Dans sa petite Église de Réveil de Matadi, dans la province du Bas-Congo (sud-ouest de Kinshasa), un pasteur exhorte ses fidèles. “Chers frères et sœurs, si vous voulez que 2012 soit une année prospère pour vous, semez ! Je prierai pour vous !”
Dans le jargon des Églises évangéliques de la Rd Congo, “semer” signifie “donner de l’argent ou un bien matériel à son Église”. Lors des prêches, les pasteurs de ces Églises en ont fait un refrain, voire une exigence. “L’or et l’argent appartiennent à Dieu, répètent-ils sans cesse à leurs ouailles. Et si vous lui donnez ces richesses, Il vous les rendra au centuple et résoudra vos problèmes.”
Dans un pays où plus de 70 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté (avec moins d’un dollar par jour), ce discours fait mouche. Des centaines de milliers de fidèles, surtout les plus pauvres, sont séduits par ce soi-disant “évangile de la prospérité”.
Ils se pressent sur les bancs de ces Églises dans l’espoir de sortir de la pauvreté et de trouver des solutions à leurs multiples problèmes. “Dieu va agir”, croit dur comme fer Dorcas Mbanzulu, une habitante de Matadi, qui n’a pas hésité à “semer”.
Fin 2011, elle a remis un congélateur à son pasteur. “Quelle naïveté !”, s’exclame Bibiane Makwala, sa voisine, à qui elle confie désormais la conservation de ses vivres frais.
Appauvrir au nom de Dieu
Dans les rangs de ceux qui se font appeler “hommes de Dieu”, on explique que cette pratique date des temps anciens. “La Bible parle même de donner la semence”, argumente Damien Lukoki, président provincial des Églises de Réveil du Congo.
Argent, maisons, voitures, bijoux : tout y passe, surtout de la part des plus fortunés qui espèrent, eux, accumuler davantage de richesses. Certains fidèles sont parfois obligés de se débarrasser de biens de valeur, parce que le pasteur aurait décelé en eux “des mauvais esprits”.
Mais, “on retrouve des fois ces bijoux au cou de leurs épouses”, s’étonne Papy Makiese, qui a interdit à sa femme d’en porter quand elle va à la prière.
Les gens aux revenus modestes, les sans-emploi, les malades, ceux qui aspirent à voyager… sont cependant les plus nombreux à remplir ces Églises. Ils n’hésitent pas à donner le peu d’argent qu’ils possèdent, car ils ne doutent pas de voir un jour le miracle s’accomplir et de gagner au centuple ce qu’ils ont “semé”.
Les femmes sont les plus nombreuses à y croire. Soutiens précieux de leurs ménages, celles qui se débrouillent au quotidien, en faisant notamment le petit commerce de rue, remettent souvent leur maigre bénéfice du jour aux pasteurs dans l’espoir de voir leurs petites affaires prospérer. Dans la plupart des cas, le miracle promis ne se réalise pas !
Sociologue, Matthieu Bianluanga estime que ces pratiques ont aujourd’hui perdu tout leur sens. À cause de la pauvreté, “les pasteurs jouent sur la crédulité des fidèles pour leur soutirer leurs biens”, affirme-t-il.
Un point de vue partagé par un prêtre catholique du diocèse de Boma, dans le Bas-Congo : “S’il est normal d’apporter des dons à l’Église, il ne faut pas que certaines gens se cachent derrière le verbe ‘semer’ pour les rançonner.”
Ruinés jusqu’au bout
Après avoir tant “semé” et rien récolté, beaucoup finissent, au bout d’un moment, par se retrouver ruinés, encore plus pauvres qu’avant. Les plus naïfs, qui ne se découragent pas, vont d’une Église à l’autre. Car, “si ton Dieu est mort [ne fait rien pour toi, Ndlr], essaye le mien”, leur dit un chant religieux.
Une rivalité s’est ainsi installée entre ces Églises qui se disputent les fidèles et éclatent les unes après les autres, surtout en raison d’histoires d’argent.
Pour ne plus dépendre que d’eux, certains “petits” évangélistes quittent leur “maison mère” et s’en vont prêcher dans la rue ou dans des bus. “Vous allez parcourir 350 km sur ce tronçon dangereux.
Le Dieu qui vous a donné le souffle de la vie va encore vous garder. Qui peut semer 20 $ pour que je lui impose les mains”, lançait ainsi un prédicateur après s’être présenté aux voyageurs d’un bus Kinshasa-Matadi, comme un “homme par qui Dieu opère des miracles”, celui de la multiplication des billets de banque sans doute…
Nekwa Makwala
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