jeudi 19 décembre 2013

Denis Sassou-Nguesso: “On s'en prend à l'Afrique parce qu'elle est faible”

Le 17 décembre 2013 

 
Mercredi 4 décembre, le président Denis Sassou-Nguesso nous reçoit dans sa suite de l’hôtel Meurice. © Philippe Petit


Un entretien avec Caroline Mangez

Inquiété par la justice sur les biens mal acquis, le président du Congo-Brazzaville répond dans Match. [L'entretien dans sa version intégrale]

Paris Match. En RCA, certains prédisent déjà un bourbier pour les Français…


Denis Sassou N’Guesso. Je crains que nous ne trouvions pas face à des milices aussi anarchiques et désorganisées que nous le pensions.

Vous-même vous êtes beaucoup impliqué en Centrafrique, pourquoi ce pays ne parvient-il pas à se stabiliser? Qui sont les responsables de son chaos?


Ramener ça aux acteurs d’aujourd’hui, c’est faire trop court. Depuis l’indépendance, la RCA a connu un parcours confus, toujours en étroite relation avec la France. Le premier chef de cet état, Barthélemy Boganda, est mort dans un accident d’avion dont les circonstances n’ont jamais été élucidées peu de temps après son élection. Dacko lui succède, vite renversé par le calamiteux Bokassa dont la proximité avec la France n’est pas à démontrer. Le même Dacko est ensuite remis en place à Bangui, déposé par un avion venant de Paris. Un coup d’Etat le balaye, et c’est le général André Kolingba que l’on installe. Lui ne faisait même pas semblant de diriger. Quand nous, chefs d’états voisins, arrivions à l’aéroport, c’est un certain commandant français, Mansion, qui se présentait en short et en chemisette, pour nous accueillir. Puis Patassé est venu et il a fait son tour, avant d’être balayé par Bozizé, avec l’aide de l’armée française… Ce drame dure depuis cinquante ans.

L’ironie veut donc que la France intervienne une nouvelle fois…


Vous intervenez, mais nous y sommes déjà puisque des troupes d’Afrique centrale sont à Bangui depuis les premiers jours de la crise. Le président Hollande a été très clair dans ses déclarations: les forces françaises ne viennent qu’en appui. C’est d’ailleurs l’esprit de la résolution votée aux Nations Unies. Le chef de la mission, le chef des opérations militaires sont africains, sous commandement de l’Union Africaine.
“L'Afrique est en train de frayer son chemin. Il y a une lueur d'espoir”

Au Mali, François Hollande a dit qu’en intervenant, la France s’acquittait d’une dette envers les anciennes colonies.


Si c’est cela, tant mieux. Mais je pense aussi qu’aujourd’hui, l’Europe et l’Afrique ont d’autres raisons de s’allier, dans un rapport «gagnant-gagnant» selon une formule en vogue. L’Afrique, comme autrefois l’Europe qu’aujourd’hui personne n’imagine en guerre, est en train de frayer son chemin. Il existe encore des tensions sur fond de pauvreté, mais il y a cette lueur d’espoir car tous les indices montrent que, sur le plan économique et social, elle se redresse. Comme tous les enfants qui apprennent à marcher, elle peut se lever, tomber, faire deux pas, tomber à nouveau, pleurer, mais elle finira par marcher. En raison de leurs liens particuliers, la France et l’Europe ont tout intérêt à s’impliquer, en assurant le développement et la sécurité de l’Afrique.

Comment jugez-vous l’opération Serval au Mali?


Pour la première fois l’intervention d’une puissance extra-africaine en Afrique a été unanimement saluée. Je l’ai d’ailleurs dit au sommet de l’Union Africaine (U.A) d’Addis Abeba. Elle a mis l’accent sur nos faiblesses, notre incapacité à intervenir promptement alors qu’un dispositif de sécurité collective existe. Atermoiements, hésitations, manque de coordination, de moyens logistiques et financiers peut-être aussi, nous ont empêché d’agir. Et sans l’intervention française, on aurait certainement vu les islamistes s’installer à Bamako. Néanmoins cette situation catastrophique qui touche la zone sahelo-saharienne découle d’une autre intervention qui visait à régler la crise libyenne. Aujourd’hui, la Libye ne fonctionne plus comme un Etat. C’est la Somalie, sur fond d’occupation de zones pétrolières. Cela ouvre aux réseaux terroristes la perspective de moyens colossaux, inédits. Nous avons des raisons de nous inquiéter et aussi de ne pas nous féliciter systématiquement des interventions occidentales.

