lundi 22 novembre 2010

RDC : « Nous n’avons aucune souveraineté »

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Philippe Biyoya - Professeur et analyste politique

Bien que cette interview n’indique pas clairement qu’il faut rompre avec le système en place à Kinshasa, elle revient sur l’une ou l’autre question essentielle. Elle soulève la question de notre souveraineté et affirme : « Nous n’avons aucune souveraineté. » Elle rend compte du contact avec le peuple de la base malheureusement dénommé « petit peuple ». « Quand vous causez avec le petit peuple, soutien le professeur Philippe Biyoya, il vous dit que les Blancs ont mis des Congolais au pouvoir pour les faire souffrir. La population a l’impression que tous ceux qui ont été à l’école des Blancs ont laissé la gestion du pays entre les mains des étrangers. Allusion est faite à la Banque mondiale, au FMI, le PNUD, etc. » Contrairement à ce que les intellos pensent, nos populations ne sont pas dupes.
Le blocage de la situation politique qui ne dit pas son nom a amené Le Potentiel à s’entretenir avec le professeur Philippe Biyoya, analyste politique. Entre aspects de la question invoqués, les intellectuels qui ont démissionné de leurs responsabilités.

Les analystes et autres observateurs politiques ainsi que les intellectuels ne font rien. La situation est bloquée. Le peuple vous regarde, vous, qui étiez allé à l’Université, comment réagissez-vous à cette situation ? 

Je ne sais pas précisément à quel sujet. Faut-il parler de la vie du Congo en général ? Toutefois, nous sommes dans un pays où il y a des acteurs et, je ne sais pas ce qu’il faut vraiment dire. Je crois qu’on voit ceux qui sont connus comme acteurs publics. Il est question des acteurs politiques, économiques et socio-culturels, etc. Tout semble effectivement bloqué. On fait du surplace. On tourne en rond.
Lorsque je regarde bien le paysage, c’est comme si on a perdu, en fait, le sens. C’est-à-dire qu’on ne sait plus courir après l’histoire qui a disparu derrière le brouillard. Alors, on est là en train de rechercher à retrouver une direction. Parce que, quand vous prenez la période qui va de 2006 jusqu’aujourd’hui comme celle qui constitue la première organisation des élections libres, démocratiques et transparentes, les gens avaient l’engouement pour le pouvoir. Car, en fait, on détient le pouvoir par les élections. Donc, il y avait la redistribution des rôles. Mais, aujourd’hui qu’on s’achemine vers 2011, il y a une autre urgence. Bien sûr, le pouvoir est en vue. Mais, il y a un bilan à faire. Il faut rendre compte. Il y a un devoir de redevabilité. Seulement, il y a un problème de gestion pour le gouvernement. Je ne sais pas si les gens sont conscients de la manière dont ils ont géré les affaires de l’Etat. Mais, puisque la perspective de rendre compte apparaît, les gens se recherchent. Quand vous prenez la période de 2006-2010, seuls les acteurs politiques sont en vue.
En fait, pour juger l’historicité d’une période, on ne regarde pas seulement les personnes, mais aussi les structures. Ce n’est pas que celles-ci n’ont pas fonctionné. Mais les a-t-on fait fonctionner comme il fallait ? Personne ne sait le dire. En France, par exemple, comme un peu partout dans le monde, Sarkozy a pris le pouvoir avec beaucoup d’enthousiasme, de zèle et d’arrogance. Je crois qu’aujourd’hui, on commence à rechercher de sens. Tout le monde court après des recompositions. On a l’impression qu’on a laissé passer une chance et qu’il faut, tout de suite, recomposer. Un peu comme en France, en RDC, l’heure est à la reconfiguration des structures politiques. Nous assistons à des adhésions, à des tendances. Des partis politiques se créent comme pour parachuter quelqu’un candidat présidentiel. On fait tout, non pas pour soi-même, mais en fonction d’un destin qu’on ne contrôle pas. C’est ce qui fait qu’on a le sentiment de constater que quelque chose ne va pas. Car nous sommes dans une phase d’incertitudes, de grande peur. Alors, chacun cherche un peu une sorte de refuge. Et on pense que le refuge, c’est le candidat présidentiel. Ceux qui ne se retrouvent pas dans tel ou tel autre candidat peuvent, peut-être, regarder vers un autre horizon. Car les élections peuvent permettre d’exister ou de disparaître. Mais, on ne peut pas disparaître, puisque par vous-même, vous ne pouvez ni vivre ni, en fait, être, vous devez vous accrocher quelque part. Tout le monde est à la recherche d’un point d’accrochage, d’une zone d’encrage qui est, certainement, la perspective de candidature.

