Pour la première édition de l’émission point de vue de l’année 2011, JNTV a rencontré Luc Marchal, qui fut le numéro deux de la Mission des Nations Unies au Rwanda (MINUAR) durant les années 1993 et 1994.
Sans perdre une seconde, nous lui expliquons notre démarche qui est celle de jeunes rwandais à la recherche de la vérité sur l’histoire de leur pays, qui souhaitent comprendre comment plus d’un million de nos compatriotes ont pu être tués par d’autres compatriotes.
C’est dans ce cadre là que dans cette édition de point de vue à l’accent historique et qui se voulait être un retour sur les événements d’avril 1994, que Luc Marchal, témoin au cœur des événements nous a semblé être l’une des personnes clefs à questionner à ce sujet.
La première question que nous luis posons a trait au contexte dans lequel la MINUAR est venue au Rwanda. Ce à quoi, le Colonel Marchal nous répond que la MINUAR est venue à la demande des rwandais afin de les accompagner sur le chemin de la paix et arriver au terme de l’accord de paix d’Arusha, qui consistait en élections libres devant être organisées après une période de 22 mois.
Nous lui demandons ensuite ce qui peut expliquer que alors que la paix était proche, le Rwanda aie pu sombrer dans le chaos qu’on a connu. Il nous répond que c’est très complexe et nous explique certains éléments liés au contexte.
Il cite en premier lieu, le délai entre la signature des accords de paix et la résolution du Conseil de sécurité décidant du déploiement de la force multinationale de la paix ; délai qui a joué un rôle négatif dans l’évolution de la situation.
« L’assassinat de Melchior Ndadaye, a été un coup d’arrêt dans les espérances des rwandais »
Il évoque en second lieu un événement qui a été capital dans la prise de conscience d’une grande partie de la population rwandaise. Il s’agit de l’assassinat de Melchior Ndadaye, premier président Hutu démocratiquement élu du Burundi qui a été selon lui un véritable coup d’arrêt les espérances des rwandais ; qui se sont demandés si la même chose n’allait pas arriver au Rwanda et si toutes les parties joueront le jeu de bonne foi dans l’esprit des accords de paix d’Arusha.
L’opinion publique, l’opinion politique qui avait atteint un certain niveau de réalité qui marquait une évolution vers la démocratie s’est posée des questions. Et certains ont remis en cause les accords d’Arusha, craignant de se retrouver à leur terme devant un fait accompli, devant une prise du pouvoir par la force.
Il continue en nous expliquant que les casques bleus ont été confrontés à une situation politique très complexe pour laquelle ils n’étaient pas bien informés, bien préparés.
Nous faisant ensuite part de son sentiment, il nous signale que le FPR n’a eu aucune difficulté pour emmener des missiles à Kigali étant donné sa constance à déjouer les contrôles de la MINUAR.
« Aucun casque bleu belge n’est complice ni de près ni de loin de l’attentat perpétré le 6 avril »
Revenant ensuite sur le contexte international nous lui demandons si des casques bleus belges sont complices dans l’attentat du 06 avril, étant donné les éléments étranges sur le comportement de l’équipe du lieutenant Lotin mais aussi sur le fait que leurs assassins les ont accusés d’avoir perpétré l’attentat.
Il nous répond qu’aucun casque bleu n’est complice ni de près ni de loin de l’attentat perpétré le 6 avril.
Reconnaissant un mystère autour de la mission du 6 avril remplie par l’équipe du lieutenant Lotin,
Il nous dit avoir constaté que cette mission n’avait été accordée par personne alors qu’il avait personnellement donné des directives très claires sur le fait qu’il était le seul à pouvoir donner son autorisation pour ce genre de missions.
Citant ensuite, Deus Kagiraneza, le responsable du FPR qui a organisé cette mission, il nous dit que Kagiraneza a menti par la suite dans les médias belges au sujet de cette mission notamment sur le fait qu’il connaissait personnellement le lieutenant Lotin.