Redoutez-vous la montée de l’islamisme radical en Afrique ?


Quand on regarde l’émergence d’un mouvement comme Boko Haram au Nigeria, quand on voit s’entretuer chrétiens et musulmans en République de Centrafrique (RCA), alors que dans ces deux pays jusque-là ces communautés vivaient en harmonie, quand on voit les attentats de Nairobi, c’est inquiétant. Pour le monde entier.

Le Congo Brazzaville est numéro 2 au classement Forbes des dix pays africains ayant les plus forts taux de croissance de leur PIB… Pensez-vous que l’Afrique peut être la prochaine terre promise de l’économie mondiale?


Fortement. Et je ne suis pas le seul à le penser. Il faut s’en référer au rapport Védrine ainsi qu’à celui récemment publié par le Sénat Français intitulé: «L’Afrique noire, avenir du monde». D’ici vingt-cinq ans, les Africains seront peut-être presque aussi nombreux que les Chinois. Cette population jeune, en train de se qualifier, est assise sur une terre qui renferme les plus importantes ressources naturelles du monde. A condition que nous réussissions les bons partenariats, tout le monde pourra bientôt, comme moi, parier sur ce continent.

Que reste-t-il en vous du militant marxiste du Parti congolais du travail?


Un de vos dirigeants a inventé ce terme qui me parle: la fracture sociale. C’était, pour le citer, mon ami Jacques Chirac. Tant qu’existera cette fracture, des forces, marxistes ou pas, lutteront pour une plus grande justice sociale. Je n’ai jamais renoncé à mes idéaux et je suis le seul dirigeant africain dit marxiste qui n’a pas étudié en ex-URSS puisque j’ai fait mes classes à l’école interarmées de Cherchell en Algérie puis à Saint-Maixent. Disons que je suis un socialiste hybride, issu du communisme primitif puisque j’ai grandi dans un village où il n’y avait pas de barrières, et où la communauté se répartissait les tâches.

Quelle a été votre enfance?


Pour aller de mon village d’Oyo à l’école à Owando, je parcourais cent kilomètres, en deux jours, pieds nus sur le sable chaud. Je n’avais pas 11 ans, il n’y avait évidemment pas de cantine et, du fait des distances, je ne pouvais voir ma mère que tous les trois mois.

Cette dernière a eu une importance capitale dans votre parcours?


J’avais pour elle un immense respect. Paysanne modeste, elle passait ses journées dans les plantations, quittant notre hutte à 4 heures du matin. Quand elle revenait à 16 heures, c’était pour repartir dans une autre direction puiser de l’eau. Elle rentrait ensuite faire la cuisine et nous dînions vers 20 heures. Mon père grand guerrier et grand chasseur ne ramenait du gibier que quand il réussissait son affaire. Maman, elle, assurait le repas quotidien, faisait l’essentiel, et vendait une partie de ses récoltes pour nous envoyer à l’école. Je suis le seul de ses quatre enfants à être allé au bout de ses études, les autres sont tombés au combat. Les conditions étaient difficiles et ses préceptes sérieux: il ne fallait pas voler, ni tricher, ni mentir. Jusqu’à sa disparition, elle m’a donné des conseils pour marcher droit. Elle a fait son travail et il y a quelques restes.

L’économie du Congo-Brazzaville repose essentiellement sur les revenus du pétrole, c’est, dites-vous, autant une force qu’une faiblesse, pourquoi?


Ce n’est pas un secret: le pétrole se tarit. Certains gisements exploités depuis les années 60 arrivent en fin de cycle et on ne peut rien contre cela. Il faut donc aller à la diversification. Nous avons 342 000 Km2 de terres agricoles disponibles, des réserves forestières, des minerais, de l’eau, du soleil et de la main d’œuvre, donc de vastes possibilités.

A combien s’élèvent les recettes du pétrole et qu’en faites-vous?


Environ 4 milliard d’euros par an, entièrement dédiés au budget national.
“La Chine nous prête à des taux préférentiels. En retour, il est normal qu'elle nous propose ses entreprises”

Brazzaville a été la seule étape en terre francophone du président Chinois Xi Jinping. De plus en plus d’entreprises de son pays prennent le pas sur les nôtres, pourquoi?


Nous avons reconnu la Chine populaire en février 1964, quelques mois avant le Général De Gaulle qui le faisait contre l’avis des Américains. C’est donc une très ancienne relation d’amitié et de coopération. Par ailleurs, et il faut aussi le souligner, ce pays nous prête à des taux préférentiels. En retour, il est normal qu’il nous propose ses entreprises. A compétences égales, pour la construction d’une route, entre une société chinoise qui nous promet d’accomplir l’ouvrage en 16 mois, et une européenne qui parle de 24 mois, il est logique que nous options pour la première. Moins cher, plus vite, aussi bien, c’est souvent la réalité des choses.

