samedi 8 septembre 2012

Angola: les leçons cachées d'un pays qui change

L’ancienne colonie portugaise vient d’organiser les troisièmes élections depuis son indépendance en 1975. La victoire du président José Eduardo dos Santos et son parti, en place depuis 33 ans, cache des signes d'insatisfaction croissante de la population.

Plage à Luanda, le 2 septembtre 2012. REUTERS/SIPHIWE SIBEKO
 
A Luanda, la capitale de l’Angola, la vie reprend son cours après les élections générales du 31 août 2012. Les vendeuses de fruits et légumes sont de retour sur les trottoirs, les candongueiros, taxis collectifs bleus et blancs, envahissent à nouveau les rues et les enfants vont retourner à l’école la semaine prochaine. 
 
Seuls quelques signes témoignent encore du scrutin passé: les quelques drapeaux des partis politiques qui habillent encore les rues et les tee-shirts et casquettes neufs distribués par ces derniers et portés par les habitants.

Ces élections générales angolaises, les deuxièmes seulement depuis l’arrivée de la paix dans le pays en 2002, se sont déroulées dans le calme. Pas d’incidents, pas de files d’attente interminables devant les bureaux de vote, pas de déclarations tonitruantes des partis en compétition. Et le résultat, encore provisoire pour le moment, a été sans surprise.

Le parti du président José Eduardo dos Santos a remporté une large victoire, en récoltant près de 72 % des suffrages, ce qui lui assure un nouveau mandat de cinq ans à la tête de l’Angola et les deux-tiers des députés à l’Assemblée nationale.

Le MPLA a fait le plein dans les provinces rurales


Même moins spectaculaire qu’en 2008, où le MPLA avait raflé près de 81 % des suffrages, ce résultat confirme la suprématie du MPLA dans la vie politique angolaise.

Facile lorsque l’on est au pouvoir depuis plus de trente ans avec le contrôle des médias, de la justice, de l’armée et des finances publiques disent les partis de l’opposition.

Reste que le MPLA a mené une campagne électorale de mains de maître: un blog flambant neuf avec des séances de questions-réponses en ligne, une mobilisation impressionnante des comités de quartier sur l’ensemble du territoire et une semaine de déplacements du président dans les provinces les moins favorables comme Cabinda et Huambo.

Une stratégie qui a payé. Le MPLA a fait le plein dans les provinces rurales, son bastion électoral, avec des scores implacables. Dans le sud du pays, il a ainsi remporté respectivement 84 et 85% des suffrages dans les provinces de Huila et du Namibe, avec un record de 92% dans celle très reculée du Cunene.

Et, dans les provinces normalement plus disputées, le MPLA affiche de bons résultats, avec 68% des voix à Huambo, ancien fief de l'opposition de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), et 60% dans l’enclave de Cabinda.

La politique de reconstruction des infrastructures du pays, mise en avant du matin au soir pendant la campagne, et la figure puissante du chef de l’Etat, présentée sur des néons pendant la nuit dans la capitale angolaise, ont fait leur effet.
«José Eduardo dos Santos est la seule personnalité politique qui compte en Angola, personne n’a le même CV que lui dans le pays», soulignait avant le scrutin Markus Weimer, de l’Institut londonien Chatham House.

L'Unita, un opposant historique divisé 


Face à cette suprématie, l’opposition semble bien faible. Elle a  pourtant mené campagne aussi fort que possible. Le chef de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), Isaias Samakuva, a multiplié les rencontres avec tous les secteurs de la société, femmes, professeurs, militaires, jeunes… leur promettant un salaire minimum de 500 dollars par mois contre 150 actuellement.

L’opposant historique de dos Santos a parcouru le pays jusqu’au dernier moment, enchainant deux meetings de campagne en province le dernier jour avant de rentrer dare-dare à Luanda pour faire sa déclaration de clôture.

Des activités de campagne menées de front avec une pression continue exercée sur la commission nationale électorale, y compris par le recours à des manifestations, afin d’obtenir des élections transparentes.
Si elle dit ne pas avoir obtenu satisfaction sur ce point, l’Unita a tout de même presque doublé son score par rapport au dernier scrutin de 2008.

Le parti remporte 18,7% des suffrages contre seulement 10% il y a quatre ans. Et il affiche un joli 28% à Huambo ainsi que plus de 24% dans la capitale angolaise.

Problème: il s’agit de la deuxième défaite consécutive pour son leader depuis 2003. Déjà contestée au sein du parti, l’autorité d’Isaias Samakuva prend un nouveau coup et la question de sa succession va se poser. Dans un parti divisé et qui peine à se moderniser, elle pourrait bien semer la zizanie.

Une mutation pour l’Unita d’autant plus difficile que le parti doit faire face à un nouveau concurrent. Un ancien de ses cadres a en effet créé une nouvelle formation d’opposition en mars dernier, appelée Casa pour Convergence ample de libération de l’Angola.

Vieux de seulement cinq mois, le parti a réussi à ouvrir des sièges de campagne - des bâtiments entièrement jaunes, la couleur de Casa - dans toutes les provinces. Son chef, l’ancien cadre de l’Unita Abel Chivukuvuku, a bousculé les habitudes avec des promenades à pied dans les quartiers à la rencontre des habitants.

Une démarche qui a produit son effet. Casa arrive devant l’Unita dans deux provinces sur dix-huit, Namibe et Kwanza-Norte, et rassemble près de 13% des suffrages à Luanda. Au niveau national, le parti a récolté 6% des suffrages et devrait disposer de 10 députés au Parlement. Un résultat plus qu’honorable dans un paysage politique angolais figé depuis des décennies autour du duel Unita-MPLA.
«La virginité politique de Casa a attiré beaucoup de monde, des personnalités de la société civile mais aussi des enfants de dirigeants du MPLA», souligne un journaliste angolais.

Le plus gros changement, c'est l'abstention


Reste à savoir maintenant si le parti Casa peut assurer sa continuité une fois l’agitation de l’élection passée.
Au regard de ces constats, la bataille électorale devrait donc être de plus en plus accrochée. Elle l’a déjà d’ailleurs été cette année à Luanda. Symbole des possibles évolutions à venir, la capitale a voté à moins de 60% pour le MPLA, à presque 25% pour l’Unita et à près de 13% pour Casa.

Preuve que le discours sur le thème du changement parle à toute une nouvelle génération, qui n’a pas connu la guerre. Une génération seulement préoccupée par son avenir et appelée à devenir majoritaire dans le pays.

Viennent s’y ajouter les déçus du MPLA, aux profils divers: jeunes en recherche d’emploi ou de formation, mères de famille en difficultés, diplômés mal à l’aise avec les inégalités sociales.

Autre signe d’un changement à l’œuvre dans la société angolaise, l’abstention constatée lors du scrutin. Selon les chiffres officiels, elle atteindrait les 40%, un taux élevé pour un pays d’Afrique qui n’en est qu’à son troisième scrutin en presque 40 ans.

«Beaucoup de mes voisins ne sont pas allés voter car ils savent que leur bulletin ne changera rien au résultat, connu avant même le vote», confie Julia, 35 ans, rencontrée dans la rue. S’il est impossible de connaître l’ampleur de cet état d’esprit au sein de la population, ce dernier est bien présent.
«Plus d’un million de Luandais ne se sont pas déplacés le jour du vote, souligne Fernando Gamboa, historien angolais. Pour moi, c’est un indicateur clair de l’insatisfaction croissante dans le pays et le message important de ces élections.»
Estelle Maussion à Luanda
SlateAfrique

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire