Selon des sources bien informées à Kinshasa, la dépouille de Armand Mudiandambu Tungulu aurait déjà été inhumée sur ordre de «Joseph Kabila». Motif : le corps n’était plus «présentable» après le passage à tabac et les tortures infligés à ce jeune bruxellois dans un cachot de la garde personnelle du «président de la République» au Camp Tshatshi.
Un certain «Major Désiré», dont la fonction est «T2», autrement dit «renseignements militaires», aurait été le «geôlier» de Tungulu. D’aucuns parlent de "bourreau". Contacté, mardi 5 octobre par la rédaction de Congo Indépendant, l’homme a nié les faits. Selon lui, le corps a été transféré à l’hôpital Mama Yemo. Mardi soir, aucun membre de la famille Tungulu n’avait pu voir le corps. Pire, le dossier est qualifié de «hautement sensible» au motif qu’il relèverait de «Kabila». En personne.
Escadron de la mort
Cinq jours après l’annonce de la mort de Armand Tungulu Mudiandambu, quelques éclaircis commencent timidement à poindre à l’horizon. La rédaction de Congo Indépendant est en mesure d’affirmer que le Bruxellois était encore en vie le jeudi 30 septembre. Il a pu en effet contacter un membre de sa famille pour lui indiquer l’endroit où se trouvait son passeport. Son décès serait intervenu le vendredi 1er octobre. «Armand» a été enfermé dans un cachot de 1,25 mètres muni de trois cadenas. Le «dossier» était géré conjointement par deux hommes : le «Major Désiré» et le colonel Ilunga Kapeta de la Maison militaire du chef de l’Etat. Selon une source militaire proche de la fameuse «Garde républicaine», «Désiré» et Ilunga seraient à la tête d’un véritable «escadron de la mort» voué au service du «raïs». Mission : éliminer les adversaires de celui-ci.Mardi après-midi, la rédaction de Congo Indépendant a contacté les deux hommes à tour de rôle. Questions : Quelles sont les circonstances exactes du décès de Armand? Où se trouve son corps? A quelle autorité la famille Tungulu doit se référer pour obtenir la restitution de la dépouille mortelle? «Qui vous a donné mon numéro?», c’est la première réaction du «Major Désiré» joint au numéro +243 997013992. Après un bref échange, l’homme est devenu un peu plus coopératif. La conversation s’engage : «Il {Armand} s’est suicidé non !» Comment a-t-il pu le faire alors qu’il mesurait plus de 1,80 m? «Je n’en sais rien. Le corps se trouve dans un établissement funéraire.» Lequel ? «C’est à l’hôpital général de référence Mama Yemo.» Que dit-il à ceux qui affirment que Armand a été battu et torturé par des éléments de la garde présidentielle? «C’est faux ! Je ne suis pas un geôlier.» Les réponses deviennent évasives. Selon une source militaire locale, c’est «Joseph Kabila» qui a donné l’ordre d’exécuter Tungulu. La mise en œuvre de cette «opération» a été supervisée par le «Major Désiré» et le colonel Ilunga. «Armand avait un pantalon militaire autour de son cou». Contacté à son tour au numéro +243 813600088, le colonel Ilunga Kapeta n’est au courant de rien. «Je n’en sais rien !», répète-t-il avec un petit sourire. Où se trouve le corps du défunt? «La Maison militaire ne s’occupe pas de ça.» Que dit-il à ceux qui allèguent que le corps de Armand a été enterré ? «Je n’en sais rien !». En réalité ces deux hommes sont au courant des circonstances exactes du décès de Tungulu. Selon notre source militaire, les Congolais de la diaspora (Bruxelles, Paris, Londres) seraient dans le collimateur des sbires du «raïs».
Rappel des faits
Le mercredi 29 septembre aux environs de 13 heures, Armand Tungulu lance un caillou sur le cortège de «Joseph Kabila». Il est copieusement tabassé avant d’être embarqué dans une Jeep par des éléments de la garde de "Kabila". Selon des sources locales, il aurait été emmené à la ferme de Kingakati. «Corrigez-moi ce Congolais de Bruxelles.» C’est l’ordre que le «raïs» aurait donné à ses sicaires. Le jeudi 30 septembre le journaliste - propagandiste ?- Jean-Marie Kasamba, étiqueté PPRD, s’est fendu d’une déclaration tonitruante en sa qualité de «chargé de la visibilité de «Cinq chantiers de la République». Il a qualifié l’acte posé par Tungulu de «comportement incivique et irresponsable d’un citoyen qui serait apparemment déséquilibré mentalement». Ajoutant que «cet acte est condamnable». «La population (…) a mal digéré ce comportement incivique et s’était jetée sur son auteur avant qu’il ne soit plus tard maîtrisé complètement par les éléments de la sécurité rapprochée du président de la République».Dans cette déclaration, Kasamba dira par la suite que «la RDC étant un pays où les exécutions extrajudiciaires sont sévèrement réprimées, Armand Tungulu se trouve présentement entre les mains des services de sécurité. Il sera transféré devant le parquet dans les tout prochains jours». Kasamba de se contredire en disant «que l’incivique qui a lancé des pierres sur le cortège présidentiel est, pour l’heure, mis à la disposition de la justice pour répondre de son acte incivique et irresponsable.» Jean-Marie Kasamba n’a pas dit la vérité. Tungulu n’a jamais été mis à la disposition de la justice. Depuis son arrestation, il était enfermé dans un cachot du Camp Tshatshi.
Investigation
Dans un communiqué signé par le directeur de cabinet du procureur général de la République en date du samedi 2 octobre, on apprenait que Armand Tungulu était décédé. «Il se serait «suicidé» dans la nuit du 1er au 2 octobre au sein de l’Amigo de la Garde républicaine à l’aide d’un tissu dont il se servait comme oreiller», dit le communiqué. Et d’ajouter : «Une enquête est ouverte pour déterminer les circonstances exactes du décès de M. Tungulu Mudiandambu Armand; de même que le médecin légiste a été requis pour fixer les enquêteurs sur les causes réelles et l’heure de son décès.».Selon une source proche de l’ANR (Agence nationale de renseignements), le «dossier Tungulu» n’a jamais été géré au niveau de l’Agence. A en croire cette source, après le décès de «Armand» des magistrats militaires et civils ont été requis pour aller constater «les faits» au Camp Tshatshi. Un doux euphémisme pour ne pas parler de «décès». A l’ANR, on semble boire du petit lait face à la «bavure» commise par des éléments de l’ex-GSSP. «Ces magistrats étaient accompagnés par des médecins légistes. Ce sont les magistrats qui ont autorisé la levée du corps et son transfert à l’hôpital Mama Yemo.» Que pense notre source de l’information selon laquelle le corps a déjà été enterré pour le soustraire à l’autopsie? Notre interlocuteur se fait pédagogue : «Il faut d’abord aller vérifier à Mama Yemo. Si la dépouille n’y est pas vous pouvez l’annoncer. Ne le faites pas avant de peur que vous soyez ridicule en cas de preuve contraire.» C’est à voir. Question : Si le corps était effectivement à Mama Yemo pourquoi entretiendrait-on ce macabre suspens?
Mardi 5 octobre, votre serviteur a joint Jean-Marie Kasamba au téléphone. Une seule question : Où se trouve le corps de Tungulu Mudiandambu? Sur un ton empreint d’arrogance voire de suffisance, il répond : «Vous êtes journaliste, il faut aller à la bonne source. Il y a un gouvernement dans ce pays dont le porte-parole s’appelle Lambert Mende. Il faut contacter M. Mende.» Comment peut-il se barricader derrière le porte-parole du gouvernement alors qu’il a été le premier officiel à réagir au nom de la Présidence de la République. Le ton devient de plus en plus cassant : «J’ai fait cette déclaration en tant que citoyen congolais. Avant d’être chargé de la visibilité des Cinq chantiers, je suis d’abord un Congolais». Il ajoute : «Si vous voulez qu’on parle entre confrères, je ne vois aucun inconvénient.» Après lui avoir dit que ses propos seront publiés, Kasamba perd son sang froid : «Si vous écrivez des choses que je n’ai pas dites, je vous attaquerais en justice.» Inutile de dire que la conversation a pris la tournure d’un «pugilat verbal». La rédaction de CIC a poursuivi ses investigations au Conseil national de sécurité (CNS). Même question : Où se trouve le corps de Tungulu? Réponse d’un conseiller : «Je suis tenu au devoir de réserve. Je ne peux pas vous répondre.»