L’avocat Robert Bourgi a déclaré avoir porté des valises en votre nom au candidat Nicolas Sarkozy lors des dernières présidentielles françaises… Est ce vrai?


C’est à mon avis une déclaration irresponsable. Mais quand on connaît le personnage, elle n’a rien d’étonnant. Parler ainsi est hasardeux lorsque l’on sait à quel point les relations au niveau des Etats sont complexes.

Que vous inspirent les critiques formulées contre la «Françafrique»?


Quand on parle de Françafrique, il faut s’en référer aux Etats et à leurs intérêts. A qui la relation profite-t-elle le plus? A l’Afrique ou à la France? Difficile à dire. On peut dire que la «Françafrique» a été mauvaise, encore faut-il initier une nouvelle relation qui sera meilleure. Car tout le monde y a intérêt. Quand le général De Gaulle lance l’idée de la communauté franco-africaine, il y avait d’un côté l’aide que la France pouvait apporter à notre continent, mais de l’autre votre pays gagnait en influence aux Nations Unies. Lorsque tous les pays d’Afrique francophone joignaient unanimement leurs voix à celles de votre gouvernement, cela a-t-il été porté à notre crédit? Les Allemands demandent aujourd’hui que les francs africains, monnaie d’Etats souverains, rejoignent les comptes d’opération de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement plutôt que ceux de la Banque de France. Celle-ci résiste parce que cet argent de l’Afrique lui permet de lever des fonds colossaux à des taux dérisoires.

Vous vous indignez qu’en France on puisse demander des comptes sur les frais de bouche de nos présidents, est ce dire que vous n’enviez pas leur sort?


Dans notre culture, nous avons une certaine idée du chef. Tout le monde n’est pas chef, et le chef n’est pas tout le monde, d’autant qu’en démocratie, une majorité le désigne. On lui doit donc de la considération. Imitant ce qui se fait chez vous, certains journaux africains commencent à traîner les dirigeants dans la boue. Cela n’amènera selon moi que ce que le général de Gaulle appelait la chienlit. Lui, lorsqu’il représentait la France à l’étranger, ne rechignait ni à la dépense, ni à donner des bals pour la valoriser.

Comment êtes-vous rémunéré ?


Je suis resté agent de l’Etat depuis le premier jour et jusqu’à aujourd’hui. L’Etat me verse un salaire qui me permet de vivre confortablement avec ma famille. L’argent m’est utile, mais ce n’est pas ce qui guide ma vie. Je me suis engagé dans des batailles autrement plus dures sans y penser.


“Si j'avais pillé des milliards au Trésor pour acheter des châteaux en France, c'est à notre justice de s'en emparer”

Vous n’êtes pas dépensier?


Je n’en ai pas le loisir. Ce sont mes enfants qui, à l’occasion de leurs voyages, achètent et me ramènent ce dont ils estiment que j’ai besoin. Je ne vais jamais dans les magasins. Si vous me demandez comme aux Grosses têtes de vider mes poches, je n’en sortirais qu’un mouchoir.

Suite aux plaintes de deux ONG, Transparency International et Sherpa, qui vous accusent de recel, de détournement de fonds publics. Vous faites depuis 2008, l’objet d’une procédure judiciaire en France pour des biens mal acquis…


Cela s’est fait avec simplement la volonté de nuire. Et cela choque les Congolais. Si j’avais pillé des milliards au Trésor pour acheter des châteaux en France, c’est à notre justice de s’en emparer. Ne pas le reconnaître, c’est mettre en doute notre souveraineté. Pour instruire sur des sommes soi disant détournées au Congo, il faut aller constituer le délit au Congo.

Vos avocats ont plaidé cela et ont été déboutés…


Quand la cour de cassation ordonne la poursuite de l’instruction, on est au comble de la chose, non? C’est ce que je crois et c’est la raison pour laquelle nous allons saisir la justice internationale. On proclame que ce sont des biens mal acquis, à quel titre? Ce n’est même pas prouvé, que déjà on le tient pour une vérité. Où est la présomption d’innocence? Le vrai problème n’est pas juridique, il est politique et médiatique.

