mardi 21 décembre 2010

« Chaque pied que nous poserons en Côte d’Ivoire, nous le paierons »

Guy Sitbon - Tribune | Mardi 21 Décembre 2010 à 15:01 |


La situation en Côte d'Ivoire interroge notre chroniqueur Guy Sitbon. Pour lui, tenter de calquer notre propre démocratie aux pays d'Afrique ou du Moyen-Orient est peut-être une erreur.


Si Laurent Gbagbo perd la partie, j’applaudirai tous ceux qui se battent pour le respect du suffrage universel : l’ONU, la France, l’Afrique et d’abord les Ivoiriens qui y laissent leur peau. Si au contraire, il a en définitive gain de cause, la terre entière se sera fichue le doigt dans l’œil, sauf moi et les rares péquins opposés aux ingérences extérieurs.

Gbagbo a tout le monde contre lui et tous les atouts dans sa manche. Tout laisse présager qu’il ne quittera son Palais que les pieds devant. Tant que généraux et adjudants, dûment récompensés, lui obéiront, il peut s’asseoir sur la démocratie et dormir sur ses deux oreilles. Qui aura tout perdu dans l’authentique opération électorale ?  Les Ivoiriens. Ils vivaient à peu près en paix, ils se retrouveront sous une dictature encore plus sanguinaire ou, bien pire encore, la proie d’une guerre civile à perpétuité. A la clé, pour votre gouverne, un tsunami de réfugiés en Europe, la plupart en France. A la santé de Marine.

Un brin de bon sens, s'il vous plait. L’Afrique et le Moyen-Orient ne sont pas l’Europe. La raison ? On en discerne une part, le gros nous demeure opaque, mais c’est ainsi. Relativisme ? Appelez-le comme vous voudrez, mais voyons les faits :
- 1991 : Élections libres en Algérie. Les islamistes l’emportent haut la main. L’armée casse les urnes, met les barbus élus au trou. Bilan : égorgement généralisé, émigration massive. Cette semaine, grosse opération en Kabylie contre les maquis coraniques. Vingt ans ont passé, la parole est toujours à la kalatch. Merci la démocratie à l’algérienne.
- décembre 2007 : Élections libres au Kenya. La victoire du Président sortant Kibaki (d’ethnie Kikuyu) contestée par son rival Odinga (d’ethnie Luos), des milliers de morts, des flots de réfugiés. Bravo la démocratie kenyane.
- 2003 : Bush, sans férir trop de coups, enterre l’infâme Saddam Hussein avant de le faire traiter haut et court. En démocrate conséquent, il invite les Irakiens à toutes les libertés : presse, partis, suffrage universel : la totale. Tous seront libres mais pour flâner dans les rues, il faudra désormais braver les bombes des terroristes. 80 à 100 morts par jour depuis plus de sept ans ; personne n’en voit la fin. Qu’elle est la belle la démocratie irakienne !
- Afghanistan : même topo.
- Liban : démocratie de toujours, guerre civile à perpétuité.

Vous en voulez encore ? J’en ai plein mon panier. A l’inverse, l’Inde, milliardaire en humains, 23 langues principales, 130 ethnies, nous offre une démocratie impeccable et une presse enviable. Alors que la Gambie, 1,4 million de Gambiens, s’apprête à poser une couronne royale sur le crâne de son dictateur qui a lancé son peuple dans la chasse aux sorcières après avoir découvert un traitement du SIDA aux bananes. Pourquoi ce partage injuste de la liberté ? Des tonnes de livres ont cherché la réponse, aucun ne l’a trouvée. On n’en sait fichtre rien. On ne peut que faire ce constat : d’immense régions de l’ex-Tiers Monde sont allergiques à l’État de droit inventé en Angleterre, acclimaté ailleurs, mais pas partout. Certaines régions progressent comme l’Europe d’après-guerre, l’Amérique Latine aujourd’hui. Parfois, on régresse : la Russie, la Grèce des Colonels, l’Espagne de Franco.
 
Le cas de l’Afrique et du Moyen-Orient reste un peu désespéré. Là-bas, pour presque tous les pays, entre la tyrannie et la guerre civile, il n’y a rien. Renversez une dictature, vous débouchez sur une guerre civile. Au mieux sur une autre dictature.
 
En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, s’appuie sur les 40% de musulmans. Son allié Henri Konan Bédié, d’ethnie Baoulé, peut compter sur 23% de la population. D’où leur victoire incontestable sur Laurent Gbagbo dont l’ethnie Bété ne rassemble que moins de 6%. Mais les bulletins de vote ne pèsent pas lourd face aux baïonnettes. La voix du Général Mangou, de mèche avec Gbagbo, importe plus que les 5,7 millions d’inscrits soutenus par le monde entier.
 
N’en déplaise aux gauchistes africains, la Côte d’Ivoire est un État indépendant, il en donne la preuve chaque jour. Les Ivoiriens règlent leurs affaires entre eux selon leurs propres lois. Elles sont déplorables ? Qu’ils s’en donnent d’autres. Nous n’avons ni légitimité ni intérêt à leur dicter quoi que ce soit. Au reste, les interventions extérieures jouent généralement au détriment des bénéficiaires. Ils s’entre-égorgeront ? Oui, n’en doutez pas, on risque le bain de sang. Nous n’y pouvons rien. Chaque pied que nous poserons en Côte d’Ivoire, nous le paierons et les Ivoiriens n’en mourront que plus.
 
Le colonisation française, contrairement à la britannique, fut la plus mauvaise affaire imaginable. La France y a laissé sa puissance, son honneur et sa chemise. Le temps n’est pas venu de refaire les mêmes bêtises que Jules Ferry.  Les « impératifs moraux », si souvent invoqués pour s’ingérer, ne valent pas davantage pour un camp que pour un autre.
 
Les maux de l’Afrique ne sont ni historiques, ni culturels, ni même économiques. Ils sont politiques. Quelles sont les frontières de la souveraineté, comment exercer le pouvoir d’État, c’est tout le problème de l’Afrique. Quand un peuple est bien gouverné, le reste vient de surcroît.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire