lundi 11 avril 2011

Gbagbo capturé : par les Français ou par les Ivoiriens ?


Par Pierre Haski | Rue89 | 11/04/2011 | 15H26

Qui a réellement capturé Laurent Gbagbo, lundi dans sa résidence d'Abidjan où il était retranché depuis huit jours ? Les partisans du Président sortant affirment que ce sont les forces spéciales françaises, mais Paris, tout comme le camp du PrésidentAlassane Ouattara reconnu par la communauté internationale, démentent et affirment que ce sont des soldats ivoiriens, membres des « forces républicaines » pro-Ouattara, appuyées par les Français de la force Licorne et l'ONU.
Aucune image n'existe de l'assaut déterminant de la résidence de Laurent Gbagbo, qui a été précédé d'une intense activité militaire française, dimanche soir et lundi matin. A Paris, le porte-parole de l'état-major, le colonel Thierry Burkhard, a toutefois déclaré :
« A aucun moment les forces françaises n'ont pénétré dans les jardins ou la résidence présidentielle. »
Si cette question reste sans réponse claire, la partie est bel et bien finie pour Laurent Gbagbo, qui se trouve entre les mains des hommes d'Alassane Ouattara, à l'hôtel du Golf, le quartier général de Ouattara, avec son épouse Simone. Selon le ministre français de la défense, Gérard Longuet, Laurent Gbagbo se serait « rendu ».
Les premières images – étrangement sans son – de Laurent Gbagbo entre les mains de ses ennemis ont été diffusées sur la télévision ivoirienne aux mains de Ouattara, reprises ici par LCI. (Voir la vidéo)
La télévision ivoirienne montre également de manière furtive son épouse, Simone, également sur la liste de l'ONU des dignitaires ivoiriens accusés de crimes de guerre.
Simone Gbagbo

Les chars français dans l'enceinte de la résidence des Gbagbo

L'information a d'abord été donnée par Alain Toussaint, le conseiller de Gbagbo, présent à Paris, qui a affirmé :
« Le président Gbagbo a été arrêté par les forces spéciales françaises et remis à des chefs de la rébellion. […]
Ces chefs de la rébellion ont été convoyés sur place par les forces françaises qui ont pénétré dans la résidence avec des chars. Le président était dans son bureau. »
Des chars français venaient de pénétrer dans l'enceinte de la résidence du Président ivoirien sortant, mais selon Paris, les soldats français ne sont pas entrées dans la résidence elle-même, ce qu'aucun témoin n'est évidemment en mesure d'attester.
« Les forces françaises n'ont pas pénétré dans la résidence de M. Gbagbo », a déclaré Guillaume Soro, le Premier ministre de Ouattara, sur France 24 lundi après-midi.

Guillaume Soro : « Il ne peut y avoir de chasse à l'homme »

« Le cauchemar est terminé » pour les Ivoiriens, a déclaré à la télé pro-Ouattara Guillaume Soro, qui s'est également « adressé solennellement aux officiers, sous-officiers, militaires du rang de toutes les forces » :
« Je vous lance un dernier appel au ralliement. Il ne peut y avoir de chasse à l'homme, rejoignez donc les forces républicaines. »
Selon Marc Smith, l'envoyé spécial de France 24, l'Hôtel du Golf a essuyé lundi après-midi des tirs venant de partisans de Gbagbo. Les casques bleus qui protègent l'hôtel ont répliqué à l'arme lourde.
Le journaliste a décrit, « des centaines et des centaines de soldats pro-Ouattara exultant dans l'enceinte de l'hôtel du Golf » à Abidjan, tandis que de nombreux prisonniers sont acheminés dans l'enceinte. Les pro-Ouattara se sont jetés par terre pour embrasser le sol en criant : « Vive la liberté, vive la liberté. »
Nicolas Sarkozy s'est entretenu par téléphone avec Alassane Ouattara peu après l'arrestation de Laurent Gbagbo, a annoncé l'Elysée.
Un responsable politique pro-Ouattara a indiqué que Laurent Gbagbo et son épouse subissaient des visites médicales après leur arrestation, mais semblaient en bonne santé. Certaines voix dans son camp s'élèvent déjà pour qu'ils soient traduits devant la Cour pénale internationale (CPI) pour « crimes de guerre ».

Le rôle déterminant de la France

Depuis huit jours, les troupes de Ouattara, parvenues au cœur de la capitale économique ivoirienne après une avancée rapide à travers le pays, au cours de laquelle un atroce massacre a été commis à Duekue, dans l'ouest, avaient échoué dans leurs tentatives de capturer le Président sortant - malgré l'intervention des hélicoptères de combat français qui ont détruit les armes lourdes des fidèles de Laurent Gbagbo. 

Les partisans du Président sortant avaient même repris du terrain ces derniers jours, en raison de leur faible nombre et de leur équipement léger, provoquant la nouvelle offensive française.
Dimanche soir et lundi matin, de nouvelles attaques françaises contre les positions des partisans de Laurent Gbagbo signalaient une accélération des événements, alors que la situation humanitaire de la population d'Abidjan est dramatique.
La France est entrée en action à la fin de la semaine précédente à la demande du secrétaire général des Nations unies, à la suite de l'adoption d'une résolution du Conseil de sécurité pour « protéger les populations civiles ». Les partisans de Gbagbo accusent Paris d'avoir outrepassé son mandat. « Honte à la France », s'est exclamé un partisan de Gbagbo sur France24 lundi après-midi.
Sur place, selon les quartiers, la population alternait entre scènes de joie et quelques scènes de pillage. Dans l'ancienne résidence de Gbagbo où il a été arrêté, Jean-Philippe Rémy, l'envoyé spécial du « Monde » raconte son entrée raconte son entrée dans la résidence, éventrée
par les frappes de l'ONU et de la force Licorne.
Selon le journaliste, le bâtiment a été
touché par des tirs qui ont mis le feu à la fameuse bibliothèque
classique d'Houphouët-Boigny. Le fauteuil où Laurent Gbagbo avait
l'habitude de donner ses interviews fumait encore. Jean-Philippe Rémy
raconte également des scènes de pillage, et des soldats buvant du
champagne dans des coupes en cristal…

L'enjeu de la légitimité de Ouattara

Le décalage entre les annonces des partisans de Gbagbo et celles de Paris et du camp Ouattara sont éminemment politiques, ces derniers cherchant à minimiser le rôle des éléments français de la force Licorne pour donner l'apparence d'un règlement entre Ivoiriens.
C'est l'enjeu de la légitimité du président Alassane Ouattara, qui a besoin de s'imposer comme le vainqueur du scrutin de décembre, et pas comme l'homme imposé par les hélicoptères et les forces spéciales françaises, décrites officiellement comme des « forces impartiales » selon le jargon aux accents quelque peu propagandiste du ministère de la Défense, et qui l'étaient guère.
La semaine dernière encore, le ministre français de la Défense, Gérard Longuet, avait assuré que la France n'interviendrait pas en Côte d'Ivoire si Alassane Ouattara faisait appel à elle pour déloger définitivement Laurent Gbagbo :
« Non, on n'irait pas, parce que la France peut être engagée à la demande des Nations unies. Mais nous n'obéissons à aucune force politique en Côte d'Ivoire. Le cas échéant, pour la protection des populations civiles, nous pouvons répondre à une réquisition des Nations unies. Point final. »
L'aggravation de la situation humanitaire à Abidjan, et la résistance plus grande que prévu des partisans de Gbagbo en ont décidé autrement, et le « but de guerre » français a évolué jusqu'à jouer un rôle déterminant dans le dénouement de lundi.
Quelle que soit la vérité sur les événements de ce lundi, l'histoire confortera sans doute la conclusion tirée sur France 24 par Antoine Glaser, journaliste spécialiste de l'Afrique :
« On retiendra la main invisible française sur l'arrestation de Laurent Gbagbo ».
Laurent Gbagbo avait refusé de reconnaître le résultat de ces élections présidentielles, et avait conservé les rênes du pouvoir à Abidjan, une ville qui lui avait accordé majoritairement son soutien, tandis qu'Alassane Ouattara était cantonné à l'hôtel du Golf avec ses partisans, protégé par les casques bleus de l'Onuci.
Bien qu'encerclé par les forces françaises et les partisans de Ouattara, Laurent Gbagbo refusait toujours, il y a une semaine, de reconnaître sa défaite électorale. Il affirmait par téléphone à un journaliste de LCI que « la Côte d'Ivoire vit un coup d'Etat ».

« La France est entrée directement en guerre contre nous »

« La France est entrée directement en guerre contre nous », clamait Laurent Gbagbo avant de conclure qu'il n'est pas un « kamikaze » et ne « recherche pas la mort ». Ecoutez l'enregistrement de cette conversation surprenante, l'une des dernières interviews de Laurent Gbagbo avant son arrestation. Le journaliste Vincent Hervouët commence par lui demander où en sont les négociations pour sa reddition dont l'annonce avait été faite par François Fillon et la France. (Ecouter le son)
C'était sans doute la dernière chance de Laurent Gbagbo de négocier sa sortie, mais, selon des sources françaises, cette interview sur une antenne française, suivie d'une autre peu de temps après sur RFI, avait dopé le président sortant, qui a cru qu'il pourrait encore s'en sortir. Il l'a laissée passer, ne gagnant que quelques jours de plus.
Baudry sur l'arrestation de Laurent Gbagbo.

Premières réactions

Parmi les premières réactions, celle de Jean-Marc Ayrault, le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, qui, sur Twitter, appelle Alassane Ouattara à être « le garant de la paix civile » après l'arrestation de Laurent Gbagbo, qui, fut, rappelons-le, longtemps membre de l'Internationale socialiste et un facteur de division au sein du PS.
Capture d'écran du compte Twitter de Jean-Marc Ayrault.
De son côté, l'organisation Human Rights Watch appelle Ouattara à traiter son prisonnier « de manière humaine », et à le « juger de manière équitable ». Daniel Bekele, directeur Afrique de Human Rights Watch, a déclaré :
« Laurent Gbagbo a été mis en cause de manière crédible dans des crimes contre l'humanité et d'autres atrocités dont il devra répondre. Il ne devrait pas bénéficier d'un exil doré dans un pays qui le protégerait contre des poursuites au niveau national ou international.
Les forces d'Alassane Ouattara sont dans l'obligation de le traiter, de même que tout autre prisonnier, de manière humaine, dans le respect du droit international. Après des mois de combats durant lesquels la population civile a terriblement souffert, Alassane Ouattara prend le contrôle d'un pays profondément divisé.
Afin de mettre un terme à plus d'une décennie d'exactions et d'impunité, le nouveau gouvernement dirigé par Alassane Ouattara doit s'assurer que tous ceux qui sont responsables des crimes qui ont marqué cette page douloureuse de l'histoire ivoirienne soient jugés de manière équitable, quelque soit leur rang, ou le camp politique dont ils se réclament. »
A Washington, Hillary Clinton, la secrétaire d'Etat, a déclaré au cours d'une conférence de presse :
« L'arrestation de Laurent Gbagbo est un signal destiné à tous les dictateurs du monde : ils doivent écouter la voix du peuple ».
Illustrations : capture d'écran de Simone Gbagbo (TCI) ; dessin de Baudry.

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