mercredi 22 décembre 2010

Gbagbo, Ouattara et Sarkozy

 

Ce que Gbagbo aurait souhaité, serait de déplacer le conflit qui l’oppose à Ouattara du contexte ivoiro-ivoirien, pour en faire un conflit avec Sarkozy. Et celui qui est en train de lui fournir cette belle occasion, c’est justement le président français lui-même par sa nature que l’on connaît. Je l’ai écrit dans mon article précédent „Gbagbo et Ouattara, deux lions blessés “ : il était à prévoir que Sarkozy provoque Gbagbo et que ce dernier réponde à cette provocation. Au nom de quoi, en vertu de quel pouvoir un chef d’État lance-t-il un ultimatum à un homme qui, pour le moins, n’est pas sous son autorité, un homme qui n’a pas encore quitté les fonctions qu’il exerçait et qui de surcroît, s’est fait investir en tant que chef d’État réélu ? Ce sont précisément ces fonctions mêmes que Sarkozy demande à Gbagbo de quitter, bien sûr, après l’ONU, l’UA et Obama, avec cette différence notoire qu’aucun chef d’État, aucun organisme n’avait jusque-là fixé un ultimatum à Gbagbo. Sarkozy dans sa déclaration mélangeait même un peu le singulier et le pluriel, Gbagbo et son épouse, comme s’il s’agissait de vider une querelle personnelle avec Laurent et Simone Gbagbo et non de régler un problème d’État, avec le président ivoirien sortant.