Il nous dit que sa conviction personnelle est que cette mission du 06 avril dans le parc de l’Akagera avait pour but de mouiller les belges dans l’attentat.
Lorsque nous lui demandons qui avait intérêt à les mouiller, il nous répond toutes les parties, mais que l’une d’entre elles avait plus d’intérêt plutôt qu’une autre, en l’occurrence le FPR. Car l’attentat a été le premier épisode d’un plan qui devait aboutir à la prise du pouvoir par la force.
Le motif avancé par le FPR pour recommencer la guerre est que des Tutsi étaient massacrés à Kigali et que les forces armées rwandaises étaient incapables de les juguler.
« Sur le plan militaire, il est impossible de profiter d’une opportunité comme l’attentat pour lancer une offensive sur trois axes stratégiques, cela demande des mois de préparation d’un point de vue logistique ».
Mais il nous dit que c’est une explication pour l’opinion publique et que dans la réalité, immédiatement après l’attentat, le FPR a commencé son offensive, dès la nuit du 06 au 07 avril. Parlant en tant que militaire, en tant que technicien, il nous fait savoir qu’il est impossible sur le plan militaire, de profiter d’un attentat, et de lancer une offensive sur trois axes comprenant des dizaines de milliers de soldats.
D’un point de vue logistique, une offensive telle que celle menée par le FPR qui a duré 3 mois demandait une minutieuse préparation.
C’est la raison pour laquelle à titre personnel, il est convaincu à 100% que c’est le FPR qui a organisé cet attentat pour reprendre les hostilités et que cet attentat faisait partie de son plan général visant à prendre le pouvoir.
Revenant à nouveau sur le motif utilisé par le FPR du massacre des Tutsi et des Hutu « modérés », il nous fait savoir qu’à aucun moment le FPR n’a montré une volonté pour faire cesser ces massacres.
Il nous dit que la MINUAR et les forces armées rwandaises ont fait plusieurs propositions pour arrêter les massacres et que le FPR les a systématiquement refusées.
Le colonel Marchal cite ensuite le général Dallaire selon lequel « tous les maux rwandais peuvent être aussi reprochés à Paul Kagame », et continuant les propos de Dallaire, il nous dit que malgré l’ampleur des massacres, le FPR n’a jamais voulu accélérer son offensive pour raccourcir la guerre et mettre un terme aux massacres et il dit que Paul Kagame l’a (NDLR Dallaire) entretenu avec une certaine candeur du prix que ses frères Tutsi auraient à payer pour la cause.
« Le sort des Tutsi de l’intérieur n’avait aucune importance pour Kagame et sa clique »
Et Marchal conclut lui même que le sort des Tutsi de l’intérieur n’avait aucune importance pour Kagame et sa clique et qu’au contraire ce génocide contre les Tutsi de l’intérieur a été provoqué par le FPR afin de pouvoir prendre et légitimer son pouvoir.
L’interrogeant ensuite sur les barrages des interahamwe observés des le 7 avril, il nous dit qu’il est très difficile de savoir quels individus étaient sur ces barrages, ou si ces barrages étaient infiltrés comme certains le prétendent par le FPR.
Et il nous dit que par ailleurs le premier massacre de masse commis en avril a été commis le 7 par les militaires du FPR et il s’interroge sur les conséquences que ce massacre a pu avoir sur les autres et il nous dit que pour connaitre la vérité, un travail minutieux de recherche doit être mené.
Nous revenons ensuite sur le rôle de la MINUAR et lui demandons comment la MINUAR qui avait plus de 2000 hommes a pu quitter le Rwanda au moment ou les massacres étaient entrain d’être commis.
Pour y répondre, il tient à nous faire connaitre la réalité qui était celle de la MINUAR à l’époque. Il nous fait savoir que les effectifs en tant de paix étaient déjà insuffisants et qu’à partir du moment où la guerre a repris, le mandat de la MINUAR de maintenir la paix est devenu caduc.
