Révolte de la jeunesse et culture de l’émeute
La révolte du Printemps noir en Kabylie en 2001 a déjà, malgré quelques points particuliers liés à la revendication identitaire et culturelle, préfiguré les révoltes et émeutes postérieures, y compris celles que nous vivons ces jours-ci.
Le vide sidéral en matière d’intermédiation entre les Algériens et le pouvoir politique vient d’être une nouvelle fois constaté, confirmé et déploré à l’occasion des regrettables émeutes que vivent les villes algériennes depuis jeudi dernier.
La vacuité de la classe politique, l’inanité du monde associatif et le discours peu porteur des imams ameutés à la dernière minuté par l’administration pour tenter d’ ‘’assagir’’ les jeunes algériens pris de furie, tous ces éléments montrent qu’en plus des causes immédiates et objectives qui sont derrière le soulèvement des jeunes, une distance respectable sépare dangereusement les populations de leurs gouvernants. Les premières, abattues par des difficultés sociales inextricables, nourrissent toujours une défiance légendaire vis-à-vis des seconds. Ces derniers-haute administration, Collectivités locales et élus- sont gagnés par un épais autisme qui se confirme par la raideur de leur comportement dans les moments de détente et par une peur panique dans le moments de tension comme ceux que l’on est en train de vivre depuis quelques jours.
Un double paradoxe caractérise une telle situation où l’absurde dispute la vedette à l’incurie.
Dans un pays qui met en place des plans de développement qui se comptent en centaines de milliards de dollars (plus de 600 mds de $ depuis l’année 2 000), les ménages en sont encore à exprimer bruyamment leur colère et leur incompréhension face à une adverse fortune qui les éloigne du minimum vital. En outre, dans une conjoncture supposée de relance économique, favorisée par les recettes exceptionnelles que le pays a engrangées pendant les sept premières années du nouveau siècle, les constats d’injustice sociale se multiplient et se dévoilent chaque jour dans un climat putride de corruption et de dilapidation de deniers publics.
Les jeunes d’aujourd’hui, qui ne connaissent d’octobre 1988 que ce que leur ont rapporté leurs aînés, se trouvent, par un triste déterminisme de l’histoire, dans une position où ils sont ‘’appelés’’ à reproduire les mêmes gestes que ceux des desperados d’octobre. Contrairement au mouvement d’émeutes sanglantes d’il y a 22 ans, où la situation économique du pays était des plus critiques (dettes extérieure, risque de cessation de payement,…), la première décennie du 21e siècle est caractérisée par d’immenses disponibilités financières.
Cependant, les tergiversations qui obèrent la politique d’investissement, la lutte des clans pour le contrôle de la rente pétrolière et le désert culturel qui ne permet la naissance d’aucun espace d’intermédiation sociale ont fini d’aboutir presque au même résultat, à savoir la persistance du chômage chez les jeunes, la formation au rabais qui ne permet pas une véritable insertion sociale, le prolongement de notre insécurité alimentaire et un délitement du corps social. Le climat d’émeutes dans lequel sombre aujourd’hui le pays a été précédé d’émeutes sporadiques tout au long de l’année 2010 et pendant les trois dernières années dans différents points du territoire national. Cette tendance primesautière à la ‘’rébellion’’ nous rappelle cette simple vérité que le courant entre gouvernants et gouvernés est loin de passer de façon fluide même si des dizaines de rendez-vous électoraux censés créer cette symbiose ont été organisés depuis le début du nouveau siècle.
La révolte du Printemps noir en Kabylie en 2001 a déjà, malgré quelques points particuliers liés à la revendication identitaire et culturelle, préfiguré les révoltes et émeutes postérieures, y compris celles que nous vivons ces jours-ci. Dans une pétition formulée en Kabylie lors des événements du Printemps noir, un signataire bien identifié par son nom et son prénom, a écrit dans la colonne réservée à la qualité du signataire : « émeutier ».
