jeudi 31 mars 2011

« Je suis terrorisée… » : en Syrie, le régime entretient les peurs

Une manifestation pro-gouvernementale à Damas, le 29 mars 2011 (Wael Hmedan/Reuters).
« Et si le chaos nous guettait ? » ; « Et si un conflit communautaire s'engageait ? » ; « Et si le pays se divisait ? » ; « Et si nos ennemis en profitaient ? ! »… Ces interrogations angoissées qui s'expriment depuis le début des révoltes en Syrie montrent combien la dictature a réussi à enraciner les peurs dans les esprits.
A peine les choses ont-elles bougé, à peine le mur du silence s'est-il fissuré, à peine les plus téméraires sont-ils descendus dans les rues, à peine les premières victimes de la prévisible répression sont tombées que tant d'autres Syriens paniquent.

Le réflexe de soumission habituelle

Dans un message privée sur Facebook, une étudiante à Damas confie, après la manifestation de soutien à Bachar El-Assad :
« Je n'arrive pas à me débarrasser de la crainte des services de sécurité, je suis terrorisée par l'éventualité d'être arrêtée… Je suis une jeune-fille effrayée par ce qui se passe autour de moi…
Et je n'ai pas pu résister, en arrivant à l'université ce matin, à “ l'invitation ” de monter dans le bus où d'autres étudiants, armés de drapeaux et de portraits du Président, scandaient déjà “ Nous baisons la terre sur laquelle tu marches ! ”. »
Mais plus étonnantes que ce réflexe de soumission habituelle malgré les circonstances exceptionnelles sont les peurs sincères, exprimées en privé, y compris des Syriens qui n'adhèrent nullement au régime mais ont bien intériorisé son chantage : « C'est nous ou le chaos ! »

« Les Israéliens n'attendent que ça : découper la Syrie ! »

« En tant que chrétien, je ne veux pas que les islamistes soumettent ma famille à leur loi. Ce régime au moins a su protéger les minorités ! » dit un médecin franco-syrien installé en France. Inutile de lui opposer que la coexistence des communautés est enracinée dans l'histoire de la Syrie qui n'a jamais connu de règlements de compte confessionnels à la libanaise.
« Les Kurdes voudront profiter d'un ébranlement du régime pour faire sécession comme en Irak ! », redoute un quinquagénaire damascène qui « aimerait que les choses changent mais tient par-dessus tout à l'unité du pays. »
Les quelque deux millions de Kurdes syriens, au nord du pays, pourraient en effet avancer leurs revendications et leurs différences culturelles qui ont longtemps été niées, mais jusqu'où peuvent-ils aller quand leurs frères de Turquie, d'Iran ou même d'Irak ne sont pas à la fête ?
Un exilé en Grande-Bretagne dit :
« Les Israéliens n'attendent que ça : découper la Syrie ! Un canton pour les druzes, un autre pour les orthodoxes, un pour les chiites, un pour les alaouites, un pour les Arméniens… »

« Le peuple syrien ne saurait être humilié ! »

Bien d'autres craintes, encore plus irrationnelles, se sont emparées des Syriens, même les plus ouverts et les plus raisonnables, depuis que le début de la contestation du régime. Celui-ci s'efforce d'ailleurs d'entretenir et même de propager ces peurs en accusant « les infiltrés de l'étranger » ou les « extrémistes sectaires » d'être derrière les appels à la liberté.
« Le peuple syrien ne saurait être humilié ! » a été l'un des mots d'ordre caractéristiques des manifestants de Daraa et des autres villes du pays. L'enracinement de la peur n'est-elle pas la plus grande des humiliations ?
Photo : une manifestation pro-gouvernementale à Damas, le 29 mars 2011 (Wael Hmedan/Reuters).

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