En votre qualité d’analyste politique, peut-on dresser le bilan de 2006 pour savoir d’où l’on vient, où en est-on et où va-t-on ?

On dresse le bilan par rapport aux objectifs déclarés. Tout le monde sait quel était le programme électoral des uns et des autres. Par exemple, le programme qui est resté en vue est celui de « Cinq chantiers de la République ». Certainement qu’il y aura une évaluation qui sera faite par rapport à ce programme. Les « Cinq chantiers » ont été présentés d’abord comme ceux des infrastructures et de tout ce que le gouvernement devait réaliser. Certainement que tout le monde n’attendait pas simplement de voir ce qu’on allait faire. Chacun cherche ce qu’on a fait pour lui en tant que citoyen. Il y a deux choses : ce qu’on a fait pour la collectivité dans son ensemble. Mais, il y a la part que des gens auraient voulu avoir individuellement. Parce qu’en fait, nous ne vivons pas qu’au niveau des structures. Les collectivités, communes, districts, territoires, villes et provinces sont des entités pour lesquels on aurait pu réaliser plusieurs choses. Cependant, il y a également des choses que des individualités réclament. Je crois que les deux tableaux se présenteront. De trois, vous avez vu qu’il y avait un problème de gouvernement parce que l’ambition d’avoir le pouvoir n’était pas celle de triompher des autres. C’était l’ambition de se montrer capable de faire autrement les choses et de les faire mieux. Ici, vous aurez constaté que nous avons un problème parce que tout, chez nous, se fait par rapport à l’ancien régime. En fait, tout se fait par rapport à Mobutu. Je vais, peut-être, vous faire rire : ce que vous appelez blocage, l’absence de sens, signifie que les gens n’arrivent plus à faire la différence entre le passé et le présent. Lesquels semblent se confondre au point que quelqu’un peut dire que le passé, le présent et le futur sont dans une lutte confuse parce qu’ils se disputent pour une identité ancienne alors qu’on se bat pour une identité nouvelle. On a l’impression que nos formations politiques sont devenues des partis uniques dont la spécificité est de ne pas être populaires, de ne pas se ressourcer à la base, ce n’est pas un parti de meetings de tous les jours. Mais un parti unique est celui qui s’accroche au pouvoir, aux grandes personnalités. Un parti qui tourne, en fait, autour d’une vision d’un homme et d’une source. Il est question de tous les partis en RDC. Nous avons là un multipartisme un peu débridé parce que, dans leurs partis, les gens se réfèrent à l’ancien système. On fait allusion au chef. C’est sa parole qui compte…

Est-ce un héritage ? 

C’est la reproduction à l’identique des habitudes de l’ancien système. Entre 2006 et 2011, le sens était celui de gouverner autrement, c’est-à-dire comment voir la démocratie au sein des partis. En sciences politiques, on dit que les partis sont des machines d’accumulations des intérêts. Cela signifie que ce sont des partis qui vont à la base pour récolter les aspirations, qui font la comptabilité des problèmes de la population et qui les amènent aux institutions, notamment au parlement qui défend les intérêts de cette population.

Ce qui n’est pas le cas en RDC… 

Malheureusement. Et quand vous allez au gouvernement, celui-ci a été assez effacé par les difficultés qu’il a héritées de certains programmes, tels que le Document de stratégie de croissance pour la réduction de la pauvreté (DSCRP) et les « Cinq chantiers ». Le DSCRP nous a été imposé par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Nous n’avons aucune souveraineté.

Et il n’y a aucun débat à ce sujet ?

Effectivement, aucun parlementaire n’a posé ce problème significatif de l’avenir économique de ce pays. Parce que tout le monde sait que notre avenir économique dépend de ces institutions de Bretton Woods. En attendant, il faut chercher à savoir si nous pouvons récupérer la situation.

Peut-on, aujourd’hui, dire qu’il y a des avancées sur le plan démocratique ? 

La démocratie fonctionne à partir des institutions démocratiquement élues. C’est la première avancée. Mais c’est sur le plan des résultats que le problème se pose. Car la démocratie n’est pas seulement la tenue des élections, mais aussi les idées, les projets à faire partager et à faire accepter par la base avant de passer à leur matérialisation. Les « Cinq chantiers » sont un beau projet mais qui n’a pas été pris en charge. L’avenir d’un programme politique n’est pas la volonté de son promoteur. C’est dans le fait d’assumer un projet par un petit nombre, le plus grand nombre étant la base.
Quand vous causez avec le petit peuple, il vous dit que les Blancs ont mis des Congolais au pouvoir pour les faire souffrir. La population a l’impression que tous ceux qui ont été à l’école des Blancs ont laissé la gestion du pays entre les mains des étrangers. Allusion est faite à la Banque mondiale, au FMI, le PNUD, etc.

Que peut-on encore attendre de vous autres qui étiez à l’école des Blancs ? 

Il ne faut pas généraliser la critique. Moi, je suis enseignant. Je donne mes cours, moi-même. Et je peux encore me faire assister de mes assistants. Nous sommes dans un monde qui fonctionne aujourd’hui non seulement avec des appareils multinationaux, nationaux, mais avec des institutions internationales parce que nous sommes dans l’interdépendance, dans la mondialisation. Le déficit de gouvernance nationale est pris en charge pour qu’en fait le système international ne connaisse pas un dysfonctionnement parce que le Congo est important pour le monde. D’ailleurs, c’est ce que votre question me suggère. Le Congo est venu à l’existence comme Etat indépendant aujourd’hui à partir de besoins des autres. Et cela serait une contrainte s’il n’est pas pris en charge positivement par lui-même et cela pourrait constituer un piège pour eux. Et nous n’avons jamais géré cela parce que cela nous place dans un rapport de client à maître, de cheval à cavalier. Il s’agit de tous courants politiques congolais, à travers le temps, sauf ceux qui auraient des problèmes auraient maille à partir avec eux. Ou vous voulez vous afficher et on vous écrase, on vous tue, on vous élimine.
La critique est toujours facile. Mais je reviens à la machine bloquée. On a l’impression que les entourages des chefs, des ministres, de ceux qui pouvaient changer les choses ne font rien. On le voit sur le terrain.

Que faut-il faire maintenant ? 

