dimanche 24 octobre 2010

CAMEROUN – FEUILLES DE LA RESISTANCE: Proposition de Changement, au-delà des concepts creux de république et de suffrage

Ndzana Seme:Camer.be 

Le texte ci-dessous presente, en prévision de la Convention de la CAMDIAC de Bruxelles du 06 novembre 2010, des propositions  de "Changement democratique au Cameroun". Cette contribution de Ndzana Seme fait partie d'une série de publication regroupée dans une rubrique intitulée "Feuille de résistance"  du site internet www.africanindependent.com ... La république est un concept étranger et dangereux pour les Africains. L’histoire occidentale ne célèbre pas de démocratie véritable, l’agora grecque n’ayant été rien d’autre qu’une aristocratie. L’exemple de l’organisation politique des Meru du Kenya doit être bien examiné. Car, l’Afrique précoloniale nous enseigne qu’il n’y a pas de démocratie sans démocratie directe. Et qu’il n’y a pas de démocratie sans expression citoyenne consensuelle. Ces deux principes cardinaux doivent guider toute recherche d’instauration de démocratie dans toute société africaine. Ils guident nos propositions de Changement de système politique, d’Etat, et de pensée politique au Cameroun, contenus dans cet article.
BALTIMORE 10/20/2010 – La conception du bien-être, la manière de faire et de voir, et les normes sociales de toute nation ou communauté humaine, puisent leur sens dans l’histoire et la culture. Les frontières de l’acceptable ou du beau sont différentes d’un peuple à un autre.
De telles différences revêtent des degrés, qui vont de la simple « parenté à palabres » entre le Bobo et le Fulani du Burkina Faso à la guerre mondiale actuelle « contre le terrorisme » fondée, qu’on le veuille ou non, sur l’affrontement religieux historique entre les musulmans, les juifs et les chrétiens.
Les différences culturelles et historiques ne peuvent donc pas être maintenues dans une cage et espérer d’un tel reniement la récolte du miracle d’un bien-être général. Ce d’autant plus que, le plus souvent, l’on poursuit dans la voie obstinée d’une transplantation locale des succès observés dans d’autres cieux pourtant guidés par des cultures et/ou une histoire totalement différents.
Nous disons ceci sous l’assomption que toute politique et/ou tout politicien poursuit l’objectif du bien-être général ; même comme tel n’est pas le cas dans l’esprit de nombreux politiciens contemporains, qui ne voient malheureusement la politique que comme un business parmi tant d’autres.
Il en est ainsi des concepts tant galvaudés de république et de démocratie, dont beaucoup chez nous récitent souvent fièrement les cours sans s’apercevoir dans quelle mesure ces concepts sont eux-mêmes à l’origine des échecs multidimensionnels connus dans nos pays africains dans le domaine de la recherche du bien-être général.
La république, un concept étranger et dangereux pour les Africains
Menez un sondage au Cameroun et demandez aux Camerounais la définition du mot république. Vous serez surpris et certainement amusé par les réponses que vous obtiendrez. Changez de population et interrogez maintenant les intellectuels et vous serez tout également surpris par la diversité des réponses. Ne vous moquez cependant surtout pas de ceux que vous qualifieriez facilement d’ignorants, parce que c’est vous-même qui risquez d’être l’ignorant(e) parmi tous.
En effet, la république est un terme fourre-tout. Et pour preuve, dans le monde actuel, l’on peut constater que parmi les 192 États qui forment l’ONU, 167 sont des républiques, dont 131 républiques unitaires, 13 républiques fédérales, 7 républiques démocratiques, 6 républiques populaires, 4 républiques islamiques, 3 républiques arabes, 2 républiques socialistes, et une république constitutionnelle.
L’on aura toute la peine du monde à retrouver un sens commun du « bien commun » dans chacune de ces républiques. De même il sera presque impossible de trouver que chacune de ces républiques est guidée par le « refus de la domination » (l’une de récentes définitions du républicanisme par Philip Pettit) du gouverné. Il en va tout aussi du principe de la cohabitation au pouvoir entre la monarchie (gouvernement d’un seul, le roi, président ou premier ministre), l’aristocratie (gouvernement de quelques uns, une classe, le sénat) et la démocratie (gouvernement de tous, le peuple, l’assemblée), qui se ramène dans presque toutes les républiques contemporaines au gouvernement aristocratique, très souvent ploutocratique.
