vendredi 24 juin 2011

Côte d’Ivoire : Mauvais départ pour la réconciliation et la relance économique

Justice sélective, persistance des exactions, exclusion et frustrations diverses : Mauvais départ pour la réconciliation et la relance économique
Les crises qu’a connues la Côte d’Ivoire ces dix dernières années l’ont placée dans un gouffre. Pour en sortir, le pays doit réussir la réconciliation nationale, relancer l’économie, reformer son armée etc. L’équation est loin d’être simple. Elle s’avère d’autant plus difficile que les autorités sont stériles en actes et projets de solution.
La Côte d’Ivoire va mal depuis plus d’une décennie. Le premier coup de poignard lui a été donné en décembre 1999. Le coup de force contre le régime d’Henri Konan Bédié avait laissé des plaies. Celles-ci n’ont pas eu le temps de se cicatriser quand, en septembre 2002, une rébellion armée est survenue. Les remèdes administrés par tous les accords de paix n’ont pas donné de résultats escomptés. La thérapie préconisée par le dernier accord politique dit de Ouagadougou a laissé entrevoir un espoir. Malheureusement, les acteurs (autorités gouvernementales, Nations unies, rebelles et opposition) ont tous triché avec le volet désarmement. Et des élections présidentielles ont été organisées dans des circonstances exécrables. Surtout dans les zones contrôlées par l’ex-rébellion armée des Forces nouvelles. Les résultats ont donné lieu alors à des contestations qui ont abouti à une guerre. Aujourd’hui, en plus des plaies devenues davantage béantes, tous les os du pays sont rongés. Au-delà des traumatismes physiques, les blessures morales sont indescriptibles. Alors que faire ? Comment réanimer le pays ? Quels remèdes faut-il lui administrer ? Par où commencer ?
Les objectifs à atteindre sont, selon le gouvernement actuel, la réconciliation nationale, la justice, la réorganisation de l’armée, la reconstruction du pays, la relance économique. En ce qui concerne la justice, toutes les enquêtes que préconisent les nouvelles autorités se focalisant sur la période d’après le 28 novembre 2010, date du second tour de la présidentielle. Pourtant, le mal ivoirien ne date pas de cette période. Le diagnostic ici est déjà biaisé. Le remède risque donc de ne pas être efficace. Il y a eu atteinte à la sûreté de l’Etat en 1999. Des frustrations en ont découlé. Il y a eu atteinte à la sûreté de l’Etat en 2002 avec la rébellion armée. Des crimes de sang et des crimes économiques ont été commis. L’assassinat de Boga Doudou, alors ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, tout comme la mort de l’ex-chef d’Etat, Robert Guéi, importent-t-ils peu aux nouvelles autorités ? Le président Alassane Ouattara, désormais garant moral de l’Etat de Côte d’Ivoire, n’a-t-il pas envie, par exemple, que l’on sache ce qui a pu se passer en novembre 2004 lors de l’opération Dignité ? Cette offensive militaire lancée pour libérer le pays aurait occasionné la mort de neuf soldats français. S’en moque-t-il ? Surtout que des dizaines de jeunes ivoiriens avaient été tués par l’armée française devant l’hôtel ivoire. Les victimes et leurs parents ne sont-elles pas aussi concernées par la réconciliation ? La réconciliation pourra-t-elle réussir sans prendre en compte tous ceux qui ont perdu des êtres chers et tous leurs biens du fait de la rébellion armée de 2002 ?
Les victimes dans les deux camps
En ce qui concerne la violence postélectorale de novembre 2010, les victimes se trouvent dans les deux camps politiques. Aussi bien chez Ouattara que chez Gbagbo. Dans les villes et villages des régions favorables à l’ancien Chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, les tueries et les destructions des biens publics et privés sont incalculables. Les massacres des populations de Duékoué sont souvent citées en exemple parce qu’elles ont été opérées de façons massives en un temps record et sur un espace réduit. Mais partout, tant à Abidjan que dans les campagnes, les morts se comptent par milliers. Le gouvernement parle de 3000 morts dès la fin des combats. Et depuis, les tueries continuent. Les ex-rebelles rebaptisées Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) sont ouvertement indexées par les organisations internationales de défense de droit de l’homme. Des noms de responsables des FRCI ont été cités mais jusqu’à ce jour, aucune action n’a été entreprise dans le sens de rendre justice. Pourtant le nouveau chef de l’Etat et ses collaborateurs soutiennent, sans relâche, qu’aucun crime ne restera impuni. Par ailleurs, tous les cadres de premier plan de l’ancien régime sont détenus dans des conditions insupportables sans charge contre eux. Il est annoncé des mandats d’arrêt internationaux contre ceux qui ont réussi à fuir le pays où ils étaient menacés de mort. Les biens de tous ont été pillés. Les maisons de certains d’entre eux sont occupées par les hommes armés du nouveau régime. Leurs comptes bancaires sont gelés. Leurs familles sont donc confrontées aux pires difficultés du monde. Pour ceux-ci, quel sens revêt le mot « réconciliation » ? Certes 17 des proches de Laurent Gbagbo arbitrairement détenus à la nouvelle pergola ont été libérés le week-end dernier. Mais, c’est une goutte dans l’océan des arrestations. La liberté de la presse acquise au prix de mille sacrifices est gravement menacée. Illustration la plus grave : l’occupation par les Frci, depuis la mi-avril, du siège de Notre Voie, quotidien proche du Front populaire ivoirien (FPI). Les nouvelles autorités en sont informées mais elles ne font rien pour que cela prenne fin.