Des Congolais de Belgique en colère
Lundi 4 octobre, une centaine de Congolais de Belgique ont manifesté devant l’ambassade de la RD Congo à Bruxelles. Dès 12 heures, la circulation était bloquée aux croisements des rues Marie de Bourgogne et Luxembourg. «Kabila assassin !» «Nous exigeons le retour en Belgique du corps de Armand», scandaient les protestataires. La veuve Tungulu était assise à même le sol avec ses deux fillettes âgées respectivement de cinq et six ans. Vers 13 h15, les policiers se sont mis à charger les manifestants. Motif : les autorisations nécessaires n’auraient pas été demandées. Les organisateurs, eux, soutiennent qu’il s’agissait d’un sit-in et non d’une «manif».Vers 16 heures la veuve Tungulu est reçue au ministère belge des Affaires étrangères par un conseiller du ministre Steven Vanackere. Elle était accompagnée notamment de son conseil, l’avocat bruxellois Jean-Claude Ndjakanyi. Celui-ci a remis une lettre qu’il adressait au chef de la diplomatie belge. «Je vous écris la présente en ma qualité de conseil de madame Nzomina Maloka ainsi que des enfants Tungulu Karen, Gemima et Sarah, épouse et filles (de nationalité belge) de monsieur Tungulu bien nommé ci-haut», écrit le juriste qui relate brièvement les faits. «Mes clientes m’instruisent de vous informer qu’il pèse une forte présomption d’inhumation précipitée dans le chef des autorités de Kinshasa. Elles s’opposent donc à toute inhumation de leur époux et père sans leur consentement écrit. Elles voudraient vous informer par ailleurs, qu’un examen des conditions techniques leur permettant d’introduire une action en justice en Belgique est en cours et que la nécessité de rapatrier le corps pour des expertises médicales est indiquée. (…).»
On apprenait mardi 5 qu’une plainte contre "X" a été déposée par Me Ndjakanyi. A Kinshasa, des militants des droits humains ont dénoncé, lundi 4 octobre, la détention de leurs camarades Me Nicole Bondo Mwaka et Mme Madeleine Mangabu à l’ANR. Elles ont été arrêtées le mercredi 29 septembre lors de l’incident de l’avenue du 24 novembre. Me Bondo est accusée d’avoir filmé le passage à tabac de Tungulu par des éléments de l’escorte de «Kabila».
Ramener le corps en Belgique
Sur le plan diplomatique, l’affaire Tungulu a scandalisé plus d’un diplomate en poste à Kinshasa. Etrangement, il n’y a aucune déclaration forte. Des diplomates confient en privée leur indignation de voir un homme perdre la vie pour avoir lancé un caillou sur le cortège d’un chef d’Etat. A Paris, la mort de Tungulu a été évoqué, mardi 5 octobre, par le porte-parole du Quai d’Orsay lors d’un point de presse. Répondant à des questions, il a déclaré que «la France est vivement préoccupée par la mort en détention de Armand Tungulu ainsi que par la situation des membres de l’ONG «Toges noires» encore détenus.» «Toute la lumière doit être faite sur les circonstances de la mort de M. Tungulu», a-t-il ajoutéIl a par ailleurs déclaré que l’ambassade de France à Kinshasa a été chargée de suivre «de très près, de manière attentive» la situation des deux membres de l’ONG «Toges noires» détenues à l’ANR. Il a souligné que les autres missions diplomatiques européennes suivent ce dossier. Le porte-parole du «Quai» a parlé aussi des prochaines échéances électorales en RD Congo.
Selon des sources militaro-sécuritaires à Kinshasa, les prochaines consultations politiques en RD Congo seront «sanglantes». «Joseph Kabila» est décidé à «neutraliser au propre comme au figuré ses rivaux…». Et ce y compris des Congolais de la diaspora. Au moment où nous bouclons ce "papier", la famille Tungulu n’avait toujours pas eu accès au corps de Armand. Plus grave, elle ne sait à qui s’adresser pour avoir des informations utiles. Le "dossier Tungulu" est du ressort de "Joseph Kabila". C’est tout simplement révoltant!
Par Baudouin Amba Wetshi
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