Dans les pays africains, la république se ramène, comme au Cameroun, au Gabon ou au Togo, à une monarchie dont les courtisans sont une classe de « l’élite » administrative, pondue par des écoles de l’administration et de la magistrature. Le modèle politique est copié de la France, qui reste elle-même une monarchie gouvernée par une classe aristocratique bien précise.
Appliqué en Afrique, continent au passé historique et culturel complètement différent, voire opposé à celui de l’Occident, ce modèle de républicanisme fondé sur un pouvoir centralisé autour d’un individu cumulant tous les pouvoirs d’Etat, le président de la république, et sur une aristocratie gouvernante, a abouti au malheureux résultat des populations de plus en plus paupérisées, d’une nette opposition contre le développement économique par l’élite administrative peu désireuse de perdre son pouvoir de domination sur des masses pauvres, de conflits armés pour la prise du pouvoir républicain conçu comme indivisible, de toute perte d’espoir de bien-être général de la part des populations dominées.
Tous ces échecs sont dus au fait que le républicanisme est en lui-même porteur des germes de conflits. Dans une société africaine, dont la culture est essentiellement opposée aux conflits – d’où la présence dans chaque société africaine de l’institution sociale africaine qu’est l’arbre à débats -, la république est certainement le dernier des modèles politiques à mettre en place.
Pourtant, malgré la réalité de l’opposition traditionnelle des populations africaines aux conflits, les intellectuels africains apôtres du républicanisme gardent comme l’un de leurs meilleurs maîtres à penser, Thomas Jefferson, troisième Président des États-Unis, qui en 1798 écrivait ceci à John Taylor :
« Dans chaque société libre et délibérative, il doit y avoir, de par la nature de l’homme, des parties opposées, et des dissensions et discordes violentes; et l’une de celles-ci, le plus souvent, doit l’emporter sur l’autre sur une durée plus ou moins longue »

Se trouve dans cette phrase résumée et définie la culture de violence et de conflits qui fonde la société occidentale, mais qui est complètement rejetée par les traditions et cultures africaines.
L’histoire occidentale ne célèbre pas de démocratie véritable
La démocratie, ce mot désormais magique, est l’autre concept sur lequel intellectuels et politiciens africains rivalisent de connaissances occidentales. Pendant que toute démocratie se ramène un peu partout au suffrage universel comme moyen unique pour choisir le dirigeant (président de la république) et les dirigeants (représentants), l’idéal de démocratie occidentale est incontestablement l’agora grecque.
Plus besoin ici de questionner la présence dans le fameux modèle du suffrage universel de la démocratie, en tant que gouvernement du peuple, dans le principe qui veut que 50% plus une voix gagnent le pouvoir, tout le pouvoir, considéré comme indivisible, même si l’autre moitié des citoyens était farouchement opposée. Intéressons-nous plutôt à l’idéal démocratique que serait l’agora grecque.
Sans devoir questionner le mode de vote - bizarre mais à l’origine du suffrage universel - qu’était le tirage au sort, intéressons-nous de savoir qui était le citoyen de la Grèce antique. Eh bien, c’était le Grec mâle. Car, les femmes et les esclaves, considérés comme la propriété du citoyen, étaient exclus du monde des citoyens. Le citoyen de la république romaine, ceci allant jusqu’à la république de Venise, était tout aussi un aristocrate, et nullement pas une femme, un esclave, ou un individu du bas peuple. On voit bien que la Grèce antique était une aristocratie (le gouvernement de quelques uns), et nullement pas du tout une démocratie.
Les intellectuels africains qui grouillent aujourd’hui, tous cherchant chacun à singer René Dumont dans ses pleurs sur une Afrique mal partie, n’iront jamais chercher un idéal de démocratie en Afrique, puisqu’ils acceptent dès le départ que l’Afrique est maudite et a besoin d’être « civilisée » pour « s’en sortir ».