Chasses aux sorcières et exclusion
Dans l’administration, chasse aux sorcières et exclusion battent leur plein. Dans les Institutions de la République (Assemblée nationale, Conseil constitutionnel, Conseil économique et social…), les travailleurs sont sans salaire depuis 4 mois. A la présidence de la République, le ‘’petit personnel’’ a reçu, fin avril, le salaire d’un mois là où les autres fonctionnaires et agent de l’Etat en avaient perçu pour deux mois. Fin mai, il n’a rien perçu. Qu’en sera-t-il pour la fin de ce mois de juin. Rien n’est moins sûr. Volonté manifeste de punir des agents de l’Etat ou problème de trésorerie ?
La vague de mise à l’écart du processus de réconciliation s’abat aussi sur tous les élus FPI (maires et présidents de Conseils généraux). Traqués, ils ont dû s’exiler ou se terrer. Aucun appel n’est lancé pour que ces élus locaux reprennent leur place pour la reconstruction. Aucun acte n’est pris pour garantir leur sécurité. Il se dégage un sentiment réel du régime Ouattara de les voir loin, très loin des affaires. Et ce n’est pas la série de mesures entreprise depuis peu pour pourvoir à leur remplacement qui nous dira le contraire. Il en est été ainsi à Cocody, Marcory, Daloa, Gagnoa. Quant aux députés, il a été mis un terme au versement de leurs émoluments. Le Chef de l’Etat dit que son conseiller juridique lui a souligné que le mandat de l’Assemblée nationale a pris fin depuis les résultats de la présidentielle. Pourtant la loi fondamentale dit plutôt que le mandat de la législature prend fin quand les nouvelles élections législatives ont lieu. Et elles doivent être organisées 20 jours au moins et 50 jours au plus avant la fin de la législature. Ici, c’est le Conseil constitutionnel qui devait être saisi. Comme l’avait fait en 2005, le président Laurent Gbagbo. Quand après 5 ans, le mandat des députés était arrivé à expiration. Le Conseil constitutionnel avait décidé la prorogation comme le mandat du président de la République puisqu’il était impossible d’organiser des élections dans un pays coupé en deux. Aujourd’hui, le président Ouattara décide seul de mettre fin à la législature. Or ce n’est pas son rôle. A moins qu’il ait décidé d’accaparer tous les pouvoirs. Si pour son investiture, M. Ouattara a fait appel au Conseil constitutionnel, il aurait pu le faire pour le cas de l’Assemblée nationale. En ne le faisant pas, il lance le train de la réconciliation avec beaucoup de difficultés pour le pays.
Tâche pas du tout facile
Un autre secteur et non des moindres où la frustration le dispute aux menaces ouvertes ou voilées : l’armée. Il est aujourd’hui question de réunifier les forces combattantes. Mais la tâche n’est pas du tout aisée. Les ex-rebelles des Forces nouvelles jouent les grands vainqueurs. Au lieu de faire preuve de hauteur d’esprit, ils affichent le mépris et posent des actes de représailles. La capitale économique, Abidjan, est administrée par les Com’zones de l’ex-rébellion armée. Leurs hommes occupent commissariats et brigades de gendarmerie. Pire, le général Philippe Mangou, Chef d’Etat-Major des armées sous Laurent Gbagbo maintenu jusqu’à ce jour par Alassane Dramane Ouattara est sans bureau fixe. On assiste à quelques actes « d’unité » plus spectaculaires que concrets. Mais les « ouvriers » eux ne veulent plus laisser le ‘’travail’’. En d’autres termes, les ex-rebelles rechignent à déposer les armes. Et pourtant manifestement, il y aura peu d’élus à l’armée nouvelle. Officieusement, ils réclament des récompenses qui se chiffreraient à plusieurs millions de fcfa. Des informations font état de promesse faites par le camp Ouattara avant l’offensive contre les Forces loyales à l’ancien président Laurent Gbagbo. La mise en place de la nouvelle armée, un chantier d’Hercule pour le chef d’Etat Alassane Dramane Ouattara. Mais une nécessité. Il en faut donc plus que les 20 000 treillis et le versement des salaires en main propre. Le secteur de l’éducation est sinistré. Les universités ont été pillées. Les cours sont stoppés. Momentanément selon les nouvelles autorités. Mais rien n’autorise à une reprise pour bientôt. Le nouveau pouvoir accuse des étudiants d’avoir aussi participé aux combats aux côtés des Fds sous l’ancien régime. La fermeture des amphis obéit donc aussi à une réaction politique. Mais là plusieurs innocents paient le prix. Plusieurs élèves du primaire et du secondaire ne pourront pas regagner les classes. Beaucoup ont été obligés de suivre leurs parents ayant fui les combats. Un tour dans les établissements et l’on note de nombreuses d’absents d’élèves. Comment faire monter tous ces étudiants et élèves mais aussi leurs parents dans le train de la réconciliation ? Les autorités tardent à répondre à la question. Et pourtant, la réconciliation est illusoire sans l’adhésion aussi des étudiants et des élèves.