Dans cette enquête, on évoque 24 biens immobiliers en région parisienne et 112 comptes bancaires qui seraient détenus en France par votre famille…
J’ai fait une déclaration autorisant les banques à rendre publics les comptes éventuels que je pourrais détenir directement ou indirectement. A ce jour, je suis sans nouvelles de leur part, et vous aussi.


“Pourquoi ne s’en prend-on qu’à des Africains, alors que Russes et pays du golfe rachètent tout Paris ?”

Et s’il s’avérait que ces biens appartiennent réellement à vos enfants?


Il me semble que le fils de votre ministre des Affaires étrangères a commis quelques dépenses parfois inconsidérées, pour autant pointe-t-on du doigt son père au point de déstabiliser son pouvoir? Par ailleurs, mes enfants sont mariés, parents et même, pour certains, grands-parents. Ils ont le droit de vivre leurs vies, ce sont des citoyens libres. Certes il ne faut pas qu’ils commettent des excès, donnent le sentiment qu’ils ont volé quelque part. Mais je ne crois pas qu’ils méritent d’être traqués parce que ce sont mes enfants. Une de mes filles travaille avec moi, comme autrefois Claude Chirac auprès de son père. Elle a fait de brillantes études, elle a gagné cette place et ma confiance. Est-ce une raison pour que la police française aille fouiller dans les poubelles pour savoir où et combien elle achète ses chaussures? Quand leurs services font le tour des magasins puis des médias pour que finalement soit publiés le prix de nos chaussettes, de nos cravates, de nos bijoux, c’est un lynchage inacceptable. Lorsque les Etats du Golfe offrent traditionnellement des montres en or à leurs hôtes et visiteurs, ces derniers savent-ils qu’on pourrait considérer ces cadeaux comme des biens mal acquis? Pourquoi ne s’en prend-on qu’à des Africains? Les Russes et d’autres, les pays du Golfe notamment, rachètent tout Paris et même bientôt vos banlieues je crois, et personne ne vient crier au scandale? Quelle est la motivation qui perce derrière les plaintes déposées par des ONG qui ont pour principaux actionnaires des intérêts étrangers ? On s’en prend à l’Afrique parce qu’elle est faible, mais comme je vous l’ai dit, ce ne sera pas toujours le cas.

Connaissez vous la société Franck Export, basée à Orly, par laquelle auraient transité des fonds de la Direction du Trésor de la République du Congo, et son patron Franco Cantafio?

Je ne connais pas celui-la. Je crois même ne l’avoir jamais vu de ma vie, peut être un membre de ma famille dira autre chose. Et qu’importe. L’argent du Trésor du Congo n’a pu arriver dans cette société que pour payer un service rendu à l’Etat. Lorsque ce dernier achète des biens ici, il emploie des transitaires qui le livre là-bas…

Si vous appreniez qu’un membre de votre famille était lié à cette société, ou à de tels détournements, le sanctionneriez-vous?


Si mes enfants ont commis des fautes, c’est à la justice de mon pays de se prononcer.

Ces démêlés judiciaires entament-ils vos relations avec la France?


J’ai récemment reçu en France un accueil très courtois du président Hollande. Cependant la justice française étant une institution, il me semble qu’elle ne peut traiter de façon maladroite des affaires d’Etat et penser que cela sera sans conséquences. Les relations entre la France et l’Angola ont souffert de l’affaire dite de l’Angolagate que j’ai suivie de près. Aux heures les plus tendues, il y a même eu je crois des répercussions sur les échanges pétroliers.

Vous n’êtes pas en veine avec la justice française, puisque le 7 septembre dernier, celle-ci a tranché pour que, sept ans après sa ré-inhumation solennelle dans un mausolée de Brazzaville, vous restituiez la dépouille de l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza à ses descendants…


Savorgnan de Brazza était oublié dans un cimetière chrétien perdu d’Alger. Même sa propre famille, celle qui bouge en ce moment et s’est choisi pour avocat le même Maître Bourdon, l’ignorait. C’est un de ses arrières neveu qui est venu nous demander un jour d’exaucer la volonté de son ancêtre en rapatriant sa dépouille mortelle à Brazza. L’Etat congolais l’a fait, engageant des démarches officielles auprès de la France dont il était citoyen, de l’Italie dont il était originaire, de l’Algérie où il reposait et de sa famille. Celle-ci a exigé au passage que nous construisions une route, que nous érigions des statuts, autant de choses qui sont au programme mais pas nécessairement prioritaires. Et parce que nous avons du retard, ceux qui ne savaient même plus où était la tombe de leur ancêtre s’animent… Admettons que nous leur cédions, serait-ce intéressant que Brazzaville change de nom? On emmène sa dépouille, et tout ce qui porte ici son nom cesse d’être. Ce serait une honte pour l’histoire. Nous garderons ses cendres et invitons ceux qui veuillent s’y recueillir à venir nombreux.
“Mandela restera pour l'Afrique un symbole de lutte. Pour nous, il est immortel”

Quels souvenirs garderez-vous de Nelson Mandela?


