samedi 10 août 2013

Brigade d’intervention de la Monusco : des interrogations persistent sur ses capacités réelles



Dr Alexandra Novosseloff, chercheure-associée au Centre Thucydide de l’Université Paris-Panthéon-Assas, et Dr Mélanie Cathelin, Docteur en science politique de l’Université Montesquieu Bordeaux IV / IEP de Bordeaux ont réalisé un dossier sur la Brigade d’intervention de la Monusco diffusé le 7 août 2013 à Montréal par le Réseau de recherche sur les opérations de paix (ROP) qui en a transmis une copie à lepotentielonline.com.


La chute de Goma, le 20 novembre dernier, aux mains du M23, une nouvelle rébellion active à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) depuis mars 2012, a été considérée comme un nouvel échec de la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco).

Les risques de déstabilisation, locale et régionale, engendrés par la prise de Goma ont amené à une remobilisation des acteurs internationaux sur le dossier congolais. La voie fut dès lors ouverte pour une révision du mandat de la Monusco, qui déboucha sur la création (Résolution 2098 du 28 mars) d’une « brigade d’intervention ».

Depuis, ce nouvel instrument suscite de nombreuses attentes, à la hauteur des défis politico-sécuritaires en jeu. Des interrogations persistent cependant, malgré la détermination de la nouvelle équipe dirigeante de la MONUSCO et des pays contributeurs à la Brigade (Afrique du sud, Tanzanie, Malawi), sur les capacités réelles de cette force à recréer les conditions d’une stabilisation durable de l’Est congolais.

La Brigade d’intervention : anatomie d’un concept

La Résolution 1925 (28 mai 2010) transformant la MONUC en MONUSCO prévoyait que celle-ci dispose d’une « une force de réserve », capable de se redéployer rapidement ailleurs que dans l’Est du pays où elle concentre 95% de ses effectifs.

Mais, aucune attention n’a jamais été portée à cette disposition qui aurait permis à la Monusco de mettre sur pied cette capacité indispensable à toute opération militaire crédible et qui aurait aussi pu intervenir dans l’Est. 

Cette absence a entraîné la Monusco à poursuivre, sans saut qualitatif, l’action de la Monuc à l’Est, centrée sur sa mission de protection des civils qui l’a conduite à « éparpiller » ses effectifs dans les différentes bases temporaires et mobiles mises en place à cet effet.

Jusqu’en 2012, les opérations conjointes menées par la Monusco en appui aux Forces Armées de la RDC (FARDC) contre les « forces négatives » avaient permis de contenir la violence armée à un niveau « acceptable », car très localisé.

Cette amélioration relative de la situation sécuritaire était la conséquence directe des négociations entre Kinshasa et Kigali, en 2008, lesquelles avaient abouti à l’intégration politico-militaire de l’ancienne rébellion du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple), ancêtre du M23, et au lancement d’un vaste plan de reconstruction et de stabilisation de l’est congolais (accords de Goma du 23 mars 2009).

De nombreuses questions étaient cependant restées en suspens (réforme de l’armée, réfugiés, lutte contre l’impunité, pillage des ressources), qui menaçaient de faire dérailler à tout moment le processus de « stabilisation ».

De plus, le contexte change après la réélection de Joseph Kabila, en novembre 2011. Soucieux de donner des gages à la communauté internationale, suite aux conditions contestées de sa réélection, le président congolais annonce sa volonté de mettre fin à l’impunité régnant dans l’Est du pays en procédant à l’arrestation du chef des ex-CNDP, le général (FARDC) Bosco Ntaganda (poursuivi par mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale depuis 2006).

C’est dans ce contexte qu’apparaît, dans une curieuse répétition de l’histoire, la rébellion du M23, en mars 2012, révélant ainsi les fragilités du processus de pacification en RDC, en dépit de plus d’une décennie d’efforts internationaux.

L’embarras de la « communauté internationale » face à cette « nouvelle » crise, les critiques à l’encontre de la faible réactivité des troupes onusiennes (en raison des restrictions d’emploi assignées à leurs forces et de leur peu d’appétence pour « mourir pour Goma ») favorisent une captation du processus de gestion de crise par les acteurs régionaux.

