mercredi 15 juin 2011

RDC : Un pays plongé dans un « trou noir médiatique »

La République démocratique du Congo (RDC) est-elle maudite ? Depuis plus de 15 ans cet immense pays d’Afrique centrale cumule les conflits et les drames humanitaires… dans l’indifférence générale. Pourquoi les médias internationaux sont-ils plus prompts à couvrir la guerre en Libye, le conflit en Irak ou en Afghanistan, que la catastrophe humanitaire en cours en RDC ? 

Explications sur un pays plongé dans un « trou noir médiatique ».

Trop long, trop compliqué, trop loin, trop cher à couvrir pour les
journalistes, le conflit oublié en République démocratique du Congo
(RDC) ne mobilise pas les médias… et donc pas les opinions publiques.
Pourtant ce vaste pays, grand comme 5 fois la France, en plein coeur de
l’Afrique, est un concentré de catastrophes divers : plusieurs guerres à
répétition, des millions de morts (2, 3 ou 4 millions ?), 1,7 million
de réfugiés, le viol de masse utilisé comme arme de guerre, l’enrôlement
de milliers d’enfants soldats, le pillage des ressources naturelles, un
Etat défaillant dans le top 10 des pays les plus pauvres au monde…
voici le rapide portrait de la situation en RDC. Pourtant, les médias ne
semblent guère y prêter attention alors que 18.995 casques bleus de
l’ONU sont sur place pour la plus importante opération de maintien de la
paix au monde. Afrikarabia a demandé à Marcel Stoessel*, responsable de
l’ONG Oxfam en RDC, de nous éclairer.

Afrikarabia : Qu’est-ce qui explique l’absence de la RDC dans les
médias malgré une situation humanitaire extrêmement préoccupante ?

Marcel Stoessel : Tout d’abord, j’aimerais
confirmer les deux affirmations que vous faites : une situation
humanitaire préoccupante, et une certaine absence de la RDC dans les
médias. Cette absence est assez choquante. Une recherche récente a
montré qu’entre septembre 2006 et avril 2007, il y avait 1.327 articles
référencés sur la RDC, 19.946 sur Israël et les territoires occupés,
29.987 sur l’Afghanistan, et 43.589 sur l’Iraq. Pour moi, il y a
plusieurs raisons à cela :

Premièrement, la population qui souffre se trouve aujourd’hui, dans
des zones très isolées du pays, comme en Haut Uélé, à Shabunda, ou à
Fizi. Il est très difficile et coûteux pour les humanitaires ainsi que
pour les médias d’y accéder. Les problèmes de sécurité et de logistique
sont des barrières importantes. J’ai récemment visité un de nos projets
humanitaires dans un village au Nord de Niangara, en Haut-Uélé (au
Nord-Est de la RDC). Il nous a fallu plusieurs jours pour arriver à
Niangara, et une fois sur place nous n’avons pas vu un seul véhicule de
toute la journée. Souvent les journalistes n’ont pas les moyens
financiers et le temps pour se déplacer dans ces zones reculées. Ils
sont donc forcés de travailler dans les régions plus proches de Goma ou
Bukavu (les principales villes de la région). Dans certaines zones il
manque aussi de réseaux téléphoniques et il est donc difficile
d’informer les journalistes sur la situation humanitaire.

Deuxièmement, les personnes déplacées vivent aujourd’hui
principalement dans des familles d’accueil et non pas dans des camps de
déplacés. En cas de crise, les familles congolaises accueillent très
souvent leurs sœurs et frères réfugiés. Ce n’est pas une mauvaise chose,
bien entendu. Mais la souffrance des personnes vivant dans des familles
d’accueil est visuellement moins impressionnante que lorsqu’il s’agit
de grands camps de déplacés. Il est plus « spectaculaire » pour les
journalistes de faire des photos ou de tourner des vidéos dans ces
immenses camps. Aujourd’hui, les femmes, les enfants et les hommes
souffrent loin des caméras, mais cela ne veut pas dire que leur
souffrance soit moindre.

Troisièmement, les conflits en RDC sont compliqués. Il est plus
facile d’expliquer un conflit binaire « A contre B » dans un contexte
comme la Libye ou en Côte d’Ivoire que de parler de la pauvreté, de la
mauvaise gouvernance, de dizaines de groupes armées, des ressources
naturelles, des tensions intercommunautaires… Je pense aussi qu’il y a
une certaine fatigue avec la RDC, parce que la situation ne semble pas
s’améliorer significativement tout au long de ces années. Pourtant, ce
n’est pas vraiment exact : il y a des solutions et la situation dans
certaines zones s’est améliorée ces dix dernières années. Mais il faut
une analyse approfondie et surtout, il faut de la patience.

Afrikarabia
: Que faudrait-il faire pour que ce conflit soit mieux
couvert par les médias ? Faut-il adopter d’autres stratégies ?

Marcel Stoessel
: Je pense qu’il faudrait
sortir des statistiques et commencer par parler des êtres humains,
derrière les chiffres. Il faudrait pouvoir montrer la famille qui a
accueilli chez elle cinq autres familles déplacées suite à une attaque
d’un groupe armé ; la responsable d’une organisation locale qui a
réussi à améliorer la sécurité du village en parlant avec le commandant
local de l’armée ; le staff local d’Oxfam qui doit même réparer des
pistes d’atterrissage et des ponts avant de pouvoir délivrer
l’assistance, etc… Le célèbre photographe de mode Rankin est déjà venu
deux fois en RDC pour raconter ces histoires très humaines, très
concrètes… et nous devons continuer dans cette direction. Nous avons
aussi un projet de « citoyen journaliste », qui devrait permettre à ces
populations enclavées de raconter directement et sans censure leur
quotidien. Les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter ont un
potentiel énorme pour mettre en contact des personnes des pays
« développés » avec des Congolais. Il y a donc des solutions pour sortir
du « trou noir médiatique ». C’est notre devoir moral de continuer à
tenter de le faire.

(*) Marcel Stoessel est le directeur d’Oxfam en République
démocratique du Congo depuis 2 ans et demi. Cette ONG intervient dans
l’humanitaire, mais aussi dans le développement durable et les
plaidoyers auprès des décideurs politiques ou économiques. En RDC, Oxfam
travaille sur l’accès à l’eau, l’assainissement, l’hygiène, la sécurité
alimentaire, la protection des populations et l’éducation.

Source: Africarabia

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire