13 août 2012
Reportage: La région des Grands Lacs, dans l’est de la RDC, est confrontée à un nouveau mouvement rebelle, soutenu par le Rwanda voisin. Plus de 200 000 personnes ont fui les combats.
Par SOPHIE BOUILLON Envoyée spéciale à Goma
Le ciel de Goma grondait depuis plus de vingt-quatre heures, dans l’indifférence. Puis, ce matin, l’orage s’est abattu sur les maisons. A chaque éclair, les fenêtres tremblaient comme sous l’éclat des bombes. Sous des rafales de pluie, les rues se sont vidées et la ville s’est arrêtée de tourner comme si, d’un seul coup, on se souvenait d’une autre menace : l’arrivée des rebelles.
Le mouvement du M23, qui a fait défection de l’armée congolaise (FARDC) en avril, n’est qu’à une vingtaine de kilomètres de la capitale régionale du Nord-Kivu. Mais les rebelles n’avancent plus, le ciel s’est éclairci et la vie a repris son cours. Seuls les villageois qui s’entassent aux abords de la ville portent le message de la guerre.
Ils seraient plus de 220 000, selon l’ONU, à avoir fui les combats depuis le mois d’avril. A Goma, 30 000 «déplacés» ont posé leur balluchon sur un terrain vague au pied du volcan. Ici, ils n’ont rien, sauf peut-être la sécurité.
Le choléra se répand comme un feu de paille : Médecins sans frontières a installé trois tentes au milieu du camp et a dénombré 178 cas en moins de dix jours. Le week-end dernier, du matériel a dû être acheminé d’urgence pour se préparer au pire. «Compte tenu des conditions sanitaires, l’épidémie de choléra peut rapidement exploser», confie un médecin de MSF en poste à Goma.
Guerres. Derrière la petite clinique, Sylvie a étalé un morceau de tissu. A 62 ans, son corps fatigué dort à même le sol et sous la pluie. Elle a connu de nombreuses guerres depuis 1998, mais c’est la première fois qu’elle doit quitter sa maison de la petite ville de Rutshuru. «Il était 4 heures du matin, j’étais à l’église quand nous avons entendu les tirs. J’ai pris peur et j’ai fui, sans réfléchir. Je n’avais rien, que mes habits et ma Bible.»
Bintu aussi est prisonnier de ce camp de réfugiés. Alors qu’il travaillait dans ses champs de canne à sucre avec cinq autres camarades, des soldats les ont obligés à les suivre pour attaquer la ville.
«Ils nous ont ordonné d’ouvrir la marche, affirme-t-il, le regard posé sur la poussière. Ils nous ont mis en première ligne, parce que nous ne savons pas combattre.»
Après une semaine à leurs côtés, il a réussi à s’échapper et à rejoindre le camp des civils. «Nous ne voulons pas rentrer, les M23 terrorisent les gens et pillent nos récoltes», poursuit Bintu. Autour de lui, une vingtaine de personnes écoutent. Et acquiescent. Ils connaissent trop bien cette histoire, qui se répète sans cesse depuis quinze ans.
Stratégique. Le M23 est la nouvelle version d’un ancien groupe armé, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), dont les combattants avaient été intégrés dans les forces armées congolaises le 23 mars 2009 suite à un accord passé avec le gouvernement de Kinshasa. Trois ans plus tard, cette alliance bancale entre les ennemis d’hier n’a pas résisté.
Le colonel Vianney Kazarama, porte-parole du mouvement rebelle, répète en boucle ses revendications : «Nous voulons une bonne gouvernance. Il n’y a pas de route en république démocratique du Congo, pas d’eau, pas d’électricité.
Les instituteurs n’ont pas de salaire, les médecins n’ont pas de salaire, les militaires gagnent 50 dollars [40 euros, ndlr] par mois.» Il faut donc faire peur, menacer de prendre Goma, pour «forcer le gouvernement à négocier, réunir la société civile et voir ce qui ne va pas dans le pays». Voici pour la raison officielle.
