jeudi 4 juin 2015

Congolais, peuple sans mémoire...

 
Armand Tungulu Mudiandambu

«C’est la mémoire qui fait votre identité ; si vous avez perdu la mémoire, comment serez-vous le même homme ? », a pu dire Voltaire.

Le monde associatif en général et les organisations congolaises de défense des droits de l’Homme en particulier commémorent ce lundi 1er juin 2015 un bien douloureux anniversaire : l’assassinat du défenseur des droits humains Floribert Chebeya Bahizire et de son chauffeur Fidèle Bazana Edadi. 


Les faits se sont passés au Quartier général de la police nationale. « Floribert » est allé répondre à une invitation de John Numbi Banza Tambo, alors patron de la police congolaise. La suite est connue.

L’annonce de la disparition de ce valeureux fils du pays provoqua un tollé d’indignation à l’intérieur et à l’extérieur du pays. 


Des manifestations monstres furent organisées dans les principaux pays où résident des membres de la diaspora congolaise. Chebeya et Bazana ont été victimes de la barbarie autant que de la folie humaine.

Cinq années après, plusieurs questions hantent les esprits : Que sont devenus tous ces « indignés » qui réclamaient à cor et à cri « toute la lumière » sur ce qu’ils qualifiaient de « double crime d’Etat » ? 


Pourquoi la commémoration de ce tragique événement ne suscite-t-elle plus ni émotion, ni réflexion ? 

L’homme congolais serait-il un homme sans mémoire ? 

L’homme congolais serait-il un « émotif primaire » qui passe vite à « autre chose » après quelques vociférations et larmes?

Il importe de rafraîchir la mémoire collective sur quelques événements tragiques oubliés. Des événements ayant suscité des larmes et des cris au cours des quinze dernières années. 


Des événements "oubliés" qui collent pourtant à la peau des « oligarques » au pouvoir telle une malédiction.

Le 16 janvier 2001, Laurent-Désiré Kabila meurt dans des circonstances non-élucidées à ce jour. Dans son allocution d’investiture, le 26 janvier, le nouveau chef de l’Etat en l’occurrence «Joseph Kabila», prit l’engagement de faire « toute la lumière » sur cet homicide. 


« Je rassure le peuple congolais qu’une enquête judiciaire est déjà ouverte afin que la lumière soit faite sur les circonstances de l’assassinat de l’illustre disparu », déclarait-il. 

Le procès des « assassins » du défunt président a laissé plus de zones d’ombre que de lumière. Quatorze années après, la disparition de Mzee reste une énigme politico-criminelle. Ce dossier judiciaire a été apparemment classé.

Il apparaît aujourd’hui que l’«engagement» pris par «Joseph Kabila» le 26 janvier 2001 annonçait en réalité l’avènement d’une ère de "crimes sans coupable" et surtout d’une « justice » aux enquêtes indéfiniment « en cours ». Bizarrement, l’appareil judiciaire n’a jamais été à ce point inféodé à la Présidence de la République.

Des crimes non-élucidés

Outre l’affaire Chebeya et Bazana, quelques crimes célèbres, non-élucidés, méritent d’être rappelés pour raviver la mémoire collective :

Dans la nuit du 28 au 29 septembre 2003, Steve Nyembo Mutamba, directeur des ressources humaines à la DGI (Impôts) est exécuté à son domicile au Quartier Binza-Pigeon dans la commune de Ngaliema. 


A preuve, après avoir accompli leur forfait, les tueurs ont sectionné l’appareil génital de leur victime et brûler son corps. Accusé d’avoir commandité cet homicide, l’ex-tout-puissant procureur près la Cour d’ordre militaire, Charles Alamba Mungako n’a jamais cessé de clamer son innocence. 

Il croupit dans une cellule de la prison de Makala. Selon des témoins, des limousines de la Présidence de la République venaient souvent chercher «Steve». Qui envoyait ces véhicules pour chercher « Steve », connu comme un don juan? Jaynet « Kabila »? Mama Sifa? Mystère. 

Des témoins assurent que l’«opération» aurait été accomplie par des éléments de la garde présidentielle, l’ex-GSSP. Il semble que les vigiles de « Mamba protection » appelés à la rescousse ont été empêchés d’approcher la maison de Nyembo par des éléments de la garde présidentielle.

Le 31 juillet 2005, Pascal Kabungulu, défenseur des droits humains, est abattu à Bukavu par des hommes armés non autrement identifiés. Il était le secrétaire exécutif de l’Ong «Héritier de la justice». Dix années après, le procès des présumés assassins tarde à faire éclater la vérité.

Dans la nuit du 2 au 3 novembre 2005, Franck Kangundu dit «Ngycke», journaliste au quotidien «La Référence Plus» et son épouse, Helène Mpaka, sont abattus devant le portail d’entrée de leur résidence. 


Selon des investigations menées notamment par l’Ong « Journalistes en danger » (JED ), il apparaît que Ngycke aurait été abattu pour avoir divulgué un «secret d’Etat». Il est question d’un «don» d’un import de 30 millions USD que «Joseph Kabila» aurait offert au gouvernement tanzanien. 

Le 2 novembre 2005, les policiers de la tristement célèbre DRGS ou « Kin Mazière » - où trônaient les colonels Raüs Chalwe et Daniel Mukalay - ont procédé à l’arrestation du journaliste Patrice Booto Luafa. Editeur des journaux «Le Journal» et «Pool Malebo», Booto est accusé d’avoir fait publier l’information relative au fameux don présidentiel. 

Franck Ngycke l’avait-il tuyauté ? Booto a-t-il révélé le nom de sa source sous la torture? La suite est connue.

Dans la nuit du 7 au 8 juillet 2006, le journaliste Louis Mwamba Bapuwa est assassiné dans sa maison dans la commune kinoise de Matete. C’était à quelques semaines de la tenue du premier tour de l’élection présidentielle. 


A l’instar d’autres Congolais, Mwamba était indigné par le soutien plus qu’apparent accordé au président sortant «Joseph Kabila» par la « communauté internationale». 

Dans un article publié dans «Le Potentiel» daté du 10 juin 2006, il stigmatisait le rôle du royaume de Belgique et de la France dans la formation des forces de sécurité, dévouées au président-candidat « Joseph Kabila ». 

Bapuwa relevait par ailleurs qu’à côté de la garde présidentielle, « Kabila » dispose d’une police modernisée sans compter des polices privées de gardiennage qui sont sous son influence. 

Il poursuivait : « (…) Joseph Kabila est déjà choisi par les puissances occidentales comme président de la RD Congo pour pouvoir couvrir les contrats léonins déjà signés et confirmer la suppression de la loi Bakajika (la terre appartient à l’Etat) (…) ». 

Dans un article publié le 6 juillet 2006 dans « Le Phare», Mwamba fustigeait le silence de la «communauté internationale» face à la corruption ambiante.

Le 13 juin 2007, le journaliste Serge Maheshe, secrétaire de rédaction de la radio Okapi à Bukavu est abattu par deux individus non identifiés dans la commune d’Ibanda. 


Le procès ouvert au tribunal de Garnison de Bukavu n’a pas permis de mettre la main sur les véritables assassins. Les observateurs sont unanimes à reconnaître que « le procès en première instance a été entaché de nombreuses et graves irrégularités ». C’est le cas notamment du caractère « sommaire » de l’enquête pénale.

Le 13 mars 2008, l’homme d’affaires kivutien Albert Prigogine, connu également sous le patronyme de Ngezayo Safari, est abattu alors qu’il était au volant de son véhicule à Goma. 


Les faits se sont déroulés à proximité de la résidence du gouverneur de la province du Nord-Kivu. Sept années après, des questions restent sans réponses : Qui a tué Ngezayo ? Quel en est le mobile? Qui a commandité le crime? 

Dans une lettre ouverte datée du 30 juin 2008 adressée à « Joseph Kabila », la famille du défunt accuse une «maffia militaro-financière» qui, selon elle, a pris le contrôle de l’appareil d’Etat. 

«Ce sont des militaires gradés, membres de votre armée, qui ont préparé l’assassinat. C’est un des hommes d’affaires les plus influents de la province, très proche des autorités de la ville, qui en fut le commanditaire et ces dernières étaient informées voire favorisé l’exécution de feu Albert Prigogine et le sabotage de l’enquête officielle», écrivait la famille. L’histoire ne dit pas si l’enquête avait pris en compte la version de la famille du défunt.

