vendredi 24 décembre 2010

Côte d'Ivoire: ni guerre, ni paix, ni démocratie

Propos recueillis par Régis Soubrouillard | Mardi 7 Décembre 2010 à 12:01

Reporté à de nombreuses reprises faute d’accord sur la liste des électeurs, la loi sur l’ivoirité, l’élection présidentielle ivoirienne devait marquer l’aboutissement d’un long processus de pacification. A l’issue du scrutin se retrouve avec deux présidents, deux premiers ministres. Analyse avec Christian Bouquet, géographe à l’Université de Bordeaux 3 et auteur de Géopolitique de la Côte d’Ivoire.

Ouattara et Gbagbo
Ouattara et Gbagbo
Marianne: Vendredi, le secrétaire général des Nations unies avait félicité Alassane Ouattara pour son élection reconnue par la Commission Electorale Indépendante. Depuis, le Conseil Constitutionnel a validé l’élection de Laurent Gbagbo. Le pays est plongé dans le chaos. Quels enseignements tirez vous de ce scrutin ?

Christian Bouquet: Ce que montre la cartographie électorale du deuxième tour est la seule bonne surprise de ce scrutin : le report massif des voix de Konan Bedié sur Alassane Ouattara. Ce qui prouve que « l’ethnorégionalisme » (NDLR: conflits autonomistes qui ont pour objectif l'autodétermination d'une entité territoriale pour le compte d'une minorité ethnique) a considérablement reculé sur ce plan là. Il y a là le début d’un signe vers l’unité nationale. Nous ne sommes plus dans le cas de figure d’un pays coupé en deux tel qu’il l’était en 2007 et s’il devait l’être de nouveau, ce serait selon une ligne qui ne serait plus la même que celle de 2007. Le fait qu’il y ait eu une alliance et que cette alliance ait fonctionné entre deux partis très opposés sur la notion d’ivoirité montre que les électeurs ont su dépasser cette forme de xénophobie. A moins que le désir de rejeter Laurent Gbagbo soit encore plus fort que le désir de rejeter les gens du Nord. On est dans l’exégèse, mais dans les deux cas, c’est une mauvaise nouvelle pour Gbagbo, même si, en attendant, c’est lui qui est assis sur le trône.
Au delà, il y a un cas d’école que l’on étudiera peut-être un jour dans les instituts d’études politiques : on se demandait quel subterfuge Gbagbo allait trouver pour s’en sortir. Il a quand même fait rayer de la carte les deux grandes régions où Ouattara fait 500.000 voix de plus que lui. Le tout validé par le Conseil constitutionnel !


Peut-on imaginer un scénario de sortie de crise ?

Je ne peux absolument pas dire ce qu’il peut se passer sinon tirer des enseignements. La communauté internationale risque de démontrer son impuissance. Ils parlent beaucoup, tous, ONU, UA, UE, France, Etats-Unis, mais rien ne bouge. La seule chose que peut entendre Gbagbo, c’est lui même. Il pourrait être saisi par la grâce et se dire : « j’ai raté tous mes rendez vous avec l’histoire mais là je vais sortir avec noblesse de cette crise». C’est hautement improbable même si depuis que je m’intéresse à l’Afrique et à la Côte d’Ivoire : je m’accroche à une vieille idée qui veut que l’imprévisible finit par arriver.
Mais Gbagbo est sous l’influence de l’aile la plus radicale de ses soutiens et il est poussé par son entourage à refuser l’évidence. Il tient les forces armées, il a à sa disposition des milices qui terrorisent la population, il a les médias à sa main, il a suspendu les médias étrangers. Il reste donc en position de force.

Côte d'Ivoire: ni guerre, ni paix, ni démocratie
Laurent Gbagbo a longtemps été l’homme des Etats-Unis, notamment des évangélistes protestants comme George W. Bush. Barack Obama s’est, lui, montré très ferme vis à vis de Laurent Gbagbo. Ce revirement est-il récent et quelles en sont les raisons ?

Les américains ont toujours été très bien informés de la situation politique en côte d’Ivoire, au moins aussi bien que les Français. Mais c’est notamment grâce à Wanda Nesbitt, l’ancienne ambassadrice des Etats-Unis en Côte d’Ivoire, nommée en 2007, qui connaissait très bien la côte d’ivoire, et était une très bonne observatrice de la réalité politique africaine, qu’ils ont véritablement pris la mesure du régime de Gbagbo.
Il n’y a aucune raison que les Etats-Unis changent de position avec la nomination récente de leur nouvel ambassadeur.
D’ailleurs Barack Obama a été très clair puisqu’il a pris position dès que les résultats ont été connus. Depuis il a formellement mis en garde le président ivoirien sortant contre un « isolement accru » et dit qu'il subirait les « conséquences de ses actes injustes » s'il s'accrochait au pouvoir.


Quels sont, aujourd'hui, les risques de débordements ?

Il y a souvent des troubles en Côte d’Ivoire, mais il n’y a jamais eu d’embrasement généralisé même si l’éclatement de la guerre civile n’est jamais bien loin. Les forces nouvelles du Nord n’ont jamais vraiment désarmé et les évènements de novembre 2004 ont démontré que la poudre n’est pas sèche. Ce qui nous en préserve est que Ouattara n’est pas un pousse au crime. En plus, en nommant Soro premier ministre et Ministre des forces armées, il aura la main sur les ex-rebelles des forces du Nord. La Côte d’Ivoire se trouve dans une situation qu’elle a déjà connu par le passé : ni guerre, ni paix, ni démocratie.

Résultats de l'élection présidentielle ivoirienne du 22 octobre 2000

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