lundi 8 novembre 2010

Discours du Président de la République M. Joseph KASA-VUBU le 30 juin 1960


Excellences, mes chers compatriotes,
Au moment solennel où la République du Congo se
présente au monde et à l'Histoire, pleinement
indépendante et souveraine, au moment où nous
ressentons intensément le caractère irrévocable et
définitif du pas que nous franchissons, nous ne pouvons
pas nous empêcher de mesurer la gravité de nos
responsabilités et, dans une attitude de profonde
humilité, de demander à Dieu qu' il protège notre peuple
et qu'il éclaire tous ses dirigeants.
Avant toute chose, je voudrais exprimer ici une émotion,
la reconnaissance que nous ressentons envers tous ces
artisans obscurs ou héroïques de l'émancipation nationale, et tous ceux qui, partout sur
notre immense territoire, ont donné sans compter leurs forces, leurs privations, leurs
souffrances et même leur vie pour que se réalise enfin leur rêve audacieux d'un Congo
libre et indépendant. (Applaudissements.) Je pense à ces travailleurs des chantiers, des
usines, à ces agriculteurs de nos plaines et de nos vallées, à ces intellectuels aussi, à tous
ceux, jeunes ou vieux, qui ont senti monter dans leur coeur un irrésistible idéal de liberté
et qui, quoi qu'il put arriver, ont su rester fidèles à cet idéal et ont su l'accomplir. Je
pense à nos femmes aussi qui, sans faiblir un seul instant, ont su réconforter leurs fils,
leurs époux dans leurs luttes magnifiques et souvent même, se trouver à leurs côtés au
plus près du combat.
À vous toutes et à vous tous, artisans incomparables de la grandeur de Notre patrie, le
Congo Indépendant que vous avez créé vous dit avec émotion sa gratitude infinie et
vous assure solennellement que jamais vous ne serez oubliés.
Tournons-nous maintenant vers l'avenir.
L'aube de indépendance se lève sur un pays dont la structure économique est
remarquable, bien équilibrée et solidement unifiée. Mais l'état d'inachèvement de la
conscience nationale parmi les populations a suscité certaines alarmes que je voudrais
dissiper aujourd'hui, en rappelant tous les progrès qui ont déjà été accomplis en ce
domaine et qui sont les plus sûrs garants des étapes qui restent à parcourir.
Que de différences, en effet, lors de la fondation de notre pays, entre des populations
que tout contribuait à maintenir écartées les unes des autres : sans souligner les
diversités de langues, de coutumes ou de structures sociales, rappelons simplement les
distances énormes qui nous séparaient et le manque de moyens modernes de
communication de la fin du siècle passé. Pour se reconnaître, il a fallu se rencontrer.
Bon nombre de populations vivant aux confins de ce vaste pays se sentaient peu proches
les unes des autres. Vous avez bien voulu rappeler, Sire, combien le progrès des moyens
de déplacement contribua heureusement à enserrer le pays dans un réseau d'échanges
qui servit aussi, et grandement, à rapprocher les hommes. Le développement
économique, de son coté, amena la création de cités de travailleurs et de centres où les
ressortissants des différentes ethnies apprirent à vivre ensemble, à mieux s'apprécier et
où, insensiblement, une certaine osmose s'opéra. Les échanges se multipliant, les
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régions devinrent petit à petit complémentaires les unes des autres et renforcèrent ainsi
leur collaboration. Le développement de l'instruction, la création et la diffusion des
journaux et périodiques, la multiplication des postes de radio, tout cela contribua à la
naissance dans les villes d'abord, dans les milieux ruraux ensuite, d'une opinion
publique d'où, petit à petit, se dégagèrent les éléments d'une véritable conscience
nationale.
La Belgique a eu alors la sagesse de ne pas s'opposer au courant de l'histoire et,
comprenant la grandeur de l'idéal de la liberté qui anime tous les coeurs congolais, elle a
su, fait sans précèdent dans l'histoire d'une colonisation pacifique, faire passer
directement et sans transition notre pays de la domination étrangère à l'indépendance,
dans la pleine souveraineté nationale. (Applaudissements.)
Mais, si nous pouvons nous réjouir de cette décision, nous ne devons pas oublier que
c'est à nous désormais à prendre le relais et à rassembler les matériaux de notre unité
nationale, à construire notre nation dans l'union et dans la solidarité.
Nous disposons pour cela d'un large éventail de moyens, mais il faudra que nous les
