mercredi 25 mars 2015

Opérations retour et autres formes de compréhension

17 mars 2015 

 
La corruption ? Quel vilain mot ! De quoi parlez vous ? Aucun de nos interlocuteurs ne se hasarde à le prononcer. Surtout au téléphone…

En revanche chacun reconnaît que quelques vieilles pratiques ont la vie dure et qu’elles prennent des formes nouvelles. La plus connue, c’est l’Opération Retour.

C’est à l’occasion de la guerre à l’Est que la formule a fait florès : tel chef militaire, à Kinshasa, envoyait vers Goma ou Bukavu l’argent destiné à payer les soldes des militaires engagés sur le front. 


Mais sur les listes figuraient aussi des « fantômes », morts, disparus, inexistants en tous cas. Les sommes non redistribuées aboutissaient dans des comptes privés, finançant la bulle immobilière locale, et une part non négligeable du butin était renvoyée à Kinshasa. 

Retour à l’expéditeur. Aujourd’hui cependant, les paiements par voie bancaire et surtout l’établissement de fiches biométriques des militaires par la mission européenne EUSEC ont décimé les « fantômes ». 

Mais les « retours » se pratiquent toujours : « même les bailleurs qui veulent faire aboutir leurs projets savent qu’il faut « convaincre » le fonctionnaire en charge du dossier » nous assure un coopérant, qui précise que « le choix des consultants, très bien payés, se fait aussi moyennant quelques « encouragements »… » »

Ce pays est une vache à lait pour tout le monde » poursuit-il « et, puisque le système ne peut ou ne veut se réformer, chacun sait que sur chaque projet, il y a un « coulage » de 15 à 20%… » 

Le Dr Yasar Argun Irsin, conseiller en passation des marchés auprès du Premier Ministre, accepte cependant d’être cité lorsqu’il explique que « le travail n’est pas facile, mais nous multiplions les audits, nous vérifions les contrats, tentons de faire respecter les règles des marchés publics. C’est lent, mais cela s’améliore… »

Pour sa part, notre coopérant poursuit : «le problème, c’est que les fonctionnaires sont encore sous payés et chacun est obligé de se débrouiller. En outre, il n’y a pas de culture de l’impôt. Les gens ne comprennent pas que les taxes qu’ils paient pourraient servir à construire le pays… » 


En revanche, les « tracasseries » font partie du quotidien : un « café » pour le policier de faction, un « sucré » (limonade) pour le militaire, une barrière de bois sur les pistes de campagne, un petit billet à l’agent de la circulation qui vous coince indûment…

Un homme d’affaires belge, actif dans le secteur bancaire, nous déclare cependant, la main sur le cœur : « nous, nous refusons de distribuer enveloppes et pots de vin. Tout est clair, vérifiable… Question de principes… » 


Quelques instants plus tard, il reconnaît cependant que « cette rigueur nous fait rater pas mal d’affaires… Tout le monde passe avant nous, nos dossiers traînent… On peut réussir, mais il y faut de la patience…» 

Lui cite-t-on, le cas d’un entrepreneur qui proclame haut et fort que lui, il ne corrompt jamais personne que notre interlocuteur éclate de rire : « mais évidemment, il ne dira jamais le contraire…

D’ailleurs, le système est infiniment plus subtil que la banale distribution d’enveloppes. Il faut « intéresser » ses interlocuteurs, répondre avec finesse à des questions délicatement avancées comme « et moi là dedans ? » ou, plus brutalement, « de combien est ma part ? »

Dans les milieux d’affaires, les anecdotes abondent, à propos de délégations venues d’Iran, de Corée du Sud ou d’ailleurs et peu au fait des mœurs locales, qui sont reparties sans avoir réussi à rencontrer le moindre responsable, puisque refusant obstinément de « comprendre », autrement dit d’ « encourager » les intermédiaires. 


C’est pour cela que des investisseurs étrangers, venus de contrées lointaines et désireuses de s’engager dans le domaine minier, recourent volontiers à des intermédiaires belges « eux au moins nous comprennent », assurent les Congolais soulagés, « ils nous ont tout appris ». 

Installé en Afrique pour y développer une société d’éclairage, un homme d’affaires de dimension moyenne se souvient :«en Belgique aussi je devais lâcher 10% pour obtenir le moindre contrat. On appelait cela un discount… »
_________________________

Le carnet de Colette Braeckman

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire