jeudi 23 août 2012

RDC : dix points clés pour comprendre la guerre au Nord-Kivu


Rue89 
Explicateur 22/08/2012
Charlotte Cosset | Journaliste


Des soldats roulent vers Goma, le 4 août 2012 (MICHELE SIBILONI/AFP)

(De Goma) Depuis le mois d’avril, le mouvement rebelle du M23 a relancé le cycle de guerre à l’est de la République démocratique du Congo.

La dernière s’est terminée il y a à peine quatre ans. Des morts et des déplacés se comptent désormais encore par centaines.

C’est aujourd’hui un nouveau conflit de personnalités mais aussi une guerre politique et économique.

Pourquoi une nouvelle guerre à l’est de la RDC ?

Le déclencheur officiel de cette nouvelle guerre est la formation d’un groupe de rebelles, le M23. Une force armée qui mène des combats à l’est de la République Démocratique du Congo depuis le mois d’avril.

Ce mouvement est composé de Congolais en majorité tutsis appuyés par le Rwanda selon un rapport officiel de l’ONU. Ces Tutsis revendiquent la nationalité congolaise qu’ils obtiennent sous la présidence de Mobutu en 1972. Malgré cela, certains restent attachés à leur origine ethnique et ne s’assimilent pas réellement au pays.

Les revendications du M23


Depuis 2009, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), un groupe armé devenu parti politique, est un allié de la majorité présidentielle. Ils travaillent ensemble dans le cadre de la recherche de la paix face à l’insécurité qui règne encore dans l’est du pays.

Le 23 mars 2009, le CNDP et Joseph Kabila, Président élu depuis 2006, signent des accords à Goma. Le chef de l’Etat s’engage à intégrer les rebelles dans l’armée régulière, à reconnaître leur grade et à intégrer le CNDP dans le gouvernement. Après la reconduction du mandat de Kabila en novembre dernier, le CNDP dénonce le non-respect des accords pris.

De ce nouveau parti politique émane alors le M23 (mouvement du 23 mars), une faction armée qui souhaite voir les engagements pris avec Joseph Kabila, respectés. C’est le début d’une nouvelle guerre en RDC. Paradoxalement, en 2009, le CNDP était incorporé dans l’armée régulière.

La première revendication du M23 est donc le respect des accords du 23 mars. D’autres demandes sont venues ensuite se rajouter :
  • le retour des réfugiés Tutsis qui sont au Rwanda et en Tanzanie, par exemple ;
  • la protection du peuple Tutsi contre le FDLR (groupe armé Hutu qui menace les Tutsis).
Une partie de la population craint que les rebelles souhaitent l’annexion du Kivu et d’une partie des régions alentours. Leur objectif serait alors que les Tutsis disposent d’une terre à eux. Une sorte de « Tutsiland ».

Il y a deux semaines, l’éclaircissement des conditions d’élections de Joseph Kabila, soupçonné d’avoir remporté les élections grâce à des fraudes, est venu compléter cette longue liste.

La délicate situation de Joseph Kabila

Lors de la mue du CNDP groupe armé en parti politique, Joseph Kabila est proche de Bosco Ntaganda, une figure influente du mouvement. Mais depuis le 13 juillet 2012, la Cour pénale internationale (CPI) a déposé un deuxième mandat d’arrêt contre l’ancien général et soutien du président fraîchement réélu.

Joseph Kabila se trouve donc pris tiraillé entre la pression internationale qui pèse contre Bosco Ntaganda et la difficulté d’abandonner son allié. Ceci explique la politique floue qu’il mène vis-à-vis du M23 depuis le mois d’avril.

Pourtant, face à la pression internationale, Joseph Kabila lâche son allié et demande son arrestation pour qu’il soit « jugé en RDC ».

Sans soutenir la guerre du groupe armé, il n’affirme pas officiellement la lutte contre cette rébellion.
La Conférence internationale sur la région des grands lacs (CIRGL), qui existe depuis 2000, a été relancé suite à cette nouvelle guerre.

En tant que président de la République, beaucoup attendaient une prise de position forte et engagée contre les rebelles. Aujourd’hui Kabila est dans une situation difficile. Il ne peut pas renier le M23 qui l’a largement soutenu lors des élections mais il ne peut pas justifier leur rébellion compte tenu des exactions effectuées.