"Un tueur froid aux mains propres"

Début juillet 2008, le député et vice-président de l’assemblée provinciale de Kinshasa, Daniel Boteti, est abattu à Binza Macampagne, non loin du palais de marbre, un secteur contrôlé par des éléments de la garde présidentielle, rebaptisée « Garde républicaine ». Boteti revenait d’une fête de mariage. Quatre militaires de cette unité ont été cités par des témoins.

Le 21 novembre 2008, Didace Namujimbo, correspondant de radio Okapi à Bukavu, est tué par des « inconnus ». Ceux-ci l’attendaient près de son domicile aux alentours de 21h30. 


Selon certaines sources, Serge Maheshe et Didace Namujimbo ont été tués à l’époque où la direction provinciale de l’ANR Sud Kivu était dirigée par un certain Elie Lungumbu. 

Pour la petite histoire, celui-ci fait partie des proches de Néhémie Mwilanya Wilondja, le tout nouveau directeur du cabinet présidentiel. Il serait également proche de Zoé « Kabila ».

Le mercredi 29 septembre 2010, le Bruxellois Armand Tungulu Mudiandambu, 43 ans, est battu à mort par des membres de la garde rapprochée de «Joseph Kabila». Les faits se passent sur l’avenue du 24 novembre à Kinshasa. 


"Armand" est accusé d’avoir « caillassé » le convoi présidentiel. 

Le 2 octobre, le Parquet général de la République annonce la mort de Tungulu par «suicide» dans un cachot du Camp Tshatshi, base de la garde présidentielle. La nouvelle est accueillie comme un coup de tonnerre dans les milieux des Congolais de la diaspora. 

Pire, le corps du défunt est inhumé en catimini - dans une fosse commune? - fin décembre de cette même année.

Le 8 septembre 2013, l’avocat kinois Kahasha Ka Nashi, cadre dans le parti UDEMO, est abattu dans la nuit de samedi 7 à dimanche 8 septembre 2013 vers 1 heure du matin. Les faits se seraient déroulés devant la résidence familiale. Les assaillants étaient au nombre de "six hommes armés habillés en civil"

Le 24 novembre, c’est l’assassinat à Kinshasa de Lajos Bidiu Nkebi Nkebila, président de MLC/Bas-Congo. Il a abattu par des "hommes armés".

Le 2 janvier 2014, l’opinion apprenait avec stupeur l’assassinat du colonel Mamadou Moustapha Ndala, commandant du 42ème bataillon commando de l’armée congolaise déployé au Nord Kivu. 


Selon la thèse officielle, l’officier et ses gardes du corps ont été victimes d’un attentat à la roquette mené par des rebelles ougandais de l’ADF-Nalu .

Le 18 janvier 2014, le capitaine Moïse Banza, ancien aide de camp du colonel Mamadou Ndala, est arrêté par des éléments de la garde prétorienne de « Joseph Kabila ». Banza s’apprêtait à accorder une interview à des journalistes français. Allait-il donner sa "part de vérité"? 


Dans une déclaration faite à RFI, le ministre des Médias Lambert Mende Omalanga d’assurer que ce sous-officier « était recherché depuis près d’une semaine afin d’être entendu par la justice militaire». Moïse Banza n’a plus été revu en vie. Il était étrangement absent tout au long du procès de son défunt « chef » à Beni.

Il est clair que le Congo dit démocratique est dirigé par un "tueur froid aux mains propres".

Il faut espérer que ces faits criminels non limitatifs sauront réveiller la capacité d’indignation en chaque citoyen congolais. Il est plus que temps que les citoyens de ce grand pays cessent d’afficher l’image d’un peuple insouciant et sans mémoire. 


Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. Le peuple congolais doit avoir une mémoire en éveil. Une mémoire qui doit servir de moteur à l’avènement d’une société juste dont ils seront fiers parce que respectueuse de la vie et de la dignité de la personne humaine. 
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Baudouin Amba Wetshi
© Congoindépendant

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