Question d’administration
L’exclusion frappe également tous les jeunes qui avaient postulé aux concours d’entrée à la fonction publique entre le 4 décembre et le 11 avril 2011. Les admis au concours d’entrée à l’Ecole normale supérieur (ENS) en font partie. Les nouvelles autorités estiment que les tests ont été organisés par un gouvernement illégitime. Pourtant ces tests ont été programmés des mois avant les élections. Ce ne devrait donc pas être une question politique mais d’administration qui, dit-on, est une continuité. Est-ce soutenir un gouvernement que de se présenter à un test de recrutement programmé par l’Etat depuis longtemps ?
La réconciliation peut paraître comme une vue de l’esprit dans les zones rurales productrices de café et de cacao si le prix du kilogramme n’est pas relevé. En effet, ce prix a chuté au même moment que l’ex-chef de l’Etat Laurent Gbagbo. Il est passé de 1000F à 250F CFA. Pourtant sur le marché mondial, il reste encore autour de 1800. Les zones de production se trouvent en grande majorité dans les départements acquis au président déchu. Et là-bas les Frci règnent en véritables hors-la loi. Elles terrorisent les populations. Cette situation en rajoute à leur détresse des populations. Si le nouveau régime a des raisons pour fixer ce prix dérisoire, il lui faut les expliquer aux paysans. Ne le faisant pas, les pauvres paysans ne font que murmure. Les messages de réconciliation à leur endroit n’ont pas de chance de passer. Les énergies ne peuvent être libérer pour inciter à plus d’ardeur au travail. Pourtant, l’économie du pays dépend grandement du monde paysan. La relance économique pourrait donc mettre du temps à se réaliser.
Autant dire que la réconciliation est mal partie. Avec des actes et des projets peu galvaniseurs. Avec la dénomination de la structure chargée de conduire la réconciliation. Le mot pardon aurait été associé à ‘’dialogue, justice et réconciliation’’ que le projet serait plus mobilisateur. Même le choix du président de cette structure est sujet à polémique. Ancien premier ministre pendant la crise née de la rébellion armée, Charles Konan Banny n’est pas un simple militant du RHDP, la coalition politique ayant soutenu le candidat Ouattara. Il a activement fait campagne pour l’actuel Chef de l’Etat. Peut-il alors s’élever aux dessus des positions partisanes ? Rien n’est moins sûr. Seulement tous doivent savoir que la crise qui secoue le pays 1999 a causé des injustices et des frustrations. La destruction du tissu social et des leviers économiques est très grave. Il en faut donc plus que l’endettement. Si l’on n’y prend garde, les pluies de milliards tariront sans que le pays se relève. Ce qu’il faut, ce sont des actes forts qui rencontrent l’adhésion populaire et pensent les plaies. Non des mesures discriminatoires. Il faut la loyauté et non la démagogie et l’hypocrisie. Mettre fin à la liste des mécontents, tel devrait être le souci premier des autorités. Organiser une justice contre les seuls partisans de M. Laurent Gbagbo ne peut pas guérir la Côte d’Ivoire. Prôner la justice sans le pardon pue le souffre de la vengeance. La sagesse chinoise enseigne que celui qui a soif de vengeance doit creuser d’abord deux tombes : une pour son ennemie et une autre pour lui-même. Or dans le cas d’espèce, il ne s’agit pas de deux individus dans un duel. Il s’agit de l’avenir de la Côte d’Ivoire. Et s’il y a une tombe à creuser, elle ne serait que celle de la Côte d’Ivoire.

Source : Notre voie du 24/06/2011 (Auteur : autres)

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