 

Le rôle du Rwanda dans cette guerre

Selon un rapport de l’ONU, le M23 est soutenu principalement par le gouvernement rwandais et plus minoritairement ougandais. Une grande partie des membres du M23 sont des Congolais d’origine rwandaise. Kigali se montre solidaire envers eux.

Mais ce n’est pas uniquement par sympathie ethnique que le Rwanda soutien cette rébellion. Kigali a de grand intérêts à maintenir une situation d’insécurité dans la zone Est du Congo.

Mis à part la satisfaction de voir la RDC déstabilisée, le Rwanda voit ses intérêts économiques. L’instabilité à la frontière facilite les trafics et notamment ceux de minerais comme la cassitérite.

 Elle est rare et nécessaire à la fabrication de téléphones portables. La guerre facilite aussi le passage de toutes sortes de marchandises comme le bétail.

Où se déroulent les combats ?

Kivu, zone de richesse


La zone instable concernée par la guerre à l’est du Congo est la région du Kivu intégrée dans la région des grands lacs. Cette zone est frontalière avec le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda et la Tanzanie.

Les combats ont lieu principalement dans le Nord du Kivu, une terre aux enjeux économiques très importants. Elle dispose de grandes ressources minières notamment l’or, la cassitérite et le pétrole.

Cette région est aussi riche en gaz méthane présent naturellement dans le lac Kivu. Les richesses agricoles de cette terre fertile sont aussi très convoitées.

Ouvertement, le M23 ne brigue pas les enjeux économiques de cette région.

Positions du M23


Actuellement, le M23 est basé à Kibumba, à 25 km au Nord de Goma. Une présence proche de la capitale du Nord-Kivu qui inquiète. Si Goma tombait, l’administration de la région serait officiellement dans les mains des rebelles.

Ce serait une nouvelle phase dans la guerre contre le M23 qui aurait toutes les cartes en main pour « balkaniser » le Congo, comme le craint l’opinion nationale.

Néanmoins, ils tiennent cette position depuis plus de trois semaines alors que rien ou presque ne les empêcherait de marcher sur Goma. Beaucoup d’habitants et d’observateurs expliquent que les rebelles sont déjà dans la ville. Ils y auraient installés leurs familles, raison de plus pour ne pas créer un conflit sanglant à Goma.

Quels sont les groupes armés qui sévissent à l’est de la RDC ?

De nombreuses « forces négatives », comme les appellent Kinshasa, sévissent à l’est de la RDC en plus du M23. Elles participent directement ou indirectement aux combats économiques et politiques en jeu en RDC. Difficile d’en faire une liste exhaustive.

Il y a des groupes officiels qui ont des revendications et il existe autour une nébuleuse de bandits qui profitent et participent à l’instabilité en pillant et tuant.

Parmi les groupes clairement présentés, il y a les Maï-Maï qui compte lui-même plusieurs factions en son sein. A l’origine, ce sont des autochtones qui se battent pour la défense de leur terre. Mais dans un Etat de droit qui dispose d’une armée officielle, Kinshasa ne peut pas accepter de telles forces.

Parmi ces groupes on retient aussi les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), des rebelles rwandais hutus basés à l’est du Congo depuis 1994. Aujourd’hui, ils sont régulièrement responsables d’atrocités principalement en RDC.

Ces différents groupes armés selon l’ONU et les ONG n’hésitent pas à mutiler, à tuer, à violer et à enrôler les enfants et les jeunes dans leurs bandes armées.

A qui profite cette guerre ?

L’armée régulière : le FARDC


Près de Goma, des FARDC armés, sur un pickup, le 13 août 2012 (Jerome Delay/SIPA)

L’est de la RDC est un territoire où les accès sont difficiles. Les routes sont quasi inexistantes, coupées par des zones de forêts denses. Des groupes de l’armée régulière sont fixés dans les villes, les villages et les zones rurales. Celles-ci étant peu accessibles, ils deviennent maîtres sur leur territoire.

Les officiers de l’armée profitent alors des richesses agricoles et minières, instaurent des taxes, des droits de passage. La justification de la présence des soldats dans les différentes contrées : protéger les populations des rébellions.