On doit retrouver le sens qui cherche des prophètes, des apôtres. En fait, on a besoin de nouvelles idées, de nouveaux hommes. C’est ce que la nature recherche. Et il faut aller dans ce sens-là. Concrètement, depuis 2006, tout est électoraliste. On ne fait jamais rien sans penser au bénéfice qu’on en tirerait sur le plan des élections. On ne peut pas gouverner, faire des projets qui sont ceux de la société pour l’avenir. C’est dire que l’essentiel n’est pas de porter ce projet à terme par moi-même et qu’il me soit uniquement profitable, mais un projet sur lequel on a travaillé et à partir duquel on se souviendra peut-être de ce que nous avons fait. Si, on veut aller dans ce sens de retrouver le sens de l’histoire, d’avoir une nouvelle direction. Parce que, ici – un avis à partager – depuis 2006, les gens pensaient que la scène politique est structurée entre le président Kabila et Jean-Pierre Bemba. La disparition de Bemba a fait qu’il n’y a que Kabila qui reste. Alors, tout le monde s’inscrit dans ce sens-là. On est un peu tombé dans le piège de la facilité. On a l’impression d’aller dans la même direction. Les gens croient que tout est joué.
Maintenant, pour qu’on ait un sens, il faudrait qu’on mette Kabila et son système en devoir de se souvenir de la Constitution. Là, je vais prendre le cas de la France. Aujourd’hui, vous avez vu Sarkozy, qui pensait qu’il régnerait pendant longtemps, s’arrêter, procéder au remaniement dans un pays comme la France et, finalement, aller rechercher des gens comme Alain Juppé et autres gens du RPR, c’est parce qu’il a conscience qu’il est en situation de perdre. Comme dans le cas de la conscience de péril, quand une société n’est pas arrivée dans une situation pour laquelle quelque chose de grave peut survenir, c’est à elle de trouver les voies pour échapper à cela. En RDC, il faut inquiéter, troubler l’assurance de ceux qui pensent que le jeu est déjà joué. Parce que, là alors, le jeu va devenir compétitif. Même les élections prévues en 2011, si elles ne sont pas compétitives, si elles ne sont pas capables de sortir un génie nouveau, cela n’a pas de sens parce que nous serions empêtrés dans des problèmes. Structurellement, nous sommes coincés par la communauté internationale. Mais quelle serait, en fait, la portée d’une élection qui va nous conforter dans la dépendance vis-à-vis de l’extérieur ? Comment peut-on sortir de nos liens avec le FMI. Nous sommes dans une situation où les gens qui nous gouvernent disent qu’il n’y a pas d’argent. Mais il y a des gens qui savent om trouver l’argent. On nous demande de mobiliser les recettes, payer l’impôt. Nous savons bien que les structures ne peuvent pas marcher parce que ces gens sont habitués à voler en puisant dans la caisse de l’Etat. Si, demain, vous n’avez pas un discours électoral qui montre qu’avec les différentes administrations de l’Etat, on peut disposer de milliards des recettes fiscales, douanières et autres, sans attendre les institutions de Bretton Woods…

Est-ce une manière de demander au président de la République de faire comme Sarkozy ? 

Je crois que dans un monde interdépendant, on dit qu’il faut parfois se porter ailleurs. Sarkozy, dont la brillance est connue mondialement, s’est aperçu qu’il peut perdre, échouer non seulement lui-même mais aussi il a peur de faire perdre sa Droite. C’est un peu cela, ici. Il ne faudrait que les élections soient l’affaire d’un individu. Il faudrait qu’on en arrive à cela. Que l’Alliance de la majorité présidentielle (AMP), qui a pignon sur l’Etat, comprenne que la défaite existe et envisage que le président de la République peut perdre. J’ai l’impression qu’on travaille sur l’hypothèse qu’il ne peut pas perdre. Si tel est le cas, on n’est pas sur une perspective d’avenir. La vie n’a de sens que parce qu’il y a la mort. La victoire, l’intelligence à l’école n’est de mise que parce qu’il y a l’échec. Si on ne travaille pas de façon dialectique …

Voulez-vous dire que … 

Sarkozy a fait cela. Je pense que tout est possible aujourd’hui. Il ne lui reste qu’une année. Il en est de même du président français qui a plus d’une année et qui n’a pas tout changé. Seulement, il réunit autour de lui une équipe pour faire les choses autrement.

Soyons pragmatique. Voulez-vous dire que si Joseph Kabila veut gagner demain, il faudrait qu’il change et le gouvernement et son entourage. Sans oublier la vision qu’il a du Congo ? 

