publié le 10.01.2011 02h01
La mort des otages français au Niger, les émeutes d’Alger et Tunis révèlent les maux qui accablent l’Afrique et placent la France en situation difficile
L’exécution barbare des deux otages français au Niger et d’un humanitaire soudanais au Soudan, les émeutes du pain à Alger, la révolte des jeunes diplômés de Tunisie, la comédie ridicule et sanglante des deux présidents d’Abidjan, les lâches attentats contre les coptes d’Égypte sont des événements différents. Ils ont néanmoins en commun un continent géographique et surtout une toile de fond désespérante : misère, corruption, désarroi d’un peuple face à des potentats locaux incapables de partager les richesses, d’organiser la démocratie ou la laïcité. Au Sahel où Vincent et Antoine ont été abattus, la criminalité plus ou moins organisée pactise voire fusionne avec des rébellions politiques ou religieuses. L’une et l’autre prospèrent sur le dos de populations confrontées au chômage quand ce n’est pas à la faim et à l’absence d’avenir, désignant le blanc comme l’ennemi surtout s’il est Français. L’actualité du week-end end rappelle dangereusement cette réalité.
Partir ou rester ? A Niamey les expatriés sont tiraillés
Pour Paris : « Au Sahel aucun endroit ne peut plus être considéré comme sûr »
« C’est la première fois que j’ai vraiment peur », confie Michel, un Français de Niamey : après l’enlèvement dans la capitale nigérienne et la mort de deux jeunes Français, beaucoup hésitent entre rester dans le pays et « plier bagages, très vite ».
« Nous sommes choqués et affligés », résume Michel, 40 ans dont cinq passés dans ce pays du Sahel. Il est l’un des quelque 1 500 Français vivant au Niger.
Le quartier résidentiel du Plateau, où a eu lieu le rapt, est pourtant un des plus sécurisés de la ville. Il abrite la présidence de la République, les garnisons de la gendarmerie, la garde nationale et la quasi-totalité des institutions et ONG internationales.
Au Toulousain, le restaurant où avaient fait irruption les ravisseurs enturbannés, un prêtre français boit un verre avant d’aller célébrer la messe dans un quartier de Niamey.
Il est choqué mais bien décidé à rester. « J’ai vécu dans d’autres pays africains plus dangereux, je ne bouge pas », assure-t-il.
« Partir c’est justement ce qu’il ne faut pas faire, c’est leur donner raison », poursuit cet homme dans la soixantaine qui, comme d’autres, n’accepte de témoigner que sous couvert d’anonymat, pour des raisons de sécurité.
Dans la capitale nigérienne jusqu’alors considérée comme sûre, de nombreux expatriés, dont des Français, faisaient leurs courses dimanche. Mais le malaise était palpable.
« Je suis consterné par la mort des deux jeunes hommes », dit un restaurateur français dans la soixantaine, croisé au Petit Marché, principal marché de primeurs. Pour lui, un départ n’est cependant pas envisageable. « J’ai fait pousser des racines ici, je ne veux pas partir ».
Paris a appelé hier les Français à « la plus grande vigilance » dans les pays du Sahel. « Au regard de la menace terroriste qui pèse sur la région, aucun endroit ne peut désormais plus être considéré comme sûr », affirme le ministère des Affaires étrangères.
Si les ravisseurs « ont les moyens d’opérer à Niamey, c’est qu’il n’y a plus de zones sûres », s’alarme un expatrié africain travaillant pour les Nations unies.
Un carrefour des trafics
Cette région du Sahel est devenue un carrefour de tous les trafics. Cocaïne colombienne vers l’Europe haschich marocain pour le golfe Persique, armes et surtout filières d’immigraiton clandestines sont contrôlées par des phalanges terroristes, ou carrément par des membres des services de sécurité du Niger, du Mali et de la Mauritanie. Les djihadistes. Ils ont financé des puits ou racheté du bétail pour les touaregs qui en retour,repèrent des cibles, voire enlèvent des otages pour leur compte. L’autre source de revenus, ce sont les enlèvements. La libération, fin août 2010, de trois otages espagnols aurait ainsi rapporté 8 millions d’euros à une phalange islmiste.