Il nous dit également que de New York, ils ont reçu beaucoup de directives disant que ce qui se passait était une affaire propre aux rwandais et qu’ils n’avaient pas le droit d’utiliser les armes sauf pour leur propre sécurité.
Il nous dit que la MINUAR a été confrontée à un chaos et qu’elle était déjà incapable d’assurer sa propre sécurité. Car la MINUAR et les belges en particulier, étaient considérés comme les auteurs de l’attentat et tout incident pouvait déboucher sur un conflit ouvert avec les forces armées rwandaises.
Il nous raconte ensuite le quotidien concret auquel la MINUAR était confronté à l’époque.
« Si l’objectif du FPR avait été d’arrêter les massacres, il aurait fait appel aux militaires étrangers présents au Rwanda plutôt que de leur donner un ultimatum pour quitter le pays »
Lui demandant si quelque chose aurait pu changer si on pouvait revenir en arrière, il nous dit que les choses se sont déroulées comme ça parce qu’on voulait qu’elles se déroulent comme ça. Il donne l’exemple des contingents étrangers qui ont été envoyés au Rwanda, environ 3000 militaires d’élite et il nous dit que si l’objectif du FPR avait été de juguler les massacres, que le FPR aurait fait appel à eux.
Mais au contraire, le FPR a menacé d’abattre le premier C-130 dans lequel se trouvaient les para-commandos belges et par la suite, le FPR a donné 48 heures à tous les militaires de quitter le Rwanda sinon ils seraient considérés comme des ennemis.
Il nous rappelle également, que le FPR a donné 24h au bataillon ghanéen pour quitter le Rwanda et s’interroge si c’est une manière d’agir à l’égard d’une force de paix qui aurait pu aider à juguler le chaos qui commençait. Et il dit que tous ensemble, il était possible d’arrêter les massacres.
Il nous dit également que dès le 7 avril, le général Dallaire avait mis chacune des parties dont le FPR devant ses responsabilités et il tire comme conclusion de la reprise des hostilités par le FPR que l’objectif du FPR pour la reprise des hostilités n’était pas de mettre un terme aux massacres mais de prendre le pouvoir par les armes.
Nous terminons par une question sur l’actualité et nous lui demandons ce qu’il pense de la situation actuelle et si nous sommes sur la voie de la stabilité ou si au contraire un contexte explosif est à nouveau en place au Rwanda.
Il nous répond que cette apparente stabilité est en fait une situation très déstabilisante et nous dit qu’il y’a quelques mois, il était imaginable d’avoir une certaine stabilisation avec le retour de Victoire Ingabire au Rwanda et sa candidature aux présidentielles.
Il dit qu’actuellement, le seul obstacle à un gros drame est la puissance de l’armée rwandaise. Comparant l’armée actuelle à celle du régime dictatorial de Habyarimana, il dit qu’elle était composée avant le 01 octobre 1990 de 8000 militaires alors que l’armée actuelle est composée de plusieurs dizaines de milliers de combattants, disproportionnée par rapport au pays.
Il dit que le pays est dans un carcan, une domination militaire qui empêche les forces démocratiques de s’exprimer et de participer au développement du pays.
« le pays est dans un carcan, une domination militaire qui empêche les forces démocratiques de s’exprimer et de participer au développement du pays.»
Il nous dit ensuite que selon lui, le Rwanda est une dictature de la pire espèce et citant une étude du professeur Reyntjens, il dit que Kagame est le plus grand criminel de guerre depuis Hitler et que les Rwandais doivent vivre avec cette réalité là.
Il estime que la diaspora rwandaise dispose de toute une série d’instruments notamment le rapport de l’ONU du 01 octobre 2010, pour emmener un changement au Rwanda.
Selon lui, si le régime en place est amené à se justifier devant la communauté internationale des atrocités commises par lui, que cela peut être un début qui peut amener ce changement pacifique.
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