dimanche 20 mai 2012

''Il fallait que je rencontre Joseph Kony ''

Betty Bigombe
Portrait de Hélène Michaud
Publié le : 15 mars 2010| Par Hélène Michaud
 
« Lorsque vous êtes en face d’une personne si violente, un psychopathe, vous essayez de vous persuader que ‘cette personne existe vraiment’. Vous souhaitez regarder dans son cerveau pour comprendre pourquoi il fait ce qu’il fait. » 
 
Betty Bigombe, dans un entretien avec Radio Nederland, se rappelle sa première rencontre, dans la jungle nord-ougandaise, avec Joseph Kony, leader de la LRA, l’Armée de Résistance du Seigneur, l’un des rebelles africains les plus recherchés sur le continent.

Madame Bigombe vient de recevoir un prix aux Pays-Bas pour son travail de médiation dans le violent conflit qui a opposé la LRA (ou Lord’s Resistance Army) au gouvernement ougandais.

Le conflit a fait des milliers de morts, environ 80 mille enfants ont été forcés de combattre, et environ 1,7 millions de personnes ont été forcées de fuir.

Face à face

Betty Bigombe est l’une des rares personne à avoir rencontré face à face l’homme qui est tenu pour responsable de ces atrocités. Elle a encore à l’esprit leur premier contact, « comme un drame .

Certains de ses hommes entonnaient des chants religieux et récitaient toutes sortes de choses. Ils ont même versé de l’huile sur moi pour chasser mes prétendues mauvaises intentions. C’était complètement fou ! »

Bigombe était consciente qu’elle risquait sa vie en s’aventurant 15 km dans la brousse. Mais, son désir que la guerre se termine a pris le dessus : « je voulais arrêter les souffrances, c’était ça ma passion. »

Cette rencontre a requis un an de préparations délicates. Médiatrice née, Betty Bigombe savait qu’il fallait d’abord gagner la confiance du seigneur de guerre.

Elle venait d’être nommée « Ministre pour la pacification du Nord » par le président ougandais Yoweri Museveni, et était revenue s’installer dans sa région natale.

Elle se déplaçait dans les camps de réfugiés, écoutant les récits des victimes, ceux et celles dont les lèvres, les nez et les membres avaient été coupés par les rebelles.

Progressivement, elle a pris contact avec les commandants de Joseph Kony, par l’intermédiaire de leurs femmes dans les villages et les camps.

« La situation était parfois très déprimante : les gens avaient faim. Il y avait des morts, et parfois un sentiment de désespoir, mais était-ce possible de se détourner de tout cela » ?

Juste une “fille”

En tant que jeune femme, elle l’a pas été prise au sérieux. Pourquoi le président avait-il mandaté une « fille » ? N’avait-il pas vraiment l’intention de mettre fin à la guerre ? Etait-elle peut-être sa maîtresse ?

Sa détermination a été mise à l’épreuve, en commençant par Kony lui-même. Après avoir annulé deux rendez-vous, il a finalement accepté de la rencontrer. Ils ont parlé pendant 5 heures, jusqu’à la tombée de la nuit.

Ce n’est que lorsqu’il commença à l’appeler « mère » dans leur langue commune, l’Acholi, qu’elle cru avoir remporté une victoire sur le plan psychologique, car « il est impossible à une mère de vouloir faire du mal à ses enfants ».

Betty Bigombe croit à l’art de la négociation. L’on ne peut pas commencer à faire confiance à son ennemi du jour au lendemain. Elle n’est pas d’accord avec l’ancien secrétaire d’état américain Henry Kissinger, qu’elle cite de mémoire.

Selon lui, « il faut d’abord les tirer par les couilles avant qu’ils n’acceptent d’ouvrir leurs cœurs. » Il faut du temps, il faut travailler dans les coulisses et voir qui est modéré, qui est dans le camp des extrémistes. « La personnalité des uns et des autres est très importante. »

Trahie

Sa patience a porté ses fruit, mais pas pour longtemps. Des négociations avec la LRA ont fini par faire taire les armes, mais la signature d’un traité de paix en 1994 a été annulée à la dernière heure par le gouvernement Museveni .

Se sentant trahie par ceux qui avaient des intérêts dans la poursuite des hostilités, Betty Bigombe quitta la région pour accepter un poste au sein de la Banque mondiale à Washington. Les combats reprirent.

Elle revint en Ouganda pour relancer le processus de paix en 2003. A nouveau, elle chercha à rencontrer les rebelles, cette fois avec le soutien de la communauté internationale, ‘car cela ajoute de la crédibilité aux pourparlers.

Elle engagea aussi des pourparlers avec le gouvernement soudanais qui fournissait les rebelles en armes. Un nouvel entretien avec Joseph Kony qui maintenant faisait face à des accusations de la Cour pénale internationale ( CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l ‘humanité, incluant meurtres, viols et esclavage sexuel.

Koney était « plus sophistiqué » cette fois, dit-elle. Il avait plus de demandes, mais c’était le même Joseph Kony qui parle trop et qui essaie de justifier tout ce qu’il a fait.

Avec un mandate d’arrêt de la CPI à son encontre et les troupes ougandaises à ses trousses, Joseph Kony se cache apparemment dans le sud du Darfour , avec la protection du gouvernement soudanais.

Reconstruction

Les armes se sont tues dans le nord de l’Ouganda, mais les blessures au sein des communautés sont profondes, déplore-t-elle. Il faut non seulement reconstruire les infrastructures, mais aussi « reconstruire des vies ». Et il faut que justice soit faite.


Betty Bigombe espère que le leader de la LRA sera arrêté, car lui et ses rebelles continuant de semer la souffrance dans la région, notamment en République Démocratique du Congo, en Centrafrique et au Soudan.

La dernière fois qu’ils se sont parlés remonte à novembre 2008. Il n’ose plus décrocher son portable.
 
 

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