jeudi 10 juillet 2014

Lumumba et les documents US déclassifiés en 2014

le mercredi 9 juillet 2014



« Un peuple sans mémoire ne peut pas être un peuple libre. » D. MITERRAND

Certaines questions historiques engageant notre devenir collectif reviennent sur le devant de la scène politique mondiale. Elles posent le problème du traitement que nous leur avons réservé et des conséquences que nous en avons tirées. 


Les documents US déclassifiés au cours de cette année 2014, par exemple, permettent de comprendre ‘’la politique profonde’’ US dans le traitement de l’assassina de Lumumba. 

Cet assassinat a participé de l’occupation US du Congo pour quelques décennies jusqu’à la guerre de 1996-1997. ‘’Les créateurs du Congo’’ pendant toute cette période semblent être sur le point de le liquider ou d’en faire tout simplement et officiellement ‘’un protectorat’’. Aux dépens de ses filles et filles ayant refusé de jouer aux ‘’nègres de service’’.

Les documents déclassifiés du Département d’Etat US sont, pour plusieurs analystes politiques, des sources venant jeter un peu plus de lumière dans la compréhension des ambitions secrètes américaines. 


Certains de ces analystes essaient de comprendre la politique profonde menée par le pays de l’Oncle Sam depuis la deuxième guerre mondiale jusqu’à ce jour et n’excluent pas la possibilité qu’il nous engage sur ‘’la route vers le nouveau désordre mondiale’’[1] ou sur celle de ‘’la reconstruction de l’idéologie impériale’’[2] avec la complicité d’une certaine élite politique et intellectuelle.

Pour eux, sans une bonne compréhension préalable de la politique profonde US, il peut être très difficile d’échapper à la vision dominante de l’histoire et à la criminalisation des combattants de la liberté assimilés aux ‘’communistes’’ ou aux ‘’terroristes’’ pour le besoin de la cause ; c’est-à-dire pour le triomphe de la vision unipolaire du monde et du ‘’rationalisme économique’’ ; une idéologie made in USA et mise au service des entreprises privées.

Nous inscrivant dans la dynamique de la compréhension de la politique profonde US, nous nous proposons d’étudier et de partager les lignes maîtresses que l’auteur de ‘’ American Foreign Politicy in the Congo, 1960-1964’’ (publié en 1974), Stephen Weissman, vient dégager des documents US déclassifiés et intitulés ‘’Foreign Relations of the United States (FRUS), 1960-1968, Volume XXII, Congo (1960-1968). 


D’emblée, disons que ces lignes maîtresses partagent bien des points communs avec certaines vues de Noam Chosmky et surtout ceux exprimés dans son article publié le 07 juillet 2014 et intitulé ‘’The US sledgehammer worldview’’.

En écoutant Stephen Weissman sur les derniers documents US déclassifiés, il s’avère nécessaire de situer la tragédie congolaise ayant entraîné l’assassinat de Patrice Emery Lumumba dans le contexte général ayant prévalu pendant et après la deuxième guerre mondiale.

Au cours de cette période, au Conseil des relations extérieures US, un groupe d’études dénommé ‘’Guerre et Paix’’ au sein duquel l’ambassadeur George Kennan a une très grande influence produit un document intitulé ‘’le Grand Domaine’’. 


Ce texte fait de l’accès des USA aux ‘’ressources naturelles stratégiques’’ une préoccupation majeure. Cette doctrine veut que ces ‘’ressources stratégiques’’, si elles se retrouvent ailleurs, puissent être considérées, contre toute règle de droit international, comme étant américaines. (Elles se retrouveraient ailleurs par erreur géographiques.) 

La doctrine Monroé enfoncera le clou en estimant que l’Amérique latine devait être considérée comme ‘’l’arrière-cour’’ US ; toutes les ressources naturelles s’y trouvant appartiendraient aux USA. 

Aussi, ces ‘’ressources naturelles stratégiques’’, où qu’elles se retrouvent, font-elles partie des ‘’intérêts US’’. Les peuples autochtones ou les élites intellectuelles ou politiques qui s’opposeraient à leur accaparement unilatéral par les USA devraient être réprimés.

Pour George Kennan par exemple, « un régime fort est préférable à un gouvernement libéral laxiste et infiltré par les communistes. »[3] (Quand, plus de cinquante ans après, Obama dira qu’il veut travailler avec des institutions fortes et non les hommes forts, il n’ajoutera pas que, tout au long de l’histoire US, le choix des régimes forts fut prépondérant. Soit !)

Dans l’entendement US, qui étaient ces ‘’infiltrés communistes’’ ? 


Souvent, ce sont de véritables ‘’intellectuels subversifs’’ voulant rompre avec les sentiers battus US, avec la ‘’ way US of life’’ ou ceux que les têtes pensantes US considèrent comme tels. 