Les autres sont beaucoup moins altruistes. Le président congolais, Joseph Kabila, menaçait de livrer leur ancien commandant, le général Bosco Ntaganda, à la Cour pénale internationale ainsi que de disperser les anciens soldats du CNDP dans tout le pays. Eux voulaient continuer à contrôler le Nord-Kivu, un endroit stratégique au cœur de la région des Grands Lacs.
Ces collines verdoyantes, où alternent plantations de café et de bananiers, nourrissent l’est du Congo. Et c’est sans compter la richesse du sous-sol, qui regorge de minerais.
Le colonel Kazarama, l’un des membres fondateurs du mouvement rebelle, a beau dénoncer «le pillage des ressources par l’armée congolaise», ses compagnons d’armes détenaient les plus grandes exploitations d’or et de cassitérite (minerai qui sert dans la fabrication d’objets électroniques) de la région.
Tout juste un an avant la défection du M23, Kinshasa a cédé à la pression des multinationales (Apple, Microsoft, Motorola…) et a exproprié leurs forteresses dorées.
Le Rwanda et l’Ouganda, les pays voisins avec qui les ex-dirigeants du CNDP faisaient affaire dans ce commerce de minerais, ont été directement mis en cause, par un rapport des Nations unies, pour leur rôle dans la rébellion.
Les Etats-Unis, grands alliés du Rwanda, n’ont eu d’autre choix que de suspendre une partie de leur aide militaire au régime de Kigali (200 000 dollars sur les 500 000 accordés à un programme de formation).
La Banque mondiale pourrait également suspendre les 135 millions de dollars attribués au Rwanda, si l’UE et Washington votent dans ce sens. En visite la semaine dernière sur le continent africain, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a appelé le Rwanda à cesser de financer les rebelles et de déstabiliser le Kivu. Une première venant du gouvernement américain.
«Cette mesure est symbolique, analyse Fidel Bafilemba, consultant pour le projet Enough, qui a enquêté sur les "minerais de sang". Pour la première fois, le rôle du Rwanda est mis en avant et les langues commencent à se délier sur la scène internationale.»
Statu quo. Après des démonstrations de force musclées pendant tout le mois de juillet, la ligne de front entre le M23 et l’armée congolaise est stable. Le long de la piste défoncée, des dizaines de soldats gouvernementaux dorment sous des branchages ou des toiles en plastique.
Ils cuisinent, fument et arrêtent les camions pour récolter des «taxes». Des chars de la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Congo (Monusco) patrouillent entre les villages sans même que les gamins ne lèvent les yeux, ils jouent à la guerre et à la toupie. Les villageois qui n’ont pas fui s’affairent aux champs.
On passe dans les territoires occupés par les rebelles sans même s’en rendre compte. De l’autre côté d’une barrière construite avec un simple tronc d’arbre, les M23 portent les mêmes uniformes, les mêmes bérets kaki.
Seules leurs armes portées avec fierté sont de meilleure qualité. Ils pourraient prendre Goma sans peine. «Les M23 n’ont pas avancé depuis une semaine, explique Koumbo Sy, chef de l’information publique de la Monusco. Ils sont en difficulté et, visiblement, la pression internationale sur le Rwanda produit ses effets.»
Un statu quo qui pourrait bien s’éterniser. Les pourparlers engagés entre les chefs d’Etat de la région des Grands Lacs, mardi, n’ont pas abouti et ont été repoussés au 15 août. Ils n’ont pas réussi à mettre en place les contours d’une énième force neutre pour lutter contre les groupes armés de la région.
Les soldats congolais vivent dans la misère, ils n’ont ni les moyens techniques ni la motivation pour lutter contre les rebelles. Joseph Kabila, le président congolais, a certes l’appui de l’ONU, mais il semble traiter son peuple et ses militaires comme il gère son pays. Il les a oubliés.