En août, la Conférence internationale pour la région des Grands Lacs (CIRGL) propose la création d’une « Force neutre », pouvant compter jusqu’à 4.000 hommes, chargée de surveiller la frontière rwando-congolaise.

Le flou entourant les objectifs de la force, les doutes sur sa neutralité, le peu d’empressement manifesté par les Etats membres de la CIRGL à y contribuer, ainsi que la question du financement, retardent la concrétisation du projet. 

Néanmoins, ce projet reçoit assez rapidement le soutien d’autres pays, dont l’Afrique du sud, soucieuse de ne pas laisser à la CIRGL le monopole de la gestion de cette nouvelle crise.
Jusqu’à l’automne, le projet de force neutre ne rencontre que peu d’échos auprès des membres permanents du Conseil de sécurité. 

A New York, la priorité est donnée au canal diplomatique, sans exclure cependant un éventuel renforcement de la présence onusienne à l’Est et une révision du mandat de la Monusco.

La chute de Goma va faire jouer le rôle d’électrochoc pour les acteurs internationaux. Le 24 novembre 2012, la CIRGL réitère sa proposition de déployer une « force neutre », sous la supervision du Rwanda et de l’Ouganda, deux pays pourtant mis en accusation par les rapports du groupe d’experts sur la RDC pour leur soutien à la rébellion.

Quelques jours plus tard, la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe) reprend la main sur le dossier et se déclare prête à contribuer à une nouvelle Force internationale de paix en RDC, tout en demandant aux Nations Unies une modification du mandat de la Monusco.

En réaction, autant par souci de cohérence (chaîne de commandement unique, volonté de ne pas avoir deux forces militaires déployées sur le même théâtre), que par nécessité d’éviter le financement d’une nouvelle mission africaine sur contributions obligatoires (modèle AMISOM, dont le soutien logistique est assuré par l’ONU), le Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) du Secrétariat propose le déploiement d’une Brigade intégrée à la Monusco composée de pays contributeurs de la région.

Le DOMP y voit également l’opportunité de revitaliser une mission discréditée aux yeux de tous, et tout particulièrement des Congolais. 

Cette proposition coïncide avec l’ouverture d’une nouvelle séquence diplomatique internationale, dont le point d’orgue est atteint avec la signature, le 24 février 2013, de l’Accord-cadre régional pour la paix et la sécurité dans la région des Grands Lacs, et la nomination d’une nouvelle Envoyée spéciale du Secrétaire général pour les Grands Lacs, Mary Robinson.

La Brigade d’intervention : mandat, organisation, moyens

Par rapport à la Monusco, dont le mandat permet en théorie la conduite d’actions robustes, la spécificité de la Brigade d’intervention est qu’elle bénéficie d’un mandat particulier, ciblé et coercitif (lutte contre les groupes armés de l’est du Congo), limité dans le temps (1 an) et dont l’esprit semble a priori différer du reste du mandat de la MONUSCO au sein de laquelle elle s’intègre.

Un mandat robuste

Le Conseil de sécurité décide, par la Résolution 2098 du 28 mars 2013, de créer, « à titre exceptionnel et sans créer de précédent », une « brigade d’intervention » ayant « pour responsabilité de neutraliser les groupes armés » et « pour objectif de contribuer à réduire la menace que représentent les groupes armés pour l’autorité de l’État et la sécurité des civils dans l’est de la République démocratique du Congo et de préparer le terrain pour les activités de stabilisation » (para.9).

« Seule ou avec les FARDC », la Brigade doit « mener des offensives ciblées et robustes, en faisant preuve d’une grande mobilité et adaptabilité et dans le strict respect du droit international », et ce, « en vue d’empêcher l’expansion de tous les groupes armés, de les neutraliser et de les désarmer » (para.12b).

Même si son mandat est limité dans le temps, la durée de vie « réelle » de la Brigade sera fonction de la mise en œuvre des engagements pris par la RDC « au titre de l’Accord-cadre et de l’élaboration et l’application d’une feuille de route nationale pour la réforme du secteur de la sécurité en vue de la création d’une ‘force de réaction rapide’ congolaise capable de prendre le relais de la brigade d’intervention » (para.10).

L’objectif de la Brigade est de réduire la menace posée par les groupes armés congolais et étrangers à un niveau qui est gérable par les institutions de défense et de sécurité nationales.

