfiques à son voisinage. C’est le cas du Nigeria et de la RDC.

C’est ce que relève le journaliste d’investigation Richard Miniter qui a analysé à la loupe « L’agenda secret neo-conservateur d’Obama ». Une analyse selon laquelle Barack Obama qui affiche la posture d’un non-interventionniste au Moyen-Orient se comporte de plus en plus en « néo-conservateur » en Afrique et se montre fort heureusement plus dynamique. 

Selon lui, le cas le plus dramatique pour les efforts de l’Administration Obama est sans doute celui de la République démocratique du Congo qui serait, pour lui, un « Etat manqué » bien que doté d’importantes ressources en minerais stratégiques. Un pays où l’Administration Obama, de manière étonnante, met l’accent principalement sur la « promotion des valeurs démocratiques ».

En réalité, outre l’intérêt géopolitique des Etats-Unis pour l’Afrique du fait de la guerre froide, manifesté à partir de la deuxième moitié des années 1940, un intérêt ayant largement contribué à la décolonisation de l’Afrique, l’intérêt économique croissant des Etats-Unis pour l’Afrique remonte quant à lui au début des années 1990, après la chute du mur de Belin et l’implosion de l’URSS. 

En effet, en 1994, l’année du ‘génocide’ rwandais, le Congrès américain a demandé au président américain, Bill Clinton, de lui soumettre 5 rapports annuels sur la politique du commerce et du développement par rapport à l’Afrique. 

Cela a abouti en 1996, à l’adoption au Congrès de l’ « African Growth and Opportunity Act » (AGOA) définissant le cadre légal de la libéralisation. Les Etats-Unis ciblent des pays africains en fonction de leurs intérêts économiques, géopolitiques et stratégiques sur le continent et non en fonction de leurs qualités démocratiques : « L’Afrique utile et rentable» (in Les Armées au Congo-Kinshasa). 

L’AGOA qui est dans sa phase 3 est prolongée jusqu’en 2015.
Mais l’activisme d’Obama en faveur de la RDC n’est pas nouveau!

Déjà en tant que sénateur, il avait initié une loi en 2006 sur la RDC. Cette loi dite « Loi de promotion de l’Aide, de la Sécurité et de la Démocratie en République Démocratique du Congo de 2006 » encourage la politique des Etats-Unis, notamment :

(1) D’aider à promouvoir, revigorer, et soutenir le processus politique en RDC…

(2) D’exhorter le gouvernement de la RDC, à ramener discipline au sein des forces de sécurité, en punissant les soldats rendus coupables des violations des droits de l’homme…, en particulier le viol des femmes et des filles comme acte de guerre.

(3) De s’assurer, qu’une fois un gouvernement stable établi RDC, il s’engage à une démocratie multipartiste, à une gouvernance ouverte et transparente , au respect des droits de l’homme et de la liberté religieuse, à mettre fin à la violence à travers le pays, à promouvoir la paix et la stabilité avec ses voisins, à réhabiliter le système judiciaire national et accroître l’état de droit, à combattre la corruption, à instituer des réformes économiques pour promouvoir le développement…

8) De déployer tous les efforts afin d’assurer que le gouvernement de la RDC s’engage à une gestion responsable et transparente des ressources naturelles dans le pays ; … Mette en application l’Initiative de Transparence des Industries extractives (ITIE) en promulguant des lois demandant la divulgation et l’audit indépendant des payements des compagnies, et des recettes des gouvernements pour l’extraction des ressources naturelles.

(9) De promouvoir une société civile viable et valoriser les organisations et institutions non gouvernementales, y compris les organisations religieuses, les médias, les partis politiques, les syndicats, les associations de commerce et d’affaires qui peuvent agir comme une force de stabilisation et de contrôle efficace sur le gouvernement.

Notons ensuite que durant son premier mandat, Le Dodd-Frank Act, une loi de régulation financière adoptée au Congrès et promulguée par le président Obama en juillet 2010 était entrée en vigueur le 21 juillet 2012 aux Etats-Unis. 

Le 22 Août 2012, Obama a ajouté et publié les Sections 1502 et 1502 de la loi Dodd-Frank en vue de ramener la paix dans les zones où sévissent des conflits armés, notamment l’est du Congo. 

Cette disposition réglemente le commerce, le contrôle de la chaîne d’approvisionnement et la traçabilité des minerais par le droit américain de sorte à empêcher que le commerce des minerais de la région ne finance le conflit à réduire l’accès aux ressources financières des groupes armés. 

Le commerce des minéraux dans l’est du Congo fait partie d’une économie de guerre criminelle et de prédation. La Section 1502 de Dodd Frank Act a incité les sénateurs et les congressistes américains à s’investir pour aider à orienter la politique des États-Unis Congo dans le sens qui profite le mieux le peuple congolais, suivant le discours d’Accra.

Enfin, il faut mentionner le récent décret présidentiel de Barack Obama, publié en juillet 2014, dont toutes les dispositions visent à mettre fin à la déstabilisation de la RDC par l’Est et à stabiliser politiquement la RDC, est une actualisation plus concrète de sa loi de 2006. 

En effet, le président américain avait mis en place une task force constituée de parlementaires démocrates américains et experts de l’Afrique pour étudier dans quelle mesure on pouvait actualiser et mettre en application sa loi de 2006. 

En résumé, le décret d’Obama vise à lutter contre toute activité d’un groupe politique ou armé national ou étranger qui a un impact nocif sur la stabilité de la RDC. Il prévoit de sanctionner les auteurs (politiques ou chefs rebelles) de ces groupes ciblés par le décret. Le tout c’est de voir si les sanctions prévues seront efficaces et pourront effectivement changer la donne sur le terrain.

Fin de la 2ème partie (à suivre)
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Jean-Jacques Wondo Omanyundu

A propos deJean-Jacques Wondo Omanyundu est un analyste des questions sociopolitiques, sécuritaires et militaires de la République démocratique du Congo. 

Il est l'auteur de l’ouvrage-référence ‘Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC’ (2013). Jean-Jacques Wondo est diplômé de l’Ecole Royale Militaire de Belgique.

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