samedi 5 septembre 2015

«Ntaganda a opté pour la reddition parce qu’il était lâché et isolé»

mercredi 2 septembre 2015


Bosco Ntaganda, lors d'une cérémonie d'intégration de combattants rebelles au sein des forces armées congolaises, en janvier 2009 dans le Nord Kivu.AFP PHOTO/Walter ASTRADA

C'est aujourd'hui, mercredi 2 septembre, que s'ouvre à La Haye le procès de Bosco Ntaganda, poursuivi devant la Cour pénale internationale pour 18 chefs de crimes de guerre et crimes contre l'humanité. 


Un procès très attendu en République démocratique du Congo puisque les faits qui lui sont reprochés se sont déroulés en 2002-2003 en Ituri, dans le nord-est du pays. 

Retour sur les enjeux du procès et le parcours de ce chef de guerre qu'on surnommait « Terminator » avec Séverine Autesserre, professeure associée à l'université de Columbia et spécialiste de la consolidation de la paix en RDC.

 

Séverine Autesserre, maître de conférences à l’université de Columbia, aux Etats-UnisSource : http://kroc.nd.edu

RFI : Que sait-on du parcours de Bosco Ntaganda ?

Sévérine Autesserre : Bosco Ntaganda, en fait, a appartenu à beaucoup de groupes armés congolais, principalement dans le nord et le nord-est du Congo. Il était au début dans l’armée rwandaise et puis il est passé dans le groupe rebelle qui s’appelait le Rassemblement congolais pour la démocratie.

Il est ensuite passé en Ituri où il a fait partie de l’Union des patriotes congolais et c’est pour les actions qu’il a commises avec l’UPC qu’il est justement en procès avec la CPI. 


Après l'Ituri, il a été à nouveau dans la province du Nord-Kivu au Congo, où il a été le chef d’état-major du CNDP ; puis il a été l’un des fondateurs et l’un des commandants du M23 en 2012 et 2013.

Et ce qui est intéressant, c’est qu’il a été inculpé par la CPI en 2006 mais a refusé de se rendre pendant plusieurs années et qu’il a même occupé un poste de général au sein de l’armée congolaise de 2009 à 2012. 


Et puis après ça, il a fait défection, il a créé le M23, et en mars 2013, coup de théâtre, il s’est rendu à l’ambassade américaine à Kigali et il a demandé à être transféré à la Cour pénale internationale.

Que sait-on sur les conditions de cette reddition ?

On pense que deux facteurs principaux ont joué. Il y avait des dissensions internes au sein du M23 : il y avait des combats entre la faction Bosco Ntaganda et la faction Sultani Makenga, et la faction de Ntaganda venait de perdre des combats. Il avait perdu le contrôle de son groupe armé. 


L’autre facteur, c’est que manifestement il avait perdu ces soutiens internationaux du Rwanda et d’autres pays. Il se retrouvait donc complètement isolé et pour lui, à ce moment-là, il était préférable de se rendre à la CPI et de décider de prendre option du procès plutôt que de rester à l’Est du Congo et risquer de faire tuer.

La Cour pénale internationale le poursuit pour treize chefs de crime de guerre, cinq chefs de crime contre l’humanité. Que lui est-il reproché ?

Il lui est reproché d’avoir commis des viols, des meurtres ; d’avoir ordonné des pillages, des persécutions ; d’avoir recruté et utilisé des enfants-soldats. Tout ça pour les actions qu’il a commises en 2002 et 2003 en Ituri, lorsqu’il était un des commandants militaires de l’UPC, l’Union des patriotes congolais.

En Ituri, à ce moment-là, il y avait des combats entre des différents groupes ethniques, les combats avaient commencé en 99 et opposé principalement les Hema et les Lendu. Il y a eu plus de 60 000 morts dans les combats de l’Ituri. 


Ntaganda faisait partie de l’UPC, c’était le chef des opérations militaires. L’UPC était un groupe principalement Hema qui a été responsable du massacre de nombreux civils non Hema, donc principalement Lendu. 

Il y a un cas qui ressort notamment dans les débats de la Cour pénale internationale, c’est le massacre de 800 civils principalement Lendu dans une ville minière qui s’appelle Mongbwalu et qui s’est passé en 2002.

Il est poursuivi pour les crimes commis en Ituri, qui remontent à 2002 et 2003, mais pas pour son rôle à la tête du M23 en 2012. Est-ce qu’il n’y a pas là une limite de la CPI qui juge les faits plus de dix ans après, et a du mal à rattraper les faits ?

C’est une des nombreuses limites à la CPI, le fait qu’il est poursuivi pour une toute petite partie des atrocités qu’il a commises pendant ces 15 dernières années. Une des autres grosses limites de la CPI que l’on peut voir dans ce procès, c’est que Bosco Ntaganda est l’un des nombreux chefs de guerre qui ont commis des atrocités au Congo. 


Et donc pour avoir un vrai processus de justice au Congo, il faudrait beaucoup plus d’inculpations et beaucoup plus de procès comme celui-là.

Justement dans le cas de Bosco Ntaganda mais aussi d’autres miliciens de l’Ituri, la responsabilité d’officiels des pays voisins -d’Ouganda, du Rwanda mais aussi de RDC- est souvent pointée du doigt par des rapports onusiens, par des témoignages, mais ces gens-là ne sont pas poursuivis. Est-ce aussi un frein à la lutte contre l’impunité ?

Oui. Il y a aussi le fait que l’on devrait poursuivre les responsables des pays voisins et les responsables congolais, mais je pense qu’il faut aussi s’intéresser au leader des groupes armés qui ne sont pas aussi visibles que Bosco Ntaganda ou que des présidents de pays voisins mais qui commettent des atrocités au jour le jour, tout le temps, dans les Kivus. 


Qui sont des petits chefs de guerre locaux, civil un jour et soldat un autre jour, et qui commettent des violences, qui sont tout aussi importantes et tout aussi néfastes que celles qu’ont commises par Bosco Ntaganda et d’autres gens qui sont inculpés par la CPI.

Est-ce qu’il s’agit d’une vraie avancée pour le processus de paix, que ce procès ?

Ce qui est sûr, c’est que c’est une vraie avancée pour le processus de justice, il faut bien reconnaître qu’il y a énormément d’impunité pour les crimes de guerre commis au Congo. 


Donc rien que le fait d’amener au moins un des responsables en procès est un pas en avant. 

Mais il y a de nombreux chefs de guerre, autant Congolais qu’étrangers, qui ont commis des atrocités à l’est du Congo, qui sont actuellement en poste de responsabilité dans des groupes armés ou même au sein de gouvernement congolais ou de l’armée congolaise, tous ces gens-là devraient être menés devant la justice et pour l’instant il n’y aucun processus pour le faire.

Par contre pour le processus de paix en lui-même, il y a quand même très peu de chance que ça ait un impact important parce que les causes de la violence qui continue à l’est du Congo actuellement sont beaucoup plus grandes que celles liées à Bosco Ntaganda. 


Ces causes sont liées à des conflits fonciers, à des conflits autour des ressources naturelles, autour du pouvoir politique national, à des relations géopolitiques internationales et tout ça ; la CPI ne va pas pouvoir l’adresser. 

La CPI n’est pas le bon instrument pour adresser ça. C’est pour ça que pour moi, un procès comme ça, c’est bien, c’est important pour la justice, par contre ses liens avec la paix sont beaucoup plus distants.

***Séverine Autesserre est auteure de The trouble with the Congo, publié par les éditions de l'Université de Cambridge.

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Laura Martel

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