Tour d’horizon
Le Sahel, terre de terrorisme
« L’enlèvement le 16 septembre 2010 de cinq français à Arlit, au Niger après la mort de l’humanitaireMichel Germaneau.
-L’attentat contre l’ambassade de France à Bamako (Mali) le 5 janvier 2011.
- La mort le 8 janvier 2011 de deux de nos compatriotes enlevés à Niamey le 7 janvier. Autant d’événements qui témoignent du niveau particulièrement élevé de la menace terroriste au Sahel », souligne le ministère des Affaires étrangères. Quelque 1 550 ressortissants français résident au Niger, 2 115 en Mauritanie et 4 330 au Mali.
Soudan : coupé en deux
Les Sud-Soudanais ont voté hier sur leur indépendance, en masse et dans la liesse, lors d’un référendum attendu depuis plus de 50 ans. Mais des violences ont terni le premier jour de ce scrutin « historique » sur la partition du plus vaste pays d’Afrique. Au moins huit personnes sont mortes dans des affrontements entre tribus
La partition semble inévitable à l’issue de ce référendum prévu par l’accord de paix de 2005 entre le Nord et le Sud, qui a mis fin à une guerre civile de plus de 20 ans à l’origine de deux millions de morts.
Côte d’Ivoire : 23 000 réfugiés…
La Côte d’Ivoire est dans une impasse après le refus de Laurent Gbagbo de céder sa place à son rival Alassane Ouattara, reconnu vainqueur de la présidentielle. Quelque 23 000 réfugiés Ivoiriens ont migré au Liberia depuis le début de ces événements. Plus de 10 000 personnes ont été déplacées depuis le 3 janvier dans des violences intra-communautaires dans l’ouest de la Côte d’Ivoire,
Nigeria et Somalie : rapts
Pas moins de 21 expatriés occidentaux ont été pris en otage au Nigeria en 2010 et 38 en Somalie pour motifs crapuleux en général.
« Un message fort lancé à l’adresse des ravisseurs »
>> Comment analysez-vous d’un point de vue technique l’opération menée au Niger ?
Le système a fonctionné très très vite puisque ce sont les Nigériens qui ont prévenu les Français, semble-t-il. On a réussi à faire décoller le Breguet Atlantique, les hélicos, les forces spéciales rapidement et à faire le tracking sur la route. Depuis le premier enlèvement, il y a une permanence d’Atlantique qui ont des moyens de vision de nuit qui permettent de faire le suivi d’une cible quelconque. Malheureusement, cela se termine par la mort des otages mais c’est une opération qui techniquement est réussie. Cela prouve que maintenant, on s’est donné les moyens de réagir. C’est très complexe car c’est une opération qui concerne trois pays.
>> L’enlèvement a eu lieu à Niamey, l’insécurité s’étend géographiquement ?
Il y aura une analyse fine de faite mais quand on dit qu’une zone est sûre, elle devient plus facile d’accès aussi. Ce qui s’est passé pour les précédents otages n’est plus possible à l’heure actuelle car des mesures de sécurité ont été prises et cela devient très compliqué. Tous les actes terroristes sont basés sur la certitude qu’ils vont réussir.
>> Comment sécuriser nos ressortissants dans l’ensemble de cette zone ?
Armer les ressortissants n’est pas une solution, celle de la zone verte de type Irak non plus. Il y a des mesures de sécurité classiques expliquées à chaque personne une par une que nous ne divulguons pas. C’est très pénalisant pour la vie de tous les jours. Le message qui prouve qu’on a des moyens de réaction et qu’ils tuent les ravisseurs, c’est extrêmement fort. Ces kidnappings sont souvent à deux étages. Il y a des mafieux qui enlèvent les otages et les revendent à des organisations plus politiques. Si le mafieux risque sa vie, ça l’intéresse beaucoup moins.
Recueilli par François Samard
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