jeudi 2 avril 2015

La vieille question que repose le Prof. Mbata au Congo-Kinshasa

le mardi 7 octobre 2014

« L’outil le plus puissant que détienne l’oppresseur est la pensée de l’opprimé » S. BIKO

« Là, je parle en tant que ‘’scientifique’’. Maintenant, je te parle en tant que ‘’politique’’ ». Telle est la gymnastique à laquelle se livrent certains ‘’politiques’’ et ‘’profs’’ des Universités de cette période historique de ‘’la fin de la politique’’ quand ils ont envie de justifier la dislocation de ‘’leur moi’’ face aux intérêts partisans. 

L’arrimage du Congo-Kinshasa au discours de ‘’la fin de la politique’’ est en train de conduire ‘’les intellectuels congolais’’ à un effort pour le respect des sphères rationalisées de la vie. 

« Tu es un professeur d’université, ne te mêle pas de politique active. Tu es prêtre, garde-toi de franchir les frontières de la sacristie. La politique a ses carriéristes. Ils s’en occupent. » 

Cette approche rationalisée des sphères de la vie et de la politique ne commence toujours pas par dire ce qu’elle entend par ‘’la politique’’, cet art de la gestion commune de la cité. 

Par ses dernières prises de position publique, le Prof Mbata est pris dans ce débat et sommé de choisir entre ‘’le politique’’ et ‘’le scientifique’’ qu’il devrait être.

La domination d’un groupe influent dans une société quelconque repose souvent sur une certaine catégorie d’intellectuels, d’hommes politiques et de journalistes qu’il promeut. 

Les citoyens et les citoyennes info-formé(es) sur leurs droits et libertés fondamentales ont toujours été un talon d’Achille pour les pouvoirs dominants. Aussi se disposent-ils toujours à mener leur « éternel combat pour gagner les cœurs et les esprits ». 

« Dans les systèmes de pouvoir, dans les cercles dirigeants de la grande industrie, dans les entreprises de relations publiques, c’est bien sûr le fruit d’une stratégie soigneusement pensée, nous enseigne Noam Chomsky[1]. » 

Le Congo-Kinshasa étant lié à ces nouveaux ‘’centres de pouvoir’’ par son insertion forcée dans le système néolibéral a son ‘’groupe dominant’’, ses ‘’élites compradores’’ cherchant à tout prix à confisquer l’école, l’église, la radio, la télévision, les agences de communication et de publication, etc. travaillent à imposer le paradigme néolibéral de ‘’la guerre de tous contre tous’’ en excluant de l’espace public tous ‘’les intellectuels subversifs’’. 

L’arrimage des ‘’élites compradores’’ congolaises aux nouveaux ‘’centres de pouvoir’’ les poussent à exclure tout débat contradictoire de l’espace public congolais. 

Dans cet espace public, ‘’les intellectuels du système’’ sont ‘’les meilleurs’’ dans la mesure où ils véhiculent ‘’le paradigme dominant’’ et cela, souvent, au prix de la danse du ventre. 

Il n’est pas très sûr que plusieurs ‘’élites compradores’’ opérant à partir du Congo aient toujours la conscience claire de leur esclavage volontaire. 

Plusieurs sont héritières des églises, des écoles et des universités où la narration néolibérale du monde avait déjà fini par imposer l’hégémonie des nouveaux ‘’centres de pouvoir’’ dans les cœurs et les esprits. 

Au Congo-Kinshasa, elles répètent ce qu’elles ont appris du discours dominant de ces ‘’centres de pouvoir’’. Elles sont donc, pour plusieurs d’entre elles, des victimes inconscientes du discours dominant. 

Elles sont le produit du travail séculaire de lobotomisation et d’ensorcellement des cœurs et des esprits par ‘’la propagande médiatique en démocratie’’. Un retour sur elles-mêmes pour une thérapie de désenvoûtement paraît difficile ; voire impossible. Cela d’autant plus qu’il y a va de ‘’leur ventre’’.