Ceci implique des opérations militaires ciblées contre ces groupes, leur participation à un processus de DDRRR (Désarmement, démobilisation, rapatriement, réintégration et réinstallation) et l’appui à l’extension de l’autorité de l’Etat dans des zones qui échappent pour l’instant largement à son contrôle.

Ceci fait du mandat de la Brigade un mandat certes coercitif, mais où l’usage de la force ne peut être que localisé et conjoncturel, afin de préserver l’action de maintien de la paix de la Monusco. 

De plus, le mandat de la Brigade est aussi fortement lié à l’accord politique que constitue l’Accord-cadre. Enfin, elle n’est pas au sens strict engagée dans les activités de protection des civils, du ressort de la Monusco.

Organisation et chaine de commandement

La Brigade comprend trois bataillons d’infanterie, une compagnie d’artillerie, une compagnie de forces spéciales et une compagnie de reconnaissance (environ 3 000 hommes). Elle est constituée de troupes provenant d’Afrique du Sud, de Tanzanie (qui en assure également le commandement avec le général James Mwakibolwa, arrivé en mai) et du Malawi.

Elle dispose de toutes les capacités militaires pour mener des actions offensives et pourrait même bénéficier de l’arrivée prochaine de drones.

La zone de responsabilité de la Brigade est la zone de déploiement de la Monusco. Dans la mesure du possible, les opérations de la Brigade seront conduites conjointement avec les FARDC ; des opérations unilatérales pourront être ponctuellement menées.

L’état-major de la Brigade est localisé à la sortie de Goma (dans un poste de commandement distinct de celui de la Monusco). La Brigade est placée sous les ordres directs du Commandant de Force de la Monusco, lequel doit l’utiliser après étroite concertation avec son RSSG (l’Allemand Martin Kobler, nommé le 10 juin dernier en remplacement de l’Américain Roger Meece) qui rendra compte au DOMP.

Planifiée pour avoir lieu en juin, l’opérationnalisation de la Brigade a finalement été repoussée pour la fin de l’été : le déploiement du contingent sud-africain a été plus long que prévu en raison de problèmes de planification et de logistique, le déploiement du bataillon malawite, redéployé depuis la Côte d’Ivoire en mai, a également pris du retard.

Elle a toutefois commencé à être active. Des opérations de reconnaissance de terrain, des patrouilles à travers la ville de Goma et ses environs, conjointement avec d’autres Casques bleus, indiens et jordaniens notamment, ont déjà été conduites.

Les premières cibles pourraient être des groupes Maï-Maï ou les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR). L’ONU pourrait privilégier aujourd’hui cette dernière option afin de donner des gages aux autorités rwandaises, qui ont accusé, à plusieurs reprises, la Brigade de collusion avec les FDLR.

Une force dissuasive ou une force d’imposition de la paix ?

Le mandat de neutralisation des groupes armés de la Brigade a depuis le départ, suscité des interprétations divergentes. Lors de l’adoption de la résolution, le Pakistan, le Maroc, la Chine et la Russie ont souligné que le Conseil prenait, en mettant en place cette brigade offensive, « une décision exceptionnelle pour une situation exceptionnelle » et que cela ne saurait constituer un précédent pour le maintien de la paix.

Les « gros » contributeurs de troupes craignent en effet que les actions de la Brigade ne remettent en cause l’impartialité globale de la Monusco. Ces réticences ont été prises en compte, comme en atteste la modération du langage des dernières déclarations présidentielles et de la Résolution 2098 qui ne parlent pas d’« imposition de la paix » (peace enforcement) et qui intègrent cette force dans la conception générale du maintien de la paix.

Pour leur part, le Secrétaire général tout comme son Envoyée spéciale pour les Grands Lacs ont considéré que la Brigade devait retenir avant tout « une posture dissuasive » et être une « force de prévention ».

Selon Mary Robinson, la primauté devait être accordée à un règlement politique de la crise. Cette circonspection est principalement motivée par la nécessité de prévenir toute escalade militaire entre les troupes de la Brigade et celles du M23, et par la conviction que la solution de la crise dans l’est du Congo sera fondamentalement politique.