Dans son élan visiblement ingénu, le signataire ne croyait pas si bien dire en transformant un chef d’accusation en noble profession. Et c’en est presque une lorsqu’on s’arrête sur les compte-rendus quotidiens de la presse de ces dernières années.
La culture de l’émeute est à ce point ancrée dans l’esprit de notre jeunesse qu’elle vient remplir le grand vide dans lequel évolue cette frange importante de notre population en matière d’emploi, de loisirs et de divertissement.
On ne sait par quelle maudite fatalité les cycles d’émeutes se renouvellent d’une façon quasi régulière dans une Algérie qui engrange ses meilleures recettes financières à l’ombre d’un baril de pétrole qui n’est pas loin de 100 dollars.
Pour la petite histoire, c’était au moment exacte où, en 2008, le président de la République réunissait à Alger les walis du pays et des experts pour étudier de plus près les problèmes de la jeunesse-problèmes qui ont pris des proportions inquiétantes engageant la responsabilité des autorités et de la société tout entière-, que des localités de l’Est du pays se sont embrasées dans des émeutes conduites par des jeunes désœuvrés. Ce fut particulièrement le cas de Chetaïbi à Annaba.
Les jeunes ont crié leur colère devant les canaux de communication obstrués. Pour en arriver à cette extrémité- qui a valu aussi des blessés parmi les citoyens et les gendarmes, des équipements détruits et des véhicules calcinés-, les citoyens de ce qui aurait pu être une station balnéaire sur un des plus beaux caps du littoral algérien ont longtemps rongé leur frein et attendu que les autorités locales se penchent sur un isolement socioéconomique inexplicable.
Outre une justice sociale de moins en moins repérable dans un contexte d’embellie financière jamais égalé auparavant, la culture du dialogue et de la communication entre gouvernants et gouvernés se trouve être la marchandise la plus rare en Algérie. Comme le développement est un tout insécable (niveau de vie, santé, culture, éducation,…), le sous-développement l’est d’autant.
Et il est difficile de trouver un autre concept que ce mot générique de “sous-développement’’ pour qualifier ou caractériser cette situation d’anarchie où le citoyen se fait justice devant des canaux de dialogue qui n’ont jamais été bien exploités par les pouvoirs publics si, par malheur, ils ne les obstruent pas. En tout cas, le “sang chaud’’ méditerranéen qui coule dans les veines des Algériens ne peut guère expliquer à lui seul la tendance à l’anarchie et à l’autodestruction. Face à l’opacité et au clientélisme qui caractérisent les actes d’intervention sociale de l’État (logements sociaux, soutiens à certaines catégories de citoyens, …) et devant la fermeture des horizons pour des milliers de jeunes sans qualification ou diplômés chômeurs, toutes les raisons sont les bienvenues pour en faire un tisonnier de la contestation : match de football (même si le club supporté en sort vainqueur), affichage de la liste des bénéficiaires de logements, recrutements sélectifs opérés par un entrepreneur, absence d’éclairage public, détérioration de l’état de la route,…etc.
Le grand risque pour ce genre de révoltes est bien entendu leur récupération par des mouvements politiques naguère disqualifiés. Ayant été instruite par plus d’une décennie de terrorisme islamiste, la société algérienne n’est pas prête à accorder un quelconque crédit à ces voix ‘’compatissantes’’ qui voudraient jeter de l’huile sur le feu pour de bas calculs politiciens.
Du côté du pouvoir politique, et au-delà de la nécessité du maintien de l’ordre public et de l’urgence d’agir sur les leviers du contrôle du secteur commercial, le véritable ordre à rétablir,
loin des bombes lacrymogènes et des tirs de sommation, c’est celui de la justice sociale et de la bonne gouvernance.
La démocratie, ce n’est pas, que l’on sache, seulement des rendez-vous électoraux, mais c’est aussi une culture, une justice sociale et un espace d’intermédiation susceptibles de sublimer le potentiel de violence sociale en actes positifs de travail, de tolérance et de création.