Le 11 février 1990, je vole au-dessus de l’Atlantique, en direction de Washington. Je suis le premier chef d’Etat marxiste invité en visite d’Etat. Pour George Bush père, c’est une façon de me remercier. C’est le pilote qui est venu nous annoncer sa libération et j’ai sabré le champagne pour saluer l’événement. Un mois plus tard, je rencontrais Mandela pour la première fois à Windhoek, capitale de la Namibie. Il était 18 heures, le soleil, immense et rouge à l’horizon se couchait, quand le drapeau de l’Afrique du Sud a été descendu pour hisser celui de ce nouvel Etat indépendant. Mandela, simple citoyen, était là, au milieu de nous les dirigeants africains, c’était un moment très émouvant. Lors d’une tournée africaine pour récolter des fonds qui permettraient de rapatrier les anciens combattants de l’ANC, il est passé à Brazzaville. Il n’était pas encore président. J’ai fait ouvrir la boîte de nuit du palais présidentiel, nous avons dansé jusqu’à l’aube et j’ai évidemment contribué à sa cause. Mandela restera pour l’Afrique un symbole de lutte. Pour nous, il est immortel.

«C’est un des grands dirigeants de l’Afrique» disait-il de vous. Vous considérez-vous comme une sorte de père, de leader régional?


Mandela a dit cela alors que je n’étais plus président. J’étais dans ce que certains ont appelé ma traversée du désert et j’avais demandé à le voir afin qu’il intervienne pour que les échéances démocratiques soient respectés dans mon pays ce qui n’était pas le cas. Il m’a reçu avec mon vieil ami Jean-Yves Ollivier pour un déjeuner à la présidence, à Cape Town. Nous avons bu, parlé, mangé pendant près de deux heures, et à la sortie, il a prononcé ces mots. Oui, aujourd’hui, j’ai sûrement un rôle à jouer, au niveau régional, et même africain. Tant que je pourrais, je continuerais à aider à la résolution des crises, et à la construction de l’Afrique. De là à proclamer que je suis devenu ceci ou cela, certainement pas. Seuls les actes comptent.

Le 11 février, vous célébrerez le 25ème anniversaire du protocole de Brazzaville qui établissait la paix en Afrique australe, ouvrant la voie à la libération de Nelson Mandela, et aussi, ce qui ce sait moins, à la fin de la guerre froide…


Nous avons choisi cette date pour qu’elle coïncide avec l’anniversaire de la libération de Mandela. Il y a un quart de siècle, il était en prison, et les Nations Unies dans l’impasse, incapables de trouver une solution. Réussir à mettre autour d’une table Cuba, l’Angola, les Etats-Unis, l’URSS, amener l’ANC et le régime de l’Apartheid à se parler, c’était le dégel avant l’heure. En marge de l’accord officiel tripartite scellant la paix entre l’Angola, l’Afrique du Sud et la Namibie qui allait accéder à l’indépendance, des conversations sortent deux évènements essentiels. Il y a la reconnaissance de l’ANC avec toutes les répercussions qui s’ensuivent. La garantie par l’Afrique, en contrepartie, que l’on ne jetterait pas ces Blancs à la mer, qu’ils resteraient des citoyens sud-africains à part entière. Même si les esprits avaient alors déjà commencé à s’ouvrir, la délégation sud-africaine eut bien du mal à faire passer cela auprès de son opinion publique. Au bout, il y a la République Arc en ciel, l’arrêt de l’ingérence américaine et soviétiques dans les conflits d’Afrique Australe, avec le départ des troupes cubaines d’Angola.

Dans les manuels d’histoire, ce protocole porte le nom d’accord de New York, vous vous êtes fait voler la vedette?


Sans doute fallait-il donner un plus grand retentissement international à cet événement rebaptisé sans que l’on change la moindre virgule à l’accord signé à Brazzaville. Il faut parfois avoir la victoire modeste. Peut-être, à l’occasion de cet anniversaire, le monde reconnaître notre implication et celle de l’Afrique.

Vous venez de fêter vos 70 ans et avez passé vingt-huit ans au sommet de l’Etat. Envisagez vous votre succession?


Ce n’est pas à l’ordre du jour.


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