Le problème est qu’une capacité de dissuasion ne peut s’acquérir qu’après un succès militaire démontrant la volonté de la Brigade à agir contre toute entrave à la stabilité. Dans l’intervalle, la Brigade doit pouvoir créer les conditions de la stabilisation, ce qui suppose d’adopter, au moins temporairement, une posture offensive, lui permettant de réduire l’activité des groupes armés.

Pour le DOMP et la Monusco, plusieurs éléments plaident donc pour une telle approche :

(1) la nécessité pour la mission, après les vives critiques dont elle a été l’objet, de recouvrer la crédibilité perdue lors de la chute de Goma,

(2) la détermination affichée des contributeurs de troupes, et

(3) la nomination d’un nouveau Commandant de Force, le général Carlos Alberto Dos Santos Cruz (ancien Commandant de Force à la MINUSTAH) qui semble déterminé à mettre en œuvre son mandat. 

Entré en fonction le 1er juin dernier, le général brésilien a affirmé qu’il n’acceptera pas « les attaques contre les populations » et utilisera « tous les moyens possibles » pour poursuivre les auteurs de crimes contre l’humanité.

En effet, comme le dit le général Patrick Cammaert, « le mandat est aussi fort que la volonté de l’équipe dirigeante de la Mission et des contributeurs de troupes de le mettre en œuvre ».

Un facteur d’apaisement ou d’exacerbation des tensions ?

Si la robustesse du mandat de la Brigade est à l’évidence un signal d’engagement fort de la « communauté internationale » aux côtés du gouvernement congolais, des doutes persistent sur les capacités opérationnelles des contributeurs de troupes, sans parler de leur volonté réelle d’aller au combat contre des groupes armés pour certains aguerris et disposant de soutiens extérieurs.

L’intensité actuelle des combats – ceux-ci ont repris depuis le 14 juillet – entre M23 et FARDC et l’impasse du processus de négociation lancé début décembre à Kampala augurent par ailleurs de difficultés supplémentaires pour la résolution de la crise à l’Est. L’attitude du gouvernement rwandais, mis en cause à plusieurs reprises pour son soutien au M23, constitue également une incertitude supplémentaire.

Paradoxalement, et ce alors qu’elle n’est pas encore complètement opérationnelle, la création de la Brigade favorise pour l’instant l’escalade militaire actuelle.

Pour le M23, qui mène depuis le vote de la Résolution 2098 une campagne d’intimidation à l’encontre des pays contributeurs de troupes, l’arrivée de la Brigade pourrait obérer ses chances d’une négociation « avantageuse » avec Kinshasa (amnistie, intégration), et dès lors encourager une attitude belliqueuse.

Pour Kinshasa, qui verrait dans le déploiement de la Brigade la preuve d’un soutien régional, et international, réaffirmé, la perspective de ce renfort militaire pourrait lui laisser entrevoir la possibilité d’une victoire décisive sur le M23. 

Celle-ci lui permettrait de recouvrer une crédibilité interne et internationale, tout en le dispensant d’une négociation coûteuse (nouvelle intégration des rebelles dans l’armée congolaise).

Pas une solution miracle aux problèmes de fond

Ce projet de Brigade, pour novateur qu’il soit, ne sera pas une solution miracle aux problèmes de fond de la région. Les attentes à l’égard de l’emploi de la force militaire doivent être modérées.

En effet, la résolution de la crise à l’Est du Congo ne peut faire l’économie d’un processus politique. La perspective du déploiement de la Brigade a agi comme un catalyseur des rapports de force régionaux et sa mise en place pourrait favoriser dans un premier temps, loin des objectifs initiaux de stabilisation, l’escalade de tensions.

Il revient par conséquent aux Etats membres du Conseil de sécurité de maintenir la pression sur les Etats de la région pour qu’ils remplissent leurs obligations au titre de l’Accord-cadre, et sur le gouvernement congolais pour qu’il mène à bien les nécessaires réformes à la réconciliation et à la reconstruction nationales.

C’est ce qu’il a fait lors de la réunion ministérielle de haut niveau sur les Grands Lacs présidée, le 25 juillet, par le Secrétaire d’Etat américain.
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Dr Alexandra Novosseloff /Dr Mélanie Cathelin  
Le Potentiel

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