utilisions avec sagesse, sans hâte ni lenteur, avec le souci de s'adapter harmonieusement
au rythme normal des choses, sans essouffler les populations par une marche trop rapide
qui les laisserait hors d'haleine sur le bord de la route, mais sans se complaire non plus
dans une admiration béate de ce qui est déjà fait. La conscience nationale pousse depuis
longtemps les populations congolaises vers plus de solidarité : nous aurons à favoriser
plus que jamais ce mouvement de rapprochement national.
Un rôle tout spécial sera dévolu, dans cette recherche d'une plus grande cohésion
nationale, aux institutions centrales du pays et surtout à l'action des Chambres
législatives. Certains d'entre nous, Messieurs les Sénateurs et Messieurs les Députes, ont
pour la première fois, sans doute, côtoyé des élus venant d'autres provinces. Grande a
été leur surprise de constater que votre idéal et vos préoccupations étaient si proches les
uns des autres. J'ai la conviction que vous ferez de ces assises le véritable creuset d'une
conscience nationale toujours plus développée. Nous saurons également, dans tout le
pays, développer l'assimilation de ce que quatre-vingts ans de contact avec l'Occident
nous a apporte de bien : la langue, qui est l'indispensable outil de l'harmonisation de nos
rapports, la législation qui, insensiblement, a influencé sur l'évolution de nos coutumes
diverses et les a lentement rapprochées et, enfin et surtout, la culture. Une affinité
fondamentale de culture rapproche déjà tous les Bantous, aussi le contact de la
civilisation chrétienne et les racines que cette civilisation a poussé en nous permettront
aux sangs anciens revivifiés de donner à nos manifestations culturelles une originalité et
un éclat tout particulier. Nous aurons à coeur de favoriser l'éclosion de cette culture
nationale et d'aider toutes les couches de la population à en percevoir le message et à en
approfondir la portée. Nous aurons là une mission essentielle à remplir, car la culture
sera le véritable ciment de la nation.
Cette recherche, ainsi que la mise en place des matériaux destinés à notre unité
nationale, doit devenir la préoccupation dominante de tous. Aucun habitant de ce pays
ne peut se refuser de participer à cette oeuvre capitale. Nous saurons pour cela, dans ce
vaste chantier de quatorze millions d'hommes qui est notre pays, éclairer et guider tous
ceux qui y oeuvrent dans l'enthousiasme. C'est cette communauté d'efforts, de peines et
de travail qui achèvera le plus sûrement d'unir tous les Congolais en une grande, seule et
solide nation. Nous montrerons ainsi au monde, par nos actes, que nous sommes dignes
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de la confiance que le peuple a placée en nous, et que de nombreux pays nous
témoignent déjà. Nous ne les décevrons pas. (Applaudissements.)
Sire,
La présence de votre Auguste Majesté aux cérémonies de ce jour mémorable constitue
un éclatant et nouveau témoignage de Votre sollicitude pour toutes ces populations que
vous avez aimées et protégées. Elles sont heureuses de pouvoir dire aujourd'hui à la fois
leur reconnaissance pour les bienfaits que Vous et Vos illustres prédécesseurs leur avez
prodigués, et leur joie pour la compréhension dans laquelle Vous avez rencontré leurs
aspirations.
Elles ont reçu Votre message d'amitié avec tout le respect et la ferveur dont elles Vous
entourent et garderont longtemps dans leur coeur les paroles que Vous venez de leur
adresser en cette heure émouvante.
Elles sauront apprécier tout le prix de l'amitié que la Belgique leur offre et elles
s'engageront avec enthousiasme dans la voie d'une collaboration sincère.
Messieurs les Représentants des Pays Étrangers,
Vous avez bien voulu partager nos joies et vous nous avez fait l'honneur de venir
nombreux célébrer avec nous ces journées historiques. Aussi des relations d'amitié
seront-elles faciles à nouer demain entre notre pays et chacun des États que Vous
représentez.
Vous qui voyez autour de vous l'immense enthousiasme qui s'empare de toute la Nation,
vous qui sentez notre désir de réussir et de bien faire, je vous demande de faire
connaître au monde cette image pleine d'espoir que vous emporterez du Congo, et qui
est sa vraie image.
Je proclame, au nom de la Nation, la naissance de la République du Congo.
Joseph Kasa-Vubu, Chef de l'État

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