Reportage: La région des Grands Lacs, dans l’est de la RDC, est confrontée à un nouveau mouvement rebelle, soutenu par le Rwanda voisin. Plus de 200 000 personnes ont fui les combats.
Par SOPHIE BOUILLON Envoyée spéciale à Goma
Le ciel de Goma grondait depuis plus de vingt-quatre heures, dans l’indifférence. Puis, ce matin, l’orage s’est abattu sur les maisons. A chaque éclair, les fenêtres tremblaient comme sous l’éclat des bombes. Sous des rafales de pluie, les rues se sont vidées et la ville s’est arrêtée de tourner comme si, d’un seul coup, on se souvenait d’une autre menace : l’arrivée des rebelles.
Le mouvement du M23, qui a fait défection de l’armée congolaise (FARDC) en avril, n’est qu’à une vingtaine de kilomètres de la capitale régionale du Nord-Kivu. Mais les rebelles n’avancent plus, le ciel s’est éclairci et la vie a repris son cours. Seuls les villageois qui s’entassent aux abords de la ville portent le message de la guerre.
Ils seraient plus de 220 000, selon l’ONU, à avoir fui les combats depuis le mois d’avril. A Goma, 30 000 «déplacés» ont posé leur balluchon sur un terrain vague au pied du volcan. Ici, ils n’ont rien, sauf peut-être la sécurité.
Le choléra se répand comme un feu de paille : Médecins sans frontières a installé trois tentes au milieu du camp et a dénombré 178 cas en moins de dix jours. Le week-end dernier, du matériel a dû être acheminé d’urgence pour se préparer au pire. «Compte tenu des conditions sanitaires, l’épidémie de choléra peut rapidement exploser», confie un médecin de MSF en poste à Goma.
Guerres. Derrière la petite clinique, Sylvie a étalé un morceau de tissu. A 62 ans, son corps fatigué dort à même le sol et sous la pluie. Elle a connu de nombreuses guerres depuis 1998, mais c’est la première fois qu’elle doit quitter sa maison de la petite ville de Rutshuru. «Il était 4 heures du matin, j’étais à l’église quand nous avons entendu les tirs. J’ai pris peur et j’ai fui, sans réfléchir. Je n’avais rien, que mes habits et ma Bible.»
Bintu aussi est prisonnier de ce camp de réfugiés. Alors qu’il travaillait dans ses champs de canne à sucre avec cinq autres camarades, des soldats les ont obligés à les suivre pour attaquer la ville.
«Ils nous ont ordonné d’ouvrir la marche, affirme-t-il, le regard posé sur la poussière. Ils nous ont mis en première ligne, parce que nous ne savons pas combattre.»
Après une semaine à leurs côtés, il a réussi à s’échapper et à rejoindre le camp des civils. «Nous ne voulons pas rentrer, les M23 terrorisent les gens et pillent nos récoltes», poursuit Bintu. Autour de lui, une vingtaine de personnes écoutent. Et acquiescent. Ils connaissent trop bien cette histoire, qui se répète sans cesse depuis quinze ans.
Stratégique. Le M23 est la nouvelle version d’un ancien groupe armé, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), dont les combattants avaient été intégrés dans les forces armées congolaises le 23 mars 2009 suite à un accord passé avec le gouvernement de Kinshasa. Trois ans plus tard, cette alliance bancale entre les ennemis d’hier n’a pas résisté.
Le colonel Vianney Kazarama, porte-parole du mouvement rebelle, répète en boucle ses revendications : «Nous voulons une bonne gouvernance. Il n’y a pas de route en république démocratique du Congo, pas d’eau, pas d’électricité.
Les instituteurs n’ont pas de salaire, les médecins n’ont pas de salaire, les militaires gagnent 50 dollars [40 euros, ndlr] par mois.» Il faut donc faire peur, menacer de prendre Goma, pour «forcer le gouvernement à négocier, réunir la société civile et voir ce qui ne va pas dans le pays». Voici pour la raison officielle.