Le vide sidéral en matière d’intermédiation entre les Algériens et le pouvoir politique vient d’être une nouvelle fois constaté, confirmé et déploré à l’occasion des regrettables émeutes que vivent les villes algériennes depuis jeudi dernier.
La vacuité de la classe politique, l’inanité du monde associatif et le discours peu porteur des imams ameutés à la dernière minuté par l’administration pour tenter d’ ‘’assagir’’ les jeunes algériens pris de furie, tous ces éléments montrent qu’en plus des causes immédiates et objectives qui sont derrière le soulèvement des jeunes, une distance respectable sépare dangereusement les populations de leurs gouvernants. Les premières, abattues par des difficultés sociales inextricables, nourrissent toujours une défiance légendaire vis-à-vis des seconds. Ces derniers-haute administration, Collectivités locales et élus- sont gagnés par un épais autisme qui se confirme par la raideur de leur comportement dans les moments de détente et par une peur panique dans le moments de tension comme ceux que l’on est en train de vivre depuis quelques jours.
Un double paradoxe caractérise une telle situation où l’absurde dispute la vedette à l’incurie.
Dans un pays qui met en place des plans de développement qui se comptent en centaines de milliards de dollars (plus de 600 mds de $ depuis l’année 2 000), les ménages en sont encore à exprimer bruyamment leur colère et leur incompréhension face à une adverse fortune qui les éloigne du minimum vital. En outre, dans une conjoncture supposée de relance économique, favorisée par les recettes exceptionnelles que le pays a engrangées pendant les sept premières années du nouveau siècle, les constats d’injustice sociale se multiplient et se dévoilent chaque jour dans un climat putride de corruption et de dilapidation de deniers publics.
Les jeunes d’aujourd’hui, qui ne connaissent d’octobre 1988 que ce que leur ont rapporté leurs aînés, se trouvent, par un triste déterminisme de l’histoire, dans une position où ils sont ‘’appelés’’ à reproduire les mêmes gestes que ceux des desperados d’octobre. Contrairement au mouvement d’émeutes sanglantes d’il y a 22 ans, où la situation économique du pays était des plus critiques (dettes extérieure, risque de cessation de payement,…), la première décennie du 21e siècle est caractérisée par d’immenses disponibilités financières.
Cependant, les tergiversations qui obèrent la politique d’investissement, la lutte des clans pour le contrôle de la rente pétrolière et le désert culturel qui ne permet la naissance d’aucun espace d’intermédiation sociale ont fini d’aboutir presque au même résultat, à savoir la persistance du chômage chez les jeunes, la formation au rabais qui ne permet pas une véritable insertion sociale, le prolongement de notre insécurité alimentaire et un délitement du corps social. Le climat d’émeutes dans lequel sombre aujourd’hui le pays a été précédé d’émeutes sporadiques tout au long de l’année 2010 et pendant les trois dernières années dans différents points du territoire national. Cette tendance primesautière à la ‘’rébellion’’ nous rappelle cette simple vérité que le courant entre gouvernants et gouvernés est loin de passer de façon fluide même si des dizaines de rendez-vous électoraux censés créer cette symbiose ont été organisés depuis le début du nouveau siècle.
La révolte du Printemps noir en Kabylie en 2001 a déjà, malgré quelques points particuliers liés à la revendication identitaire et culturelle, préfiguré les révoltes et émeutes postérieures, y compris celles que nous vivons ces jours-ci. Dans une pétition formulée en Kabylie lors des événements du Printemps noir, un signataire bien identifié par son nom et son prénom, a écrit dans la colonne réservée à la qualité du signataire : « émeutier ».
Dans son élan visiblement ingénu, le signataire ne croyait pas si bien dire en transformant un chef d’accusation en noble profession. Et c’en est presque une lorsqu’on s’arrête sur les compte-rendus quotidiens de la presse de ces dernières années.