Ce dont je suis sûr, c’est qu’à voir comment les choses se font, en tout cas, demain sera différent parce que je ne pense pas que ce soit l’addition des chefs politiques à la constitution de l’AMP qui le fera gagner. Le problème qui a amené le chef de l’Etat à recourir au Parti lumumbiste unifié (PALU) et à l’Union des démocrates mobutistes (UDEMO), c’est la non compétitivité des partis affiliés à l’AMP. Donc, l’AMP n’était pas compétitive. Ses membres ne sont pas de mobilisateurs. Ce sont des partis qui ne sont pas glanés d’opinion. Ils ne pouvaient lui donner chacun des millions de voix. Refaire la même stratégie, cela ne produit pas pour le moment. Le PALU a contribué pour beaucoup à l’élection de Kabila parce que ce parti avait un candidat présidentiel. Jusque-là, le PALU n’a pas de candidat, c’est que cette formation politique n’aura absolument rien. Il en est de même de l’UDEMO. Alors, à quoi cela servirait d’avoir une AMP, avec 240 partis, qui ferait alliance avec l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), par exemple ? Si rien n’a donné avec le PALU et l’UDEMO, pourquoi répéter une formule qui n’a pas réussi ?
Je pense qu’il faudrait qu’on réfléchisse, à commencer par le chef de l’Etat. Parce qu’il n’est pas encore trop tard pour faire même la réforme du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD). Pourquoi n’agirait-on pas ici parce que ce sont des citoyens à la base qui vont élire. Si nous n’avons pas de partis politiques qui assument la volonté populaire, qui ne la reflètent pas et qui n’encadrent pas la base, il faudrait changer de tactique.
En 2006, Joseph Kabila s’est présenté comme candidat indépendant. Je crois qu’il s’est méfié des partis. Comment va-t-il se présenter en 2011 ? Toujours en indépendant ? Je ne crois pas. C’est maintenant qu’il faut changer les choses. Les gens privilégient les intérêts égoïstes. Cette façon de faire la politique conforte-t-elle l’espoir pour l’avenir de la Nation ? Nous permet-elle d’entrer en compétition même avec d’autres Etats africains ? Est-ce que cette façon de faire la politique par laquelle les partis politiques se clientélisent à l’AMP parce qu’ils pensent cette famille politique du chef de l’Etat financera leur campagne électorale. Mais d’où viendront les fonds pour financer 250 individus qui, eux aussi, vont se faire élire comme députés.
Vous venez de dire que le Congo est un cas spécial. Et qu’il est né grâce à la volonté de grandes puissances.
Ne trouvez-vous pas qu’à Kinshasa, on est un peu naïf de croire qu’on peut faire les choses sans tenir compte des positions sur le plan international et de ces grandes puissances ?
Jusqu’à présent, on n’a jamais intégré le monde. Pour nous, le monde ne nous inquiète pas. On laisse pratiquement l’avenir des Congolaises et Congolais entre les mains des personnes qui ont reconnu le Congo. Ces personnes qui agissent pour leurs propres intérêts. Or, la politique est l’affaire du peuple. Et le clientélisme est incompatible avec la politique parce que celle-ci est le haut lieu de l’espérance et de la responsabilité. Elle est l’affaire des responsables. On n’est pas responsable du monde entier. On est d’abord responsable de sa propre cité, de ses concitoyens, de ses amis, etc. La politique est un monde, en fait, qui ne conduit qu’à l’égoïsme qui est, en terme social, la souveraineté. Mais quand vous êtes trop altruiste…

C’est bien d’accuser les hommes politiques… 

Je n’accuse pas. Je fais une analyse…

On a parlé du blocage. Mais le blocage n’est pas seulement politique, mais aussi intellectuel. Comment expliquer qu’un pays de 60 millions d’habitants comptent tant de professeurs-docteurs et autres intellectuels qui sont incapables de produire une pensée pour permettre aux hommes politiques de puiser au moins la matière ? 