L’exemple de la démocratie directe chez les Meru du Kenya
Pourtant, pour ne pas devoir citer les Beti du Cameroun - de peur que l’on nous rie au nez parce que leur élite administrative s’est révélée sous le régime Biya comme une engeance de souris et d’apôtres de la monarchie absolue, et que d’autres observateurs plus sérieux nous rétorqueront que les Beti anciens étaient en fait une aristocratie d’hommes initiés -, nous n’avons pour meilleur exemple traditionnel de démocratie en Afrique que les Meru du Kenya.
Avant l’invasion coloniale allemande en 1908, chez les Meru, notamment leurs deux groupes ethniques Tigania et Igembe, le rite d’initiation était l’institution qui régulait la succession démocratique au pouvoir de chaque classe d’hommes, dans ce qui est l’un des exemples historiques les plus éclatants du bon fonctionnement de la démocratie directe en Afrique. Cette société démocratique de plus de 90.000 âmes  en effet pas de chef ou de roi. Tous les citoyens gouvernaient le pays Meru.
Dans un livre de Anne-Marie Peatrik intitulé Initiation, citoyenneté, souveraineté chez les Meru Tigania-Igembe (Kenya) pp 315-340, l’auteur décrit l’organisation territoriale et politique de ce qu’elle appelle « Sparte africaine » dans les termes suivants :
« Toute la population masculine était distribuée en classes générationnelles qui détenaient tour à tour les pouvoirs et l’autorité et les transmettaient à la classe suivante au moment opportun [...] Tout fils était inclus dans la classe générationnelle appropriée au moment de son initiation, entreprise collectivement sur la place publique, tous les quatre-cinq ans en moyenne, lors d’un rituel qui mobilisait la société durant des mois. Le système générationnel meru repose sur l’articulation des classes avec des échelons. Les échelons, au nombre de quatre du côté des hommes, consistaient en Guerriers, Jeunes pères, Pères du pays, Accomplis. Deux échelons, de nature directement politique, les Guerriers et les Pères du pays, structuraient l’ensemble. Une classe de Pères du pays, ayant sous ses ordres la classe des Guerriers en titre, détenait l’autorité pendant quinze, vingt ans en moyenne, puis la transmettait, à regret, à la classe suivante. Quand une nouvelle classe était promue à l’échelon de Pères du pays, toutes les classes changeaient d’échelon. Une nouvelle classe de Guerriers était alors ouverte au recrutement et à l’initiation, le mouvement d’ensemble ayant été précisément impulsé par la révolte de fils grandissants qui en avaient assez d’attendre leur initiation parce que la classe adéquate par rapport à leurs pères n’était toujours pas ouverte au recrutement. En effet, une seule classe à la fois peut recruter des initiés ; le tour de la suivante arrive lorsque la précédente est fermée».
Sans connaître le modèle précolonial de démocratie des Tigania et Igembe, les jeunes Camerounais sont tout naturellement aujourd’hui entrain de se révolter contre une classe de grands-pères qui s’éternise au pouvoir. Ils sont tout simplement impatients de devenir les nouveaux « Pères » dirigeants du Cameroun.
Nous souhaitons seulement que les jeunes qui prendront en mains les destinées du Cameroun, dans un avenir de plus en plus proche, ressemblent plus aux Tigania et Igembe, et qu’ils ne fassent pas comme leurs prédécesseurs qui ont choisi de ressembler Grecs ou Romains antiques et plongé notre pays dans la vermine actuelle. Voici comment fonctionnait la démocratie directe chez les Meru :
« Les assemblées de Pères, kiama (pluriel ciama) », siègent « au niveau de chaque section [territoriale] et délibèrent des affaires publiques. Ils disposent d’une maison, nyumba ya kiama, construite en bordure de clairière, où ils s’installent quand bon leur semble et peuvent même y passer la nuit. Trait déjà évoqué, les représentants de chaque section sont habilités à se réunir à un niveau supérieur jusqu’à rassembler les délégués de l’ensemble des Tigania-Igembe. […] les rivalités existent bien évidemment, mais elles doivent demeurer dans des limites acceptables ; et comme toutes les sections Tigania-Igembe sont dirigées par les représentants d’une même classe de Pères, il n’est jamais difficile de trouver des hommes de rang idoine pour régler un différend.  Leurs fonctions étaient multiples mais leur premier rôle était sans conteste d’ordre judiciaire ».