Sauf qu’ils s’enrichissent sur le dos des habitants et n’ont pas intérêt que la guerre s’arrête.
Certains observateurs avancent même qu’une partie de l’armée serait aux mains des Tutsis.

Chiffres avancés : neuf généraux sur une trentaine seraient des Congolais tutsis.

Les hommes politiques


Les politiques aussi trouvent leur intérêt. Détachés du pouvoir central, ces chefs de région s’accordent avec l’armée, posent eux aussi leurs taxes, touchent des pourcentages sur les ressources de leur territoire. En cas d’arrêt de la guerre, ce genre de comportement ne serait plus possible.

Kinshasa aujourd’hui impose difficilement sa voix dans l’Est-Kivu. Depuis le début de la guerre Joseph Kabila ne s’est pas rendu par exemple à Goma. Un signe fort d’abandon selon certains.

Les ONG


Les ONG sont implantées depuis de très nombreuses années à Goma et plus largement à l’est du pays. Leur présence est parfois remise en question par les populations locales. Selon elles, il n’est pas dans l’intérêt de la Monusco et des autres organisations que la guerre cesse. Un retour au calme signifierait la fin des missions.

Les multinationales


Les plus concernés économiquement dans cette guerre internationale sont sans doutes les multinationales.
Le documentaire « Blood in the Mobile », dénonce le cercle vicieux dans lequel sont impliquées les grosses firmes.

Le réalisateur, Frank Piasecki Poulsen, s’est intéressé au cas de Nokia qui a de gros intérêts dans les mines de cassitérite à Walikale. Il n’a pu trouver de preuves concrètes de l’implication de la firme internationale cependant de lourds soupçons pèse sur elle.

Les entreprises profitent en général de l’instabilité pour acheter les minerais à pris bas. Minerais qu’ils utilisent dans la fabrication de leurs téléphones par exemple. Des bénéfices tirés, les observateurs supposent qu’une partie est réinvestie dans l’armement pour soutenir l’instabilité dans la région.

Que fait la communauté internationale ?

La communauté internationale est pour l’instant bien silencieuse. Ça va bientôt faire vingt ans… Les seules actions concrètes sont l’envoi d’humanitaires (Médecins sans frontière, La Croix Rouge, Handicap International…) dès les premières années de conflit dans l’est du Congo.

Goma est devenu un nid d’organisations humanitaires et est peut-être le deuxième employeur de la ville après l’Etat. Néanmoins, leur action concrètement constatable sur le terrain semble limitée. Les réfugiés du camp de Kanyarushinya à la périphérie de Goma n’ont bénéficié en deux semaines que d’une distribution de biscuits.

La communauté internationale est aussi présente militairement avec la Monusco : 17 000 casques bleus bien armés sont présents dans la zone est. Néanmoins, leur mandat les limite à un rôle défensif.

Quel est l’état des forces en présence ?


Un soldat FARDC en juin 2012 (Serge Kasanga, Monusco)
 
Le bilan des forces, que ce soit du côté de l’armée régulière FARDC ou du côté des rebelles du M23, est difficile à évaluer. L’armée ne souhaite pas communiquer à ce sujet. Secret militaire.

De ce que l’on peut constater, le FARDC ne semble pas en position de force. L’Etat n’a pas payé ses soldats depuis plusieurs mois.

Selon les missions humanitaires, il y aurait beaucoup d’exactions commises par le FARDC dans les zones de combat et notamment des pillages qui peuvent être reliés à cette pauvreté.

A Goma, devant le huitième régiment, tous les midis, les femmes des soldats viennent réclamer la solde de leur mari. Les soldats sont aussi peu voire mal équipés. L’armée à l’est n’est pas une armée de métier expérimentée mais elle est composée de beaucoup de jeunes hommes venus pour le prestige de l’uniforme.

Le commandement des différentes unités n’est pas toujours détenu par des hommes compétents, il est simple d’acheter son grade.

Du côté du M23, il n’est pas beaucoup plus aisé de réaliser un bilan précis de la force de frappe. Néanmoins, les rebelles sont soutenus par le Rwanda et le Burundi selon des rapports de l’ONU. J

ean-Louis Ernest Kyaviro, porte-parole du gouverneur du Nord-Kivu, déclare que des véhicules, des hommes et des armes passent régulièrement la frontière pour augmenter les forces du M23.