Dans un tel contexte, un Socrate devient un hérétique. Il invite, à partir de sa maïeutique, à un retour sur soi sans complaisance. 

Dans un tel contexte, des ‘’prophètes’’, c’est-à-dire ces ‘’intellectuels subversifs’’ remettant en question le fonctionnement moral, sociopolitique et culturel de leur société, rappelant à leurs concitoyens qu’ils sont dans l’obligation de connaître leurs droits et leurs devoirs, courent le risque d’être ‘’bannis’’ ou simplement envoyés au désert.

‘’Les prophètes’’, en effet, ont d’abord étaient tués, envoyés au désert, bannis de leur société avant que leur mérité soit reconnu. 

(Dans le Nouveau Testament, le roi Hérode entendant parler de Jésus et voulant savoir ‘’qui il était’’ n’a pas froid aux yeux quand il avoue qu’il n’est pas Jean-Baptiste, le ‘’dernier prophète’’ à qui il a coupé la tête et celui-là même qui lui dit qu’il ne lui était pas permis de prendre la femme de son frère.) Une lecture de Jérémie, Amos, Isaïe, Osée, etc. est très instructive sur cette question. 

‘’Ces dissidents’’ étaient méprisés et ‘’les thuriféraires-flatteurs’’ honorés. 

« Aux XXe siècle, c’est le genre d’intellectuels qu’on a emprisonnés dans la sphère d’influence soviétique et qu’on a assassinés dans la sphère d’influence américaine. Ce fut par exemple le cas de ces six jésuites du Salvador (assassinés le 16 novembre 1989) qu’en Europe personne ne connaît, parce qu’ils ont été abattus par des commandos entraînés par les Américains (…)[2]. » 

Chez nous, ce fut le cas de Chebeya, cet intellectuel congolais convaincu qu’on ne lutte pas en se cachant, assassiné comme un malfrat au début du mois de juin 2010 dans les bureaux de la police politique de ‘’la kabilie’’ à Kinshasa.

Pour revenir au Prof. Mbata, il repose toutes ces questions de l’engagement de l’intellectuel, ‘’le vrai’’ dans une société ayant rationalisé ses sphères de la vie ; c’est-à-dire les ayant subdivisées (pour mieux les comprendre) en plusieurs parties ayant des principes de coopération définis. 

Disons que la rationalisation de la société ne devrait pas être un processus limitatif des interférences entre ses différentes sphères. 

Surtout pas des interférences dans la sphère politique entendue comme lieu de l’édification de la cité par la parole et l’action concertées, collective ou individuelle de tous ses membres info-formés de leurs droits, libertés fondamentales et devoirs. 

Qu’un Prof des Universités appelle à la pratique d’une politique respectueuse des règles du vivre-ensemble, de la Charte-mère d’une nation en re-gestation, cela est ‘’normal’’. Il participe à l’édification de sa cité. Il peut être critiqué. Cela fait partie du débat public. 

Le débat public contribue à l’avancement de la démocratie-palabrique. Il peut être suivi ou pas par ses pairs. Si les changements révolutionnaires sont moléculaires, c’est entre autres parce que ‘’les intellectuels subversifs’’, contrairement aux ‘’élites compradores’’, sont souvent minorés et sont minoritaires. 

La fabrication du consentement par la propagande médiatique contribue à leur minorité ainsi que la peur de faire exception au cœur d’un système où la domination a le vent en poupe. 

Cela étant, vouloir l’enfermer dans sa sphère ‘’scientifique’’ est un mauvais procès mené contre la rationalisation des sphères de la vie et une participation consciente ou inconsciente à sa minorisation. C’est participer à la propagande du système.

(à suivre)
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Mbelu Babanya Kabudi[3]


[1] N. CHOMSKY, Deux heures de lucidité. Entretiens avec Denis Robert et Weronika Zarachowicz, Paris, les arènes, 2001, p. 53.

[2] Ibidem, p. 26.

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