Le chef de l’État français s’était empêtré dans une confusion dont l’interprétation peut être laissée aux téléspectateurs qui l’ont vu et écouté : ce n’est pas le couple présidentiel qui était candidat à l’élection et l’aurait perdue, selon le verdict prononcé par la CEI que reconnaît la „ Communauté Internationale", mais bien Laurent Gbagbo, à notre connaissance. Mais, Sarkozy dans une vilaine passion, s’est embrouillé dans une grammaire française bien spéciale. Au nom de quoi s’adressait-il en ces termes à Gbagbo ou au couple Gbagbo (n’arrivant pas à détacher le statut officiel du président sortant de la hantise que représente pour lui le couple indésirable) ? En sa qualité de président d’une des plus grandes puissances du monde ? De chef de l’ancienne puissance colonisatrice qui en plus maintient une troupe sur le territoire ivoirien depuis 2004 ?
La réplique de Gbagbo ne s’est pas fait attendre : il ordonne aussitôt le départ des troupes, non seulement celles de l’ONU, mais aussi celles de la France qui opèrent en Côte d’Ivoire et sont plutôt favorables à Ouattara. Ultimatum contre ultimatum ! On verra même quelqu’un comme Charles Blé Goudé qui galvanisait les foules de „ jeunes patriotes“ dans les années 2002-2004, reprendre du service devant des milliers de partisans de Gbagbo : „Gbagbo n’est pas un sous-préfet de Sarkozy ! ,, lancera-t-il à la multitude des militants exaltés. La conséquence de cette escalade verbale, c’est, toujours comme je l’ai écrit dans mon article précédent, non seulement l’inutilité, mais aussi le désastre d’une intervention intempestive de l’ancienne puissance dans les affaires intérieures d’un pays où plusieurs blessures ne sont pas encore cicatrisées : tout naturellement, des milliers de personnes fuient la Côte d’Ivoire, craignant une escalade de la violence résultant de l’escalade verbale. La déclaration de Sarkozy, c’est évident, ne rend pas à leurs proches les vingt (on parle maintenant de cinquante) personnes tuées lors de la bataille entre forces loyalistes et manifestants favorables à Ouattara pour le contrôle de la station de la radiotélévision d’État à Abidjan et ne soulage pas non plus la douleur des blessés. Nul ne peut crier victoire après cette tuerie de civils innocents ; nul ne peut féliciter l’armée ivoirienne d’avoir massacré des hommes et des femmes aux mains nues. Dans un État de droit, on doit pouvoir situer les responsabilités. Mais, malgré la présence des Forces onusiennes et des Forces françaises, depuis six ans en Côte d’Ivoire, nous ne sommes pas dans un État de droit, comme ailleurs en Afrique. À qui la faute ? Et, en dehors du jeu hypocrite de l’émotion ou plutôt du sensationnel médiatique, qui se préoccupe vraiment des victimes des violences politiques en Afrique ?
La déclaration de Sarkozy, en jetant de l’huile sur le feu, n’a-t-elle pas certainement contribué à envenimer la situation ? Cette déclaration intervient d’ailleurs dans un contexte assez ambigu de la part de Paris où, encore la veille, selon la chaîne française France 2, la France exhortait les deux camps, celui de Gbagbo et celui de Ouattara à la retenue. Pour être crédibles, les autorités françaises qui exhortent à la retenue, se doivent d’être elles-mêmes d’abord mesurées, surtout dans leurs discours. Ce qui n’est pas le cas. Croit-on vraiment pouvoir régler un conflit aussi complexe que celui de la Côte d’Ivoire, à force d’ultimatum ?
Le problème est qu’il faut que la France officielle saisisse l’occasion du conflit à ce stade, pour une démonstration de force du genre qu’affectionne Sarkozy, pour faire comprendre au monde et à Gbagbo qu’elle est puissante, qu’elle demeure l’ancienne colonisatrice. Et que la Côte d’Ivoire est toujours dans son giron. Sarkozy s’intéresse-t-il vraiment au sort du peuple ivoirien plus qu’aux intérêts français en Côte d’Ivoire et partant dans tout l’Ouest-africain ? Est-il plus motivé dans ses discours et ses actes, dans la tournure que va prendre la situation en Côte d’Ivoire par le souci d’y voir s’instaurer la démocratie que par la leçon, l’humiliation à infliger à Gbagbo et partant à tous les dirigeants africains qui ne se soumettent pas au diktat de l’ancienne puissance colonisatrice ?
Bien sûr qu’il faut respecter le verdict des urnes. Mais, est-on réellement sûr de ce verdict ?
Et puis, de Gaulle avait-il vraiment respecté le verdict du peuple guinéen quand sous la direction de Sékou Touré, ce dernier avait dit non au référendum du 28 Septembre 1958 ? Une chose est de dire : vous avez fait votre choix, nous le respectons et traitons avec vous d’État souverain à État souverain, une autre : ce choix n’est pas celui que nous vous indiquons, mais vous l’avez fait, donc nous exerçons des représailles contre vous. Ceux qui pensent qu’il s’agit là d’une querelle d’un autre temps savent bien que dans plusieurs cas d’une actualité brûlante en Afrique, surtout dans les anciennes colonies françaises, ce n’est pas du côté des peuples que la France se range, mais bien du côté de ceux qui défendent ses intérêts. Togolais, Gabonais, Congolais, Camerounais, Burkinabé ...ont fait cette amère expérience.
Je ne voudrais pas revenir sur les exemples que j’ai cités dans mon article précédent et que d’ailleurs tout le monde connaît.
La question que je voudrais poser est celle de la responsabilité ou des responsabilités : qui sont ceux qui seront responsables de l’escalade de la violence et d’une instabilité politique prolongée en Côte d’Ivoire et partant dans toute la sous-région ? Et pour les démocrates africains, voici ce qui, en apparence, peut être un dilemme : que choisir d’abord, entre la démocratie et la fin des ingérences désastreuses de l’ancienne puissance coloniale dans nos affaires intérieures ? Ce dilemme, comme je l’ai dit n’est qu’apparent, car jamais le réseau de la Françafrique n’a soutenu la vraie démocratisation dans les pays africains. Ses intérêts ne sont pas là. Laissons de côté les déclarations relevant du pur et simple (pour ne pas dire simpliste) « politiquement correct » qui ne peuvent infléchir ni les uns, ni les autres dans un contexte où les intérêts, mais aussi les passions jouent plus que la raison et la sagesse chez Gbagbo, comme chez Ouattara et chez Sarkozy. Si Gbagbo, ignorant Ouattara, arrive à se dresser en face de Sarkozy comme Sékou Touré en face de De Gaulle, quelle sera alors, dans ce conflit, la position des Africains à la fois opposés à la Françafrique et démocrates ?
Quels dirigeants africains, des anciennes colonies françaises surtout, avaient soutenu la Guinée de Sékou Touré dans l’isolement que souhaitait la France ?
Au contraire, certains n’avaient-ils pas trouvé dans cet isolement l’occasion de se faire bien voir par la France et de profiter du conflit qui opposait Sékou Touré à de Gaulle et plus tard à Pompidou, Giscard... ? Parmi les pays africains dont le souci primordial était de plaire à la France, figurait en première ligne la Côte d’Ivoire de Houphouet que Gbagbo avait longtemps combattue. Ne l’oublions pas. Le politiquement correct n’est parfois qu’un paravent pour cacher l’égoïsme et la lâcheté de certains dirigeants africains. Ce type de comportement ne date pas d’aujourd’hui. N’avait-on pas entendu des dirigeants africains, Houphouet en tête, prôner le dialogue avec l’Afrique du Sud raciste ? D’où leur venait cette lumineuse inspiration ? Du politiquement correct ?
D’un autre côté, certains dirigeants français, face aux anciens colonisés, sont d’un autisme endurci qui fait peut-être leur force en Afrique, tant qu’ils peuvent compter sur cet égoïsme et cette lâcheté dictés par le carriérisme de certains politiciens africains.
On ne réglera pas le conflit ivoirien à coups d’ultimatum et de sanctions. L’ONU a décrété, sans l’accord des autorités ivoiriennes (puisqu’elles n’existent pas) le prolongement de six mois de la mission de ses Forces sur le territoire ivoirien. La France va faire de même. Mais comment ces armées régleront-elles en six mois, ce qu’elles n’ont pu réaliser en six ans, à savoir le rétablissement de l’unité du pays, de l’autorité effective de l’État et la paix ? À moins que ce soit pour la forme.
Si le conflit change de forme et devient, (il est en train de le devenir, peut-être, grâce à Sarkozy), une affaire Gbagbo-Sarkozy, les Africains réellement soucieux de la vraie indépendance du continent, condition première de la démocratie et du développement, n’auront pas d’autre choix que de soutenir Gbagbo et l’on peut croire qu’une véritable révolution est déclenchée en Côte d’Ivoire. Nous référant au „non“ de la Guinée, si l’Histoire doit se répéter, les Africains conscients doivent jurer que ce ne sera plus de la même manière, dans le même sens. On dit en mina :„ E nu mu wona amenyanu be vi ze vewo“ ( Le fils d’un être intelligent ne peut être victime deux fois du même malheur ).
Sénouvo Agbota ZINSOU

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