Les autres sont beaucoup moins altruistes. Le président congolais, Joseph Kabila, menaçait de livrer leur ancien commandant, le général Bosco Ntaganda, à la Cour pénale internationale ainsi que de disperser les anciens soldats du CNDP dans tout le pays. Eux voulaient continuer à contrôler le Nord-Kivu, un endroit stratégique au cœur de la région des Grands Lacs.
Ces collines verdoyantes, où alternent plantations de café et de bananiers, nourrissent l’est du Congo. Et c’est sans compter la richesse du sous-sol, qui regorge de minerais.
Le colonel Kazarama, l’un des membres fondateurs du mouvement rebelle, a beau dénoncer «le pillage des ressources par l’armée congolaise», ses compagnons d’armes détenaient les plus grandes exploitations d’or et de cassitérite (minerai qui sert dans la fabrication d’objets électroniques) de la région.
Tout juste un an avant la défection du M23, Kinshasa a cédé à la pression des multinationales (Apple, Microsoft, Motorola…) et a exproprié leurs forteresses dorées.
Le Rwanda et l’Ouganda, les pays voisins avec qui les ex-dirigeants du CNDP faisaient affaire dans ce commerce de minerais, ont été directement mis en cause, par un rapport des Nations unies, pour leur rôle dans la rébellion.
Les Etats-Unis, grands alliés du Rwanda, n’ont eu d’autre choix que de suspendre une partie de leur aide militaire au régime de Kigali (200 000 dollars sur les 500 000 accordés à un programme de formation).
La Banque mondiale pourrait également suspendre les 135 millions de dollars attribués au Rwanda, si l’UE et Washington votent dans ce sens. En visite la semaine dernière sur le continent africain, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a appelé le Rwanda à cesser de financer les rebelles et de déstabiliser le Kivu. Une première venant du gouvernement américain.
«Cette mesure est symbolique, analyse Fidel Bafilemba, consultant pour le projet Enough, qui a enquêté sur les "minerais de sang". Pour la première fois, le rôle du Rwanda est mis en avant et les langues commencent à se délier sur la scène internationale.»
Statu quo. Après des démonstrations de force musclées pendant tout le mois de juillet, la ligne de front entre le M23 et l’armée congolaise est stable. Le long de la piste défoncée, des dizaines de soldats gouvernementaux dorment sous des branchages ou des toiles en plastique.
Ils cuisinent, fument et arrêtent les camions pour récolter des «taxes». Des chars de la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Congo (Monusco) patrouillent entre les villages sans même que les gamins ne lèvent les yeux, ils jouent à la guerre et à la toupie. Les villageois qui n’ont pas fui s’affairent aux champs.
On passe dans les territoires occupés par les rebelles sans même s’en rendre compte. De l’autre côté d’une barrière construite avec un simple tronc d’arbre, les M23 portent les mêmes uniformes, les mêmes bérets kaki.
Seules leurs armes portées avec fierté sont de meilleure qualité. Ils pourraient prendre Goma sans peine. «Les M23 n’ont pas avancé depuis une semaine, explique Koumbo Sy, chef de l’information publique de la Monusco. Ils sont en difficulté et, visiblement, la pression internationale sur le Rwanda produit ses effets.»
Un statu quo qui pourrait bien s’éterniser. Les pourparlers engagés entre les chefs d’Etat de la région des Grands Lacs, mardi, n’ont pas abouti et ont été repoussés au 15 août. Ils n’ont pas réussi à mettre en place les contours d’une énième force neutre pour lutter contre les groupes armés de la région.
Les soldats congolais vivent dans la misère, ils n’ont ni les moyens techniques ni la motivation pour lutter contre les rebelles. Joseph Kabila, le président congolais, a certes l’appui de l’ONU, mais il semble traiter son peuple et ses militaires comme il gère son pays. Il les a oubliés.
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