samedi 22 septembre 2012

Dépigmentation: l'indifférence coupable des autorités

Une campagne d'affichage vante les mérites d'un produit de dépigmentation au Sénégal. Et inonde les rues de la capitale, Dakar. L'universitaire Fatimata Ly s'insurge contre cette campagne publicitaire qui dévalorise l'image du pays.


Capture d'écran du documentaire «Cette couleur qui me dérange» de Khardiata Pouye Sall
Depuis une quinzaine de jours, un nouveau produit le «Khess Petch» a fait son apparition sur les panneaux publicitaires de la capitale sénégalaise.
La  première image du voyageur qui débarque à Dakar par l’aéroport Léopold Sédar Senghor, est ce panneau publicitaire qui vante les mérites du Xeesal (dépigmentation en wolof, langue la plus parlée au Sénégal) en faisant la promotion de ce nouveau produit qui éclaircit la peau en quinze jours.

En parcourant la capitale sénégalaise, on ne dénombre pas moins de 100 panneaux publicitaires de 12 mètres. Le coût de la production et de l’affichage  de ces panneaux est de 5.000.000 de francs CFA (152.449 euros) soit l’équivalent de la somme dépensée pour effectuer 100 séances d’Information-Education-Communication (IEC) sur les méfaits de la dépigmentation artificielle.

Se «blanchir» la peau en 15 jours


Ce produit comme son nom l’indique a des propriétés dépigmentantes. Sa particularité résiderait dans la rapidité de ses effets: un éclaircissement de la peau en 15 jours. Rien d’étonnant puisqu’il s’agit d’un corticoïde de forte activité: le propionate de Clobetasol.

Or, cette substance est un médicament utilisé couramment en dermatologie pour le traitement de nombreuses dermatoses aiguës ou chroniques et comme tout médicament ne devrait être dispensé que sur prescription médicale!

Un tube de Khess Petch de 50g coûte 1.000 francs CFA (1,5 euro) dans une boutique spécialisée en cosmétiques au marché de Yoff, un quartier de Dakar. L’équivalent de ce même produit est vendu en officine en tube de 30g au prix de 3.700 francs CFA (5,71 euros).

L'ordre des pharmaciens et de médecins devraient s’offusquer que le boutiquier du coin exerce leur métier en toute illégalité.

Au-delà des ordres professionnels de la santé c’est le ministère de la Santé qui est interpellé. Son autorité est rudement malmenée par toutes ces publicités mensongères  sur des produits sanitaires.

Mais que les consommatrices ne se leurrent surtout pas Khess Petch n’est pas différent des autres cosmétiques dépigmentants commercialisés sur le marché sénégalais: Vit Fée, L’Abidjanaise, Euro: ils sont tous fabriqués à base de corticoïdes.

Halte, danger!

Le Khess Petch contient en outre des substances allergisantes comme le propylène glycol et le parabène mais aussi le clotrimazole un autre médicament actif sur les mycoses.

Par ailleurs sur l’emballage du produit, très attrayant du reste, figurent certaines  indications dermatologiques telles que l’eczéma, le psoriasis, les allergies cutanées. Enfin, le produit aurait  la capacité de «restaurer les conditions physiologiques cutanées rapidement».

Ce qui est tout à fait contraire à la réalité. En effet les corticoïdes provoquent à la longue une fragilité cutanée, une destruction des fibres élastiques, une inhibition de la synthèse de la mélanine….

Nous ne reviendrons pas ici sur les risques sanitaires encourus par l’usage au long cours de ces médicaments (Eh oui! ces corticoïdes sont bien des médicaments), puisque les professionnels de la santé largement relayés par les médias les ont déjà rapportés.

Cependant, il est nécessaire de rappeler que récemment (le 02 Juin 2012), l’Association internationale d'information sur la dépigmentation artificielle (AIIDA), organisait, en partenariat avec l’Association nationale des randonneurs pédestres, une randonnée pour le retrait des corticoïdes du marché des cosmétiques en raison justement des nombreuses complications médicales associées à l’usage des corticoïdes.

Au cours de cette randonnée pédestre activement soutenue par le ministère de la Santé et de l’Action sociale un rapport d’expertise sur la dépigmentation artificielle communément appelée xeesal était remis aux autorités sanitaires.

Et le ministère de la Santé dans tout ça?


Trois mois après, une publicité présente un médicament le propionate de Clobetasol comme un produit cosmétique. Or, comme toute spécialité pharmaceutique, ce produit  est régi par la loi 65-33 du 19 mai 1965 du Code de la Santé publique relative à la préparation, à la vente et à la publicité des spécialités pharmaceutiques.

A ce titre, le ministère de la santé est interpellé pour le retrait de Khess Petch, mais également de tous les cosmétiques à base de dermocorticoïdes, du marché sénégalais. Les textes législatifs qui réglementent les médicaments au Sénégal permettent un retrait immédiat de ces cosmétiques.

En dehors du ministère de la Santé et de l’Action sociale, c’est la nouvelle Assemblée nationale dans son rôle de protecteur du citoyen qui devrait prendre un engagement fort pour légiférer définitivement sur la cosmétovigilance à l’instar de ce qui a été fait pour la pharmacovigilance.

Pour sa part, l'AIIDA a pris toute sa responsabilité pour diagnostiquer et proposer un traitement de ce fléau que constitue le xeesal.

L’association AIIDA espère une protection des populations par la réglementation de la commercialisation des produits dépigmentants. Et surtout en instituant une loi sur la cosmétovigilance.

La responsabilité de l'Etat engagé


La définition d’un cadre législatif adéquat permettra aux autorités douanières de disposer de garde-fous leur permettant d’effectuer en toute liberté leur travail de gardien de l’économie car le marché des cosmétiques a un impact majeur sur l’économie de la santé.

En définitive c’est la responsabilité de l’Etat qui est engagée. Pour sa part l’association AIIDA qui fête cette année ses 10 ans a sonné l’alerte. Elle n’a cessé d’interpeller les autorités de ce pays pour régler définitivement ce phénomène qui pose un véritable problème de santé publique.

Certes, les enjeux économiques sont colossaux, l’impact psychologique sur les pratiquantes (lié au sevrage) important. Mais il est plus qu’urgent, même si d’autres urgences comme les inondations préoccupent nos gouvernants, que les autorités de ce pays endossent enfin le combat de AIIDA dans l’œuvre de salubrité publique —comme nous le disait feu le Pr Ibrahima Diop Mar— qu’elle mène.

Il n’est également pas vain qu’il faille convoquer des voix outre-tombe comme celle du regretté  Mame Abdoul Aziz Sy Dabakh, khalife de la confrérie tidiane disparu il y a 15 ans, qui comparait le xeesal à un acte de désobéissance à l’ordre divin. 
Il faut, également, saluer l’engagement et le courage des médias qui n’ont cessé depuis une décennie de participer à toutes les activités d’information sur les ravages de ce fléau avec notamment la diffusion sur la  RTS  d'un documentaire émouvant: Cette couleur qui me dérange de Khardiata Pouye Sall et qui relance opportunément le débat sur ce phénomène vieux de 40 ans.  
  
Restons mobilisés: l’espoir est permis!

Fatimata Ly
SlateAfrique

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