La culture de l’émeute est à ce point ancrée dans l’esprit de notre jeunesse qu’elle vient remplir le grand vide dans lequel évolue cette frange importante de notre population en matière d’emploi, de loisirs et de divertissement.
On ne sait par quelle maudite fatalité les cycles d’émeutes se renouvellent d’une façon quasi régulière dans une Algérie qui engrange ses meilleures recettes financières à l’ombre d’un baril de pétrole qui n’est pas loin de 100 dollars.
Pour la petite histoire, c’était au moment exacte où, en 2008, le président de la République réunissait à Alger les walis du pays et des experts pour étudier de plus près les problèmes de la jeunesse-problèmes qui ont pris des proportions inquiétantes engageant la responsabilité des autorités et de la société tout entière-, que des localités de l’Est du pays se sont embrasées dans des émeutes conduites par des jeunes désœuvrés. Ce fut particulièrement le cas de Chetaïbi à Annaba.
Les jeunes ont crié leur colère devant les canaux de communication obstrués. Pour en arriver à cette extrémité- qui a valu aussi des blessés parmi les citoyens et les gendarmes, des équipements détruits et des véhicules calcinés-, les citoyens de ce qui aurait pu être une station balnéaire sur un des plus beaux caps du littoral algérien ont longtemps rongé leur frein et attendu que les autorités locales se penchent sur un isolement socioéconomique inexplicable.
Outre une justice sociale de moins en moins repérable dans un contexte d’embellie financière jamais égalé auparavant, la culture du dialogue et de la communication entre gouvernants et gouvernés se trouve être la marchandise la plus rare en Algérie. Comme le développement est un tout insécable (niveau de vie, santé, culture, éducation,…), le sous-développement l’est d’autant.
Et il est difficile de trouver un autre concept que ce mot générique de “sous-développement’’ pour qualifier ou caractériser cette situation d’anarchie où le citoyen se fait justice devant des canaux de dialogue qui n’ont jamais été bien exploités par les pouvoirs publics si, par malheur, ils ne les obstruent pas. En tout cas, le “sang chaud’’ méditerranéen qui coule dans les veines des Algériens ne peut guère expliquer à lui seul la tendance à l’anarchie et à l’autodestruction. Face à l’opacité et au clientélisme qui caractérisent les actes d’intervention sociale de l’État (logements sociaux, soutiens à certaines catégories de citoyens, …) et devant la fermeture des horizons pour des milliers de jeunes sans qualification ou diplômés chômeurs, toutes les raisons sont les bienvenues pour en faire un tisonnier de la contestation : match de football (même si le club supporté en sort vainqueur), affichage de la liste des bénéficiaires de logements, recrutements sélectifs opérés par un entrepreneur, absence d’éclairage public, détérioration de l’état de la route,…etc.
Le grand risque pour ce genre de révoltes est bien entendu leur récupération par des mouvements politiques naguère disqualifiés. Ayant été instruite par plus d’une décennie de terrorisme islamiste, la société algérienne n’est pas prête à accorder un quelconque crédit à ces voix ‘’compatissantes’’ qui voudraient jeter de l’huile sur le feu pour de bas calculs politiciens.
Du côté du pouvoir politique, et au-delà de la nécessité du maintien de l’ordre public et de l’urgence d’agir sur les leviers du contrôle du secteur commercial, le véritable ordre à rétablir,
loin des bombes lacrymogènes et des tirs de sommation, c’est celui de la justice sociale et de la bonne gouvernance.
La démocratie, ce n’est pas, que l’on sache, seulement des rendez-vous électoraux, mais c’est aussi une culture, une justice sociale et un espace d’intermédiation susceptibles de sublimer le potentiel de violence sociale en actes positifs de travail, de tolérance et de création.
Amar Naït Messaoud
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