« Le terme communiste, note Noam Chomsky, avait un sens bien précis dans les cercles du pouvoir, tout comme dans les médias et chez les commentateurs, d’ailleurs : dirigeants syndicaux, militants paysans, prêtres lisant les Evangiles à des paysans en organisant des groupes d’entraide fondés sur leur message pacifiste radical, ou quiconque préconisait de mauvaises priorités (aux yeux US). »[4] Insistons. « Intégrant les opinions personnelles de Kennan, la politique officielle considérait que les intérêts des Etats-Unis étaient menacés par des ‘’ régimes extrémistes et nationalistes’’ se montrant sensibles aux pressions populaires pour ‘’ des améliorations immédiates au faible revenu de vie des masses’’ et pour un développement qui tienne compte des besoins de la population locale : ces tendances étaient contraires à la nécessité d’un ‘’climat politique et économique favorable à l’investissement privé’’ et aux ‘’rapatriements des profits’’. »[5] 

Il y a là une nette opposition entre d’une part, ce que cette politique officielle nomme ‘’la philosophie néonationaliste’’, soubassement ou matrice organisationnelle des politiques sociales redistributives, sensibles aux besoins des masses populaires ; et d’autre part l’idéologie capitaliste sauvage dénommée ‘’rationalisme économique’’, hostile aux masses et aux bénéfices qui leur sont redistribués, mais favorable aux investisseurs privés US.

L’opposition entre ‘’la philosophie néonationaliste’’ et ‘’le rationalisme économique’’ nous semble être l’une des clés pouvant aider à comprendre ‘’la guerre perpétuelle’’ menée par les partisans du ‘’capitalisme du désastre’’ contre ‘’les communistes’’ et ‘’les extrémistes’’. 


‘’Le rationalisme économique’’ sert de subterfuge, de prétexte à ‘’la machine guerre américaine’’[6] pour mener sa politique profonde en vue d’étendre son ‘’Grand domaine’’ ; en d’autres mots, son empire. Quand elle décide par exemple, en secret, de s’emparer du Congo, Lumumba n’est pas encore premier ministre. 

Les documents déclassifiés témoignent que la CIA avait programmé la déstabilisation de la politique congolaise pour quelques décennies à partir de 1960. (‘’The CIA's programs of the 1960s distorted Congolese politics for decades to come.’’) 

Elle a tout mis en œuvre pour garder le Congo dans le giron occidental. Son chef au Congo, Laurence Devlin, a contribué à l’assassinat de Lumumba et fini par devenir membre du gouvernement piloté par Mobutu tout en mettant de l’argent à sa disposition. (The CIA engaged in pervasive political meddling and paramilitary action between 1960 and 1968 to ensure that the country retained a pro-western government. The CIA Chief of Station Lawrence Devlin had so much influence that he became not only the pay master but a de facto member of the government that he had helped installed after the September 14, 1960 coup. The CIA Chief of Station Lawrence Devlin had direct influence of the events that led to Lumumba's death. He was assassinated on January 17, 1961.)

Tout de suite après l’assassinat de Lumumba commandité par le Président Eisenhower[7] avec la complicité du responsable de la CIA, Allen Dulles, et exécuté au Katanga par leurs ‘’nègres de service’’, ‘’les partisans du rationalisme économique’’ répandent un mensonge. 


Ils soutiennent qu’il est tombé dans une rivière pleine de crocodiles. (Nous avons, dans l’assassinat de Lumumba, quelques éléments rentrant dans la définition d’une ‘’politique profonde’’. 

Elle est l’action politique menée en secret par une poignée d’acteurs appartenant aux institutions officielles et officieuses et couverte par le mensonge. Elle vise la domination impériale et l’accès aux postes de pouvoir (et d’argent) enviés par les ‘’nègres de service’’ qui y prennent part.) Pourtant, il n’en était pas question. 

Lumumba fut bel et bien assassiné. L’un des ‘’nègres de service’’, Mobutu, utilisa l’hélicoptère personnel de l’ambassadeur des Etats-Unis au Congo, M. Clare Timberlake, pour rechercher ‘’le fuyard’’ Lumumba. Mobutu reçut, quelques temps après cet acte crapuleux, du Président Kennedy, une plaque de commandeur de la Légion du Mérite sur laquelle on pouvait lire : « En nettoyant son pays des éléments étrangers communistes, il a prouvé qu’il était le gardien de la liberté et un ami des nations libres du monde. »[8]

Ce texte travestit la vérité. Il aurait pu être rendu de la manière suivante : « En devenant le nègre de service de la CIA et du ‘’rationalisme économique’’, Mobutu a permis au ‘’Grand Domaine’’ de s’étendre jusqu’au Congo en participant à l’assassinat de son chef et en jetant les bases de sa dictature. »

La CIA, en effet, avait programmé de faire main basse sur le Congo pour quelques décennies. Elle a réalisé cela en recourant à la dictature, aux services de la Banque mondiale et du FMI jusqu’au jour où, Mobutu malade, devenait ‘’une créature de l’histoire’’ pour ‘’la politique profonde américaine’’.