Des soldats FARDC sur le front à l’est de la RDC, en juin 2012 (Serge Kasanga, Monusco)

La population, première victime

Cette guerre a principalement des conséquences sur les civils. Les plus visibles sont évidemment les morts dont on ne possède aujourd’hui aucun bilan. Thomas d’Aquin Mwiti, responsable de la société civile du Kivu, annonce l’estimation de 350 000 déplacés depuis le début des conflits. Rien que dans le camp de Kanyarushinya, les autorités recensent 13 600 réfugiés.

Ces déplacements de populations ne sont pas sans conséquences. Les réfugiés vivent dans des conditions très difficiles. A Kanyarushinya, ils n’ont pas accès à l’eau potable et les conditions sanitaires sont particulièrement inconfortables, 28 latrines pour l’ensemble du camp.

La guerre affecte aussi l’économie locale. Le prix des denrées alimentaires augmente fortement notamment du fait que le Rushuru, la région agricole, ne fournit plus de céréales à cause des combats sur le territoire et du départ des agriculteurs. Les prix augmentent du fait du manque mais aussi de la taxation des différents produits par l’armée et les autorités en transit.

Les habitants de l’est sont aussi touchés par un chômage massif. Ces différents éléments exacerbent la pauvreté globale des populations.

Une Force internationale neutre, pour faire quoi ?

Après Campala, le Comité international de la région des grands lacs (CIRGL) s’est réuni à Goma pour décider des conditions de la création d’une Force internationale neutre.

L’idée est de créer une nouvelle force armée afin de soutenir les casques bleus pour mâter la rébellion du M23 et pour éliminer l’ensemble des forces négatives sur tout le territoire est.

Après trois jours de négociations entre experts, chefs d’armés et ministres, il s’est décidé qu’une force de 4 000 hommes sera créée pour stabiliser la frontière à l’Est de la RDC. Afin d’assurer sa neutralité, il a été décidé qu’elle ne comporterait pas de soldats congolais, rwandais, ougandais et burundais.

Quels pays enverront donc des hommes ? Les autres Etats de la région des grands lacs, soit le Congo-Brazzaville, l’Angola, le Kenya, le Soudan, la Centrafrique, la Tanzanie et la Zambie.

Ntuba Lwaba, Secrétaire éxécutif de la CIRGL, rappelle que la porte est ouverte à tous ceux qui souhaiteraient aider le Congo.

Deux mois pour que la force soit sur le terrain


Cette force devrait être financée par l’ONU et l’Union Africaine. Le CIRGL s’est donné un mois pour que cette force soit sur le terrain. Les experts ont préparé un document pour une action rapide, urgente et efficace pour la cessation des hostilités a annoncé Ntuba Lwaba. Un délai très optimiste, vu la logistique nécessaire à la création d’une telle armée.

Une Force internationale neutre qui rend dubitatif plus d’un. Plusieurs manifestations ont eu lieu devant l’hôtel Ihusi, où se tenait le sommet, afin de réclamer l’élargissement du mandat de la Monusco plutôt que l’envoi d’une énième force armée sur le territoire congolais.

Les jeunes, les femmes sont venus rappelés aux hommes politiques que les conséquences de leurs décisions affectent la population.


« Non à la balkanisation » : manifestation de femmes devant l’hôtel Ihusi, à Goma, le 16 août 2012 (Charlotte Cosset)

Certains observateurs critiquent aussi cette force neutre. Le choix du stationnement des soldats notamment. Rushuru, Walikale, Masisi, Béni ne son pas à la frontière. Alors que les yeux étaient tournés vers Goma et l’hôtel Ihusi, la guerre continue. Dans la nuit du 15 au 16 août, « neuf jeep ainsi que des hommes sont passé vers le Rushuru », affirme-t-il. Une guerre aux multiples acteurs et enjeux.

Aujourd’hui la fin de l’instabilité dans un temps court en RDC paraît compliqué tant les implications sont grandes. Le début du retour au calme devra certainement passer par une politique volontariste de la part de l’Etat congolais et de la population.

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