mercredi 1 juin 2011

Affaire DSK: ce qu'en pensent les Guinéens du Bronx

A New York, la communauté peule, dont est originaire Nafissatou Diallo, reste très discrète sur l'affaire DSK.


149th. Street and 3rd. Avenue, The Bronx, New York, 12 Feb. 2008, by PhilipC 

Qui est Nafissatou Diallo? Où se cache-t-elle? Pourquoi sa famille résiste-t-elle ainsi à la pression médiatique, laissant sur sa faim la presse internationale en quête de la moindre photo, du moindre ragot? Deux semaines après la tourmente provoquée par l’affaire Dominique Strauss-Kahn, toutes ces questions se posent encore, lancinantes.
«C’est une femme de chambre que beaucoup d’entre nous, dans la communauté des Peuls de Guinée et du Sénégal, n’avons jamais vue. Elle gagnait son petit pain tranquillement et ne parlait pas à grand-monde», assure Abdoulaye, un émigré guinéen installé depuis vingt ans aux Etats-Unis, assis chez un cousin de Nafissatou, dans le modeste salon d’un pavillon de briques du Bronx.
Pour cet homme, il n’y a aucune raison de douter des premiers témoignages recueillis sur la jeune femme, décrite comme une mère célibataire sans histoire par ses voisins, et comme une employée exemplaire par ses patrons du Sofitel de Manhattan.
Chez Chérif Mamadou Diallo, qui se présente comme un cousin de la jeune femme, c’est jour de baptême. Père d’une petite Mariam, cet employé dans un organisme d’aide aux enfants handicapés de la ville de New York se montre très prudent. Chez lui, la conversation roule en pulaar, la langue des Peuls. Cette ethnie d’anciens bergers nomades devenus migrants est majoritaire dans la région du Fouta Djallon, en Guinée —un pays où elle représente 40% de la population. Elle vit aussi dispersée dans tout le Sahel et les pays du golfe de Guinée, jusqu’au Nigeria et au Cameroun.
Entre ces quatre murs, dans le Bronx, la télé et l’ordinateur sont allumés en permanence, mais on évite soigneusement de parler de l’affaire. Pas besoin de beaucoup de discipline pour suivre la consigne qu’ont fait passer les hommes de la famille et les notables de la communauté: surtout, ne rien dire aux journalistes.
«Nous les Peuls, on est d’un naturel plutôt réservé», sourit Ibrahim, commerçant bourlingueur qui navigue entre les Etats-Unis, le Sénégal et la Guinée depuis quinze ans. 
«Je suis désolé pour la fille, mais c’est DSK qui perd le plus dans cette histoire; sa crédibilité, son travail et tout», se risque cependant à remarquer Assane, un Peul de Zinguinchor, région du Sénégal frontalière avec la Guinée.
Chauffeur de taxi dans les banlieues de New York, il gare sa grosse Lincoln noire devant des abattoirs halal, à l’angle de la 3e avenue et de la 168e rue, dans le Bronx. Là, à l’occasion du baptême, devant ce bâtiment jaune d’où émanent des odeurs de mouton, des hommes en boubou s’échangent des billets verts sur le trottoir, au lieu de la traditionnelle noix de kola.
«On espérait que DSK devienne le prochain président de la France, poursuit Assane. Mais il aurait dû le savoir: aux Etats-Unis, on ne joue pas avec ces choses-là. On ne touche pas aux femmes et aux enfants. Un ancien gouverneur de l’Etat de New York a dû démissionner, simplement parce qu’il avait une copine [Eliot Spitzer a quitté son poste le 12 mars 2008 après avoir été accusé de fréquenter des call-girls, ndlr]. Les Etats-Unis, ce n’est pas comme la France ni l’Afrique.»
Les invités de Chérif Mamadou Diallo plaisantent sur le sujet:
«Moi, j’aime ces pays occidentaux où la justice marche vraiment, où tout est rationnel et carré, lance Abdoulaye. Regardez Israël, où un ancien président [Moshe Katsav, ndlr] a été condamné à sept ans de prison ferme pour le même genre d’histoire!» 
Parmi les associations peules de New York, on n’a pas encore pensé à se cotiser pour participer à la défense de Nafissatou Diallo. Plusieurs avocats réputés ont été engagés en plus de Jeffrey Shapiro, sollicité dans les heures qui ont suivi les faits par Blake Diallo, un ami sénégalais de Nafissatou. Depuis, deux autres pointures ont été engagées par la famille: Kenneth Thompson (un avocat africain-américain) et Norman Siegel (figure de la défense des droits civiques), afin de bétonner une défense collective, d’évaluer une plainte en dédommagement qui pourrait rapporter beaucoup d’argent, et de ne pas laisser un seul avocat, Shapiro, dans la tentation de négocier un arrangement à l’amiable avec la partie adverse.
Chez les Peuls du Bronx, la méfiance domine. Certains se montrent encore incrédules. «C’est bien vrai que Strauss-Kahn ne pourra pas se présenter à la présidentielle?», demande Mohamed, un chauffeur de taxi d’un certain âge ayant laissé femme et enfants à Dakar, calot blanc sur la tête et djellaba beige rapportée de La Mecque. «Et pour la fille, c’était d’accord ou pas d’accord?» s’interroge-t-il aussi avec pudeur, évitant de parler directement de sexe.
Beaucoup, comme lui, ne savent pas à quelle version des faits s’en tenir et se demandent s’il n’y a pas eu «combine» dans cette histoire incroyable. S’agit-il d’un rapport sexuel consenti, comme pourraient le plaider les avocats de DSK? Ou d’une tentative de viol, comme accuse le procureur, avec éléments de preuve à l’appui?
«Si l’on s’en tient aux seuls faits, la jeune femme est une victime, rappelle Dame Babou, correspondant à New York depuis plus de vingt ans pour le groupe de presse sénégalais Sud. Elle n’a pas porté plainte, et l’affaire paraît plutôt grave pour DSK. La femme n’a aucun contrôle sur la procédure pénale, car il n’y a pas constitution de partie civile aux Etats-Unis. Elle n’a que le statut de témoin et pourrait même très bien ne pas être citée à comparaître».
Commentaire prudent d’Assane: «Nous, on s’occupe du quotidien. On ne sait rien en dehors du fait que DSK n’en était pas à sa première histoire de femmes. Outre les deux intéressés, il n’y a que la police et le FBI qui savent.»

Sabine Cessou, à New York
SlateAfrique

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