A partir des documents US déclassifiés en 2014, il devient clair que “the CIA's legacy of clients and techniques contributed to a long-running spiral of decline which was characterized by corruption, political turmoil and dependence on western military intervention. So dysfunctional was the state that in 1997 it collapsed leaving instability to this day.’’ (Il est interpellant que le bras civil de ce service secret américain, l’USAID et le NDI, ait décidé de collaborer avec six partis congolais les plus en vue sur l’échiquier politique jusqu’en 2017! Les dés semblent pipés !)

La faillite de l’Etat au Congo/Zaïre n’est pas, dans ce contexte de ‘’guerre perpétuelle’’, une génération spontanée. Elle participe de son évidement interne par les actions secrètes du service secret américain, de ses alliés, de son bras civil et de ses ‘’nègres de service’’, partisans du statu quo et (souvent) esclaves volontaires. 


Elle est l’expression visible des ‘’50 ans d’ambitions secrètes US’’ et permet de comprendre que le pays de Lumumba est ‘’un intérêt permanent’’ pour les élites dominantes anglo-saxonnes et de tous les autres ‘’chasseurs de matières premières’’[9]. Inquiétant !

Le message du 07 juillet 2014[10] adressé par Barack Obama au Congrès américain ne semble pas être de nature à apaiser nos inquiétudes. Il suscite la peur et l’émoi ; la peur de voir le Congo revêtir officiellement le statut du ‘’protectorat américain’’ pour les cinquante ans à venir. 


Dans ce message au Congrès américain, en effet, « le Président OBAMA annonce une série de mesures urgentes en rapport avec la situation en RDC. Barack OBAMA précise que ce qui se passe en RDC est une menace inhabituelle et extraordinaire pour la politique étrangère des USA. »

Lisant ce message, un compatriote note : « Il s’agit là, à mon avis, d’un Executive Order (E.O.) par lequel les américains se donnent la liberté d’agir ouvertement en RDC dans le sens de liquider. »

Que faire pour éviter le pire ? Comment lire collectivement ce texte et l’archiver pour que nos enfants et nos petits-enfants en soient au courant afin qu’ils évitent la répétition de la mauvaise histoire ?

En restant attentif à l’actualité politique congolaise, nous avions le pressentiment que le débat sur la révision constitutionnelle commençait à sentir mauvais. Il semblait cacher quelque chose de ‘’plus sérieux’’. Est-ce cette liquidation programmée du Congo de Lumumba ? Peut-être ! 


Même si tous les Congolais et toutes les Congolaises n’ont pas encore dit leur dernier mot…Il serait intéressant, pour aller plus loin dans la compréhension de ce qui risque de nous arriver, de revoir le petit documentaire (de 26 minutes) intitulé ‘’le conflit au Congo. La vérité dévoilée’’. 

Comprendre cette vérité peut soutenir les actions des ‘’minorités organisées et éveillées’’ afin que le Congo ne disparaisse pas de la carte du monde.
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Mbelu Babanya Kabudi


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[1] Lire P. D. SCOTT, La route vers le nouveau désordre mondial. 50 ans d’ambition secrète des Etats-Unis, Paris, Demi-Lune, 2011.

[2] Lire J. BRICMONT, Noam Chomsky, activiste, Paris, Aux forges de vulcain, 2014.

[3] N. CHOMSKY, Futurs proches. Liberté, indépendance et impérialisme au XXIe siècle, Paris, Lux, 2011, p. 36.

[4] Ibidem.

[5][5] Ibidem, p. 37.

[6] Lire P.D. SCOTT, La machine de guerre américaine. La politique profonde, la CIA, la drogue, l’Afghanistan,…, Paris, Demi-Lune, 2012.

[7] Lire N. CHOMSKY, The US sledgehammer Worl view, dans http://www.informationclearinghouse.info/article39024.htm

[8] La Libre Belgique, 25-28 mai 1961, citée par J. CHOME, L’ascension de Mobutu. Du sergent Joseph Désiré au général Sese Seko, Bruxelles, Complexe, 1974, p. 74.

[9] Lire R. CUSTERS, Chasseurs de matières premières, Bruxelles, Investig’action, 2013.

[10] http://m.whitehouse.gov/the-press-office/2014/07/08/message-congress-regarding-democratic-republic-congo

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