vendredi 24 décembre 2010

Guillaume Soro : «J’appelle les Ivoiriens à résister»


INTERVIEW

Le Premier ministre désigné par Alassane Ouattara, que «Libération» a rencontré, dénonce la «dictature» instaurée par Laurent Gbagbo.
Par ARNAUD VAULERIN Envoyé spécial à Abidjan
Guillaume Soro, en février 2010.
Guillaume Soro, en février 2010. (REUTERS)
Depuis deux jours, la vie a repris son cours à Abidjan, où le couvre-feu en vigueur depuis le second tour de l’élection présidentielle a été levé. Plusieurs pays européens dont la France ont néanmoins appelé hier leurs ressortissants à quitter la Côte-d’Ivoire. La veille au soir, le président sortant, Laurent Gbagbo, était intervenu à la télévision pour se poser en président élu. Hier, l’accès à l’hôtel du Golf, où réside le président démocratiquement élu, Alassane Ouattara, restait inaccessible par la route. C’est dans un hélicoptère des Nations unies que Libérationa pu, avec d’autres médias, se rendre dans l’hôtel assiégé pour rencontrer Guillaume Soro, désigné Premier ministre de Côte-d’Ivoire par Ouattara, que la communauté internationale reconnaît comme le vainqueur de la présidentielle. Soro avait déjà été chef du gouvernement entre 2007 et 2010. Agé de 38 ans, il est le patron des Forces nouvelles, la rébellion du nord qui a occupé la moitié du pays de 2002 à 2007.


Dans quelles conditions travaillez-vous à l’Hôtel du Golf ?

Quelques jours après l’élection d’Alassane Dramane Ouattara, aussitôt la dictature s’est mise en place. Les chars sont sortis dans les rues d’Abidjan à la poursuite du président Ouattara et de ceux qui l’ont reconnu. Nous avons été obligés de nous réfugier à l’hôtel du Golf, sous protection des forces impartiales des Nations unies et de Licorne[900 soldats français, ndlr]. Ces forces sont équipées, je n’ai aucune crainte pour ma sécurité. Evidemment, les conditions de travail sont difficiles, surtout quand vous travaillez dans une dictature qui repose sur des chars. Ici, il y a un vrai blocus sur le Golf. Ni nos épouses, ni nos parents n’ont le droit de venir.

Quels sont les principaux problèmes qui se posent à vous avec ce blocus ?

Les blessés et les malades ont du mal à être soignés. Mais le plus préoccupant, ce n’est pas l’hôtel du Golf. Ce sont les populations civiles aux mains nues qui ont décidé de marcher pacifiquement [jeudi dernier, pour tenter de prendre la radio-télévision ivoirienne], avant de rencontrer les obus de chars, les balles de kalachnikov, les miliciens libériens et angolais, ainsi que la garde républicaine de Laurent Gbagbo. Le plus préoccupant, ce sont ces citoyens innocents qui sont extirpés de leur domicile et abattus froidement à cause de leur ethnie et pour avoir porté leurs suffrages sur Ouattara. Les ingrédients de la guerre civile sont visibles.

Jeudi dernier, vous avez appelé les Ivoiriens à descendre dans la rue, réitérez-vous votre appel ?

C’est Victor Hugo qui disait que «face à la dictature, la révolte est de droit et la démocratie referme la porte de cette révolte». Tant que nous serons en Côte-d’Ivoire face au dictateur que nous appelons maintenant Idi Amin Dada [potentat ougandais au pouvoir de 1971 à 1979], j’appellerai les Ivoiriens à manifester par tous les moyens dans les villes, les villages, les campagnes, à l’extérieur, pour résister à la dictature.

Avec le risque qu’il y ait à nouveau des morts ?

Hélas, vivre la dictature, ce n’est pas de la sinécure. Evidemment, nous devons continuer à garder courage. Nous savons tous les meurtres que Ceaucescu a commis en Roumanie et c’est exactement la même chose qui se passe en Côte- d’Ivoire. Nous espérons vivement que la communauté internationale ne prenne pas trop de temps pour se rendre compte que la place de Gbagbo n’est pas au palais présidentiel, mais à la Cour pénale internationale [CPI], à la Haye.

Qu’attendez-vous maintenant de la communauté internationale qui s’est déjà beaucoup exprimée, à l’image de Nicolas Sarkozy ?

Nous attendons que la CPI puisse envoyer une mission en Côte- d’Ivoire, établir la responsabilité des uns et des autres et que tous ceux qui sont impliqués d’une manière ou d’une autre soient transférés à La Haye. La France a une responsabilité dans le concert des nations et au Conseil de sécurité. Le président Sarkozy s’est acquitté de cette responsabilité avec courage et sérénité. Je demande aussi au Parti socialiste français, qui a aussi de la voix, d’être solidaire avec le président Sarkozy parce que face à la dictature, il n’y a plus de gauche, ni de droite. On doit combattre Laurent Gbagbo car après 200 morts, le seuil critique est dépassé.

L’intervention de l’armée n’est-elle pas la seule manière de pousser Gbagbo dehors ?

Il y a des officiers supérieurs, des sous-officiers qui veulent faire allégeance au président Ouattara. Mais trois généraux, qui concentrent à eux seuls 80% de la force de frappe de notre armée, ont fait le putsch au profit de Laurent Gbagbo. Ces généraux et l’artillerie lourde tiennent en respect l’immense majorité de l’armée. Evidemment, on peut tenir cette armée deux jours, trois jours, trois semaines, mais pas indéfiniment. Je suis persuadé que d’un mois à l’autre, les Ivoiriens, les agents de l’Etat, seront rejoints par l’armée républicaine.

Hier soir, Laurent Gbagbo vous a tendu la main ainsi qu’à Alassane Ouattara. Qu’en pensez-vous ?

Gbagbo n’est plus le président de la république de Côte-Ivoire. Il a été battu le 28 novembre. Partant de ce postulat, il est autorisé à ne rien faire du tout. Il faut qu’il quitte le pouvoir et opère une transmission pacifique du pouvoir à Alassane Dramane Ouattara.

Photo Guillaume Binet. Myop

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