Et pour régler les affaires politiques dans leurs différentes assemblées de Pères, le mode interafricain de prise de décision était, chez les Meru aussi, le consensus. C’est justement pour atteindre le consensus, et par conséquent en finir avec tout conflit ouvert ou latent, que les Meru étaient prêts à passer des nuits dans le nyumba ya kiama.
Car, comme disaient les Beti anciens, « l'éléphant de pourrit pas en une nuit » ; pour dire qu’il n’y a pas d’autre urgence plus importante que celle de régler une question en groupe et par consensus. Dans les formes de démocratie traditionnelle africaine, il n’y a donc rien qui ressemble le tirage au sort antique grec, ou encore moins le suffrage universel dominant actuel. Car, pour les Africains, le consensus est la seule forme achevée de toute expression démocratique.
Les principes qui doivent guider le Changement au Cameroun
Il est donc clair qu’en ce qui concerne la démocratie, l’Afrique précoloniale nous enseigne qu’il n’y a pas de démocratie sans démocratie directe. Et qu’il n’y a pas de démocratie sans expression citoyenne par consensus. Ces deux principes cardinaux doivent guider toute recherche d’instauration de la démocratie dans toute société africaine.
Nos propositions pour le Changement démocratique au Cameroun sont guidées par ces principes cardinaux que son la démocratie directe et de gouvernement par les consensus, choses essentielles dans tout système véritablement démocratique.
Les populations du Cameroun ont connu historiquement l’oppression sous ses pires formes, à savoir les travaux forcés, la mise à sac de leurs ressources naturelles, l’exploitation forcée et sans compensation de sa force de travail, les massacres et le génocide perpétrés par le gouvernement néocolonial et ses alliés extérieurs contre les premiers indépendantistes nationalistes, la répression sanglante de toute opposition, le terrorisme d’Etat, la pratique constante de la torture, la corruption et la dépravation des bonnes mœurs, ceci depuis un siècle par le système colonial et depuis des décennies par le régime néocolonial fantoche.
A l’image de bon nombre de peuples du monde, les Camerounaises et Camerounais aujourd’hui épinglés par la pauvreté et le désespoir sont assoiffés de bien-être. Ils réclament par conséquent le Changement de l’Etat, celui du système qui les gouverne depuis le début du vingtième siècle, celui de l’état de dégradation effrénée de leurs conditions de vie, celui vers une démocratie qui les investira d’une autonomie politique, celui qui introduira une nouvelle façon de penser le politique, celui vers le bien-être général. 

Le Cameroun a besoin du Changement du système actuel, où l’Etat néocolonial et ses fonctionnaires corrompus étouffent l’initiative privée et toute expansion économique, où l’insécurité sur les biens et les hommes ne profite qu’aux dominateurs gouvernants, où les relations extérieures sont celles de dépendance envers les réseaux néocoloniaux et l’assistance internationale. Les Camerounais demandent un Changement de fond en comble de leur environnement de misère, de violence, d’insécurité et d’injustice.
Le Cameroun doit, au sortir de sa libération des carcans du néocolonialisme actuellement au pouvoir, être dirigé par un Gouvernement Collégial de Transition (GCT). Ce dernier doit s’engager solennellement à opérer un Changement fondamental dans les quatre domaines suivants pendant la période de Transition vers un Etat démocratique :
1- Changement de leadership de l’Etat du Cameroun, dans les trois dimensions suivantes :
a) Changement de génération d’hommes et de femmes dans le leadership – du contrôle total par des individus de l’ère coloniale au contrôle majoritaire par les jeunes qui sont étrangers aux pratiques coloniales et néocoloniales
b) Changement de classe sociale dans le leadership – de l’aristocratie qu’est l’élite administrative actuelle à la méritocratie
c) Changement de forme de leadership – du pouvoir centralisé et individualiste actuel au pouvoir collégial
2- Changement d’Etat – de la néocolonie française actuelle à l’Etat démocratique
3- Changement d’éthique dans la gestion des affaires publiques
4- Changement économique avec une nouvelle vision et de nouvelles stratégies du 21ème siècle.

Lire également: PROPOSITION DE CHANGEMENT DE SYSTEME POLITIQUE, D’ETAT ET DE PENSEE POLITIQUE AU CAMEROUN
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