Le problème ne se situe pas seulement au niveau des intellectuels. Lorsqu’il faut prendre Kimpa Vita, Kimbangu, Emery-Patrice Lumumba, ils n’avaient pas de diplômes. Mais la conscience que le Congo leur appartient, que le sol est propre aux Congolais. C’est l’appartenance, l’attachement à la Nation. L’école vient en appui pour comprendre cette vérité-là. Le problème est que nous avons énormément pour assumer notre indépendance que nous croyons être un cadeau. Or, Lumumba a prononcé son discours du 30 juin 1960, non pas pour insulter les Belges, mais pour expliquer aux Congolais et au monde le sens de cette date. En fait, la colonisation, telle que a fonctionné, n’était pas compatible avec l’épanouissement de la personnalité congolaise, africaine. Lumumba est populaire en Afrique parce qu’il a expliqué tout cela. Bien des gens ont dit que les Congolais ne seront pas capables d’assumer le nationalisme. Ces derniers confondaient le nationalisme avec le mondialisme.

Pour qui roulent les élites politiques et intellectuelles congolaises ?

Depuis 1960, nous n’avons pas réussi à nous décoloniser complètement. Mabika Kalanda l’a écrit en disant que la décolonisation mentale était la base de tout émancipation. Cette décolonisation mentale a-t-elle réussi ? On a africanisé les cadres dans l’armée. Africaniser n’est pas décoloniser. C’est-à-dire qu’on n’a pas changé la chaîne mentale des militaires. On a débaptisé les villes en n’en construisant pas de nouvelles, etc.

Revenons à la question : pour qui roulez-vous ? Comment un pays très riche comme le nôtre … 

C’est un problème de gestion d’administrations. Je crois que le Congo a produit de belles cités, des industries qui, d’ailleurs, ne peuvent pas disparaître. Parce qu’aujourd’hui, historiquement, si on veut parler du Congo, de ce que le Congo a apporté à l’Humanité et à l’Afrique. Je pense que les élites congolaises font absolument tout – je crois que c’est une lutte qui produit des nationalistes, une élite qu’on rebute justement ou que l’on maîtrise à cause de son nationalisme. Le problème, c’est qu’on n’arrive pas à développer les capacités, les possibilités de mettre à profit cette intelligence. Nous avons combien d’intellectuels dans les structures qui peuvent aider le gouvernement à prendre des décisions ? Tous les intellectuels ne doivent être au gouvernement ou à la présidence de la République. Avons-nous créé un système, un complexe qui permet de produire l’intelligence dont nous savons besoin ? Cette intelligence existe. Nous animons des débats à la télévision. Combien de décisions ont-elles déjà été prises ? Plusieurs débats parlementaires ont eu lieu et pour combien de décisions gouvernementales ? Combien de fois les parlementaires se sont-ils réunis parce qu’ils ont suivi un débat intéressant à la radio ou à la télé entre intellectuels et qu’ils ont trouvé intéressant pour la société ? Leurs partis politiques ne marchent pas. Comment voulez-vous responsabiliser les intellectuels ?
Toutefois, je crois que nous avons un problème d’élite. Celle-ci se distingue du nombre. Elle fait partie de ceux qui, par leurs mérites et qualités, prennent le dessus sur la société pour la commander. Il y a des élites dans tous les domaines. Seulement, nous sommes dans un système qui ne produit pas cela. Or nous devons remettre en question notre société. La révolution ne se fait pas au niveau des individus mais des structures. C’est la société qui est malade. Avons-nous réussi à construire cette société…

Reconnaissez-vous là que vous êtes incapables et peut-être inconscients ? 

Nous ne sommes pas inconscients. Mais nous n’arrivons pas à mettre en place un mécanisme, une mécanique qui reflète notre désir de vivre, notre savoir-faire, notre désir de vivre ensemble. Il n’y a pas de mécanique. Tout est nouveau…

Alors, tout est perdu ? 

Non. Seulement, le parlement est là pour voter des lois faibles en vue de donner des avantages aux étrangers. Qu’à cela ne tienne, ne perdons pas d’espoir.
Par Freddy mulumba kabuayi du Le Potentiel

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