mercredi 23 mars 2011

Libye: la "rue arabe" se méfie de la coalition

Par Dominique Lagarde (Rabat), avec Anis Allik (Alger), Sihem Hassaini (Tunis) et Tangi Salaün (Caire), publié le 23/03/2011 à 11:30
 
Libye: la "rue arabe" se méfie de la coalition
L'opinion arabe soutient majoritairement les insurgés contre le dictateur libyen (ici, lors d'une manifestation le 22 février à Ramallah en Cisjordanie).  
REUTERS/Mohamad Torokman

Même s'ils condamnent Kadhafi, beaucoup d'Arabes s'interrogent sur les arrière-pensées des Occidentaux. Quand ils ne les accusent pas de vouloir s'emparer du pétrole libyen...

 
C'est très certainement le soutien populaire aux insurgés de Benghazi qui explique le feu vert de la Ligue arabe à une opération militaire internationale contre Kadhafi. Depuis des jours, les chaînes de télévision panarabes diffusent en direct les images des combats. Du Golfe à l'Atlantique, les scènes suscitent émotion et colère. Pourtant, si la "rue arabe" est incontestablement anti-Kadhafi, le recours à des frappes aériennes, pour l'essentiel occidentales, suscite au Maghreb une grande méfiance.  
Beaucoup s'interrogent sur les "arrière-pensées" des Occidentaux, accusés de vouloir défendre leurs intérêts économiques. D'autres s'inquiètent des risques d'engrenage. Le précédent irakien est dans tous les esprits. "Au début, il ne s'agissait que de libérer les Irakiens de Saddam Hussein et, finalement, les Américains ont occupé l'Irak", souligne Fatima, une jeune Marocaine qui travaille dans la finance et se dit apolitique. Ibtissem, Marocaine elle aussi, psychiatre et militante des libertés, est partagée. Elle se sent "complètement solidaire du peuple libyen", mais elle a peur de l'"escalade de la violence". 
En Tunisie, la tonalité est la même: compassion à l'égard du peuple voisin, soupçons en ce qui concerne les visées des pays occidentaux. Pour Mohamad, étudiant en géographie, l'Ouest "cherche à protéger ses entreprises sur place". Une certitude que partage Myriam, jeune Tunisienne employée dans un centre d'appels. Elle se dit convaincue que les Américains et les Européens ont décidé de frapper la Libye "à cause du pétrole" et parce qu'ils veulent "s'emparer de ses ressources".  
La crainte d'une guerre ouverte au Maghreb
Les Algériens portent eux aussi dans l'ensemble un regard sévère sur le dictateur libyen, qu'ils sont nombreux à juger "dérangé" ou "sanguinaire". Mais lorsqu'on leur demande leur point de vue sur la décision des Nations unies, ils sont là encore, pour beaucoup, convaincus que les Occidentaux n'ont qu'une chose en tête: s'assurer du contrôle du pétrole libyen.  
La situation aux frontières risque d'être plus problématique encore si les frappes dégénèrent en conflit ouvert 
La crainte d'une guerre ouverte au Maghreb ou de débordements sur le sol algérien, voire d'une recrudescence de l'activité terroriste, est parfois aussi évoquée. "La situation aux frontières est déjà sous tension, elle risque d'être plus problématique encore si les frappes dégénèrent en conflit ouvert", estime Abderazek Seghour, professeur à l'Institut des sciences politiques d'Alger. Quelques-uns tiennent néanmoins un autre discours, comme cet Algérois qui estime que le dictateur libyen "doit payer pour ses crimes" ou encore Nersine, étudiante en architecture de la faculté de Carthage. "Il fallait, dit-elle, mettre fin à l'impunité dont bénéficiait Kadhafi. Peu importe qui frappe." 
Peut-être parce qu'ils se sentent plus proches des insurgés de Benghazi, les Egyptiens semblent avoir mieux accueilli la décision des Nations unies, regrettant même parfois qu'elle ait été si tardive. Ils savent aussi que, si des frappes sont devenues possibles, c'est en grande partie grâce aux efforts de l'un des leurs, le très populaire secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa. "Il n'y a pas de raison de craindre que ces frappes débouchent sur un scénario à l'irakienne, parce que, désormais, les Arabes ont retrouvé leur dignité et font entendre leur voix", affirme Chérif, un médecin du Caire qui s'apprête à voter pour le référendum constitutionnel. "Bien sûr, ajoute-t-il, nous remercions la France." 

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