lundi 24 décembre 2012

Isidore Kwandja Ngembo dénonce les « stratégies de manipulation de masses » aux négociations « Kinshasa-M23 »

samedi 22 décembre 2012


L’analyste des politiques publiques Isidore Kwandja Ngembo, ancien conseiller à la direction Afrique centrale au Ministère des affaires étrangères et du Commerce internationale du Canada, dénonce les « stratégies de manipulation de masses » qui caractérisent les négociations en cours à Kampala (Ouganda) entre le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) et le M23, dans une réflexion transmise samedi 22 décembre à lepotentielonline.com.

Pour mieux comprendre les enjeux des négociations de Kampala sous l’égide de la présidence en exercice de la CIRGL assumée par l’Ouganda, et les résultats auxquels les Congolais vont devoir faire face dans les jours à venir, Isidore Kwandja évoque les « dix stratégies de manipulation de masses » du linguiste et philosophe américain Chomsky, professeur émérite au Massachusetts Institute of Technology (MIT).

Pour ceux qui ne l’on pas encore lu, Chomsky est un militant qui a toujours lutté, par ses écrits, pour un monde juste. Ici, il ne s'adresse pas aux élites politiques et intellectuelles congolaises qui savent très bien ce qui se passe à l'Est de la RDC, qui peuvent bien parler librement et informer leur population, mais qui ont choisi de se taire pour des intérêts personnels. Ceux qui osent en parler, ne font que de la diversion.

« Les propos de l’auteur s’adressent aux Congolais ordinaires qui ont besoin d'être mieux informés sur les enjeux et les conséquences pour l’avenir de leur pays. Et qui ne doivent pas se laisser berner par de fausses évidences et des discours des élites politiques et intellectuelles qui ne font pas assez pour protéger la souveraineté et l’intégrité territoriale » », explique-t-il.

Et ces stratégies n’ont qu’un seul objectif : distraire les Congolais, laisser dégrader la situation à l’Est du pays, garder le peuple dans l'ignorance et la médiocrité pour qu’il finisse par se culpabiliser et accepter qu’on lui impose un plan de balkanisation savamment organisé par certaines puissances régionales soutenues par certaines puissances internationales avec la complicité de certaines élites nationales.

Elles correspondent exactement avec la situation qui se passe actuellement en RDC, dans la mesure où le Congolais moyen n’est pas au courant des enjeux majeurs qui se jouent présentement à Kampala.

N’étant donc pas en mesure de tenir une réflexion critique sur ce qui se passe là-bas, il sera contraint de subir les conséquences des décisions qui en découleront.

« Le Congolais moyen assiste naïvement à une stratégie savamment organisée par certaines puissances régionales soutenues par certaines puissances internationales avec la complicité de certaines élites congolaises qui soufflent le chaud et le froid pour finalement faire accepter aux Congolais un fait accompli, à savoir la balkanisation de la RDC », constate-t-il.

Isidore Kwandja dévoile alors les « dix stratégies de manipulation de masses ».

1.La distraction

La stratégie de la diversion consiste à détourner l’attention du public sur des mutations importantes décidées par certaines puissances de la région des Grands Lacs en complicité avec certaines élites congolaises.

Cette stratégie consiste à garder l’attention du public captivée par de divertissements et distraite de penser aux véritables problèmes de sa nation. Aussi bien à Kinshasa qu’à l’intérieur du pays, on peut observer que les chaines de TV ne passent, pour la plupart de temps, que de la musique, la prière, le théâtre, le football, etc.

« Dans ces conditions, le public ne peut se forger une grille de lecture de la mutation qui s’opère dans sa société et ne peut donc mener une réflexion critique sur son avenir.

Aujourd’hui encore, plusieurs sources aussi bien des Nations unies, des ONG de défense des droits de l’homme que de la société civile du Nord-Kivu affirment que le M23 (qui est toujours non loin de la ville Goma comme exigé par la CIRGL) aurait récemment reçu un soutien important des bataillons d’un pays voisin de la RDC pour renforcer ses rangs en cas d’échec des pourparlers de Kampala », observe-t-il.

« Le comble de cette diversion est que le même M23 voudrait à tout prix faire signer un cessez-le-feu au gouvernement congolais. Pendant ce temps, la RDC considère toujours le M23 comme interlocuteur indispensable pour la paix en RDC, au point même d’immobiliser son ministre des Affaires étrangères pour des négociations que l’on sait bien qu’elles vont aboutir à l’impasse.

Entretemps, ceux qui instrumentalisent les rébellions ont le champ libre pour sillonner le monde et clamer leur innocence dans ce qui se passe à l’Est de la RDC », s’inquiète l’analyste congolais.

Faisant remarquer que « dans d’autres cieux, ce sont les diplomates et hauts fonctionnaires qui négocient les accords et les ministres ne viennent que pour acter », il attire l’attention sur « comment l’élite congolaise distrait l'attention du public en mettant le doigt sur un faux problème ».

2.Problème-Réaction-Solution

Cette stratégie consiste à créer un problème de toutes pièces en prévoyant la réaction du public pour que celui-ci soit demandeur des solutions qui sont en fait la concrétisation d’un plan machiavélique qu’on souhaite lui faire accepter.

« On a laissé se développer la violence et la barbarie à l’Est de la RDC pendant deux décennies pour faire accepter aux Congolais que la balkanisation serait un mal nécessaire pour restaurer une paix durable dans cette partie du territoire.

Hier Kinshasa a accusé Kigali et Kampala d’instrumentaliser l’insécurité à l’Est de son territoire. Aujourd’hui, le même Kinshasa croit à la sincérité de Kampala pour arbitrer le conflit avec le M23. C’est curieux », s’étonne Isidore Kwandja.

3.Stratégie de la dégradation

Il relève que « pour faire accepter aux Congolais des mutations inacceptables décidées par les puissances de ce monde auxquelles les élites politiques et intellectuelles congolais adhérent naïvement, on a procédé par la dégradation de la situation dans la partie Est de la RDC sur une longue durée ».

Au point que les jeunes, qui sont nés dans cette partie du pays pendant ce temps, peuvent croire que le monde est ainsi fait. La stratégie de la dégradation a été utilisée en RDC pour appliqué progressivement les mutations décidées précédemment afin qu’elles passent mieux que si elles étaient appliquées de façon brutale.

4. La stratégie du différé

Cette stratégie consiste à faire accepter au public une décision impopulaire; à présenter la situation comme « douloureuse mais nécessaire » afin d’obtenir l’accord du public dans le présent pour une application dans le futur.

« Cela laisse du temps au public de s’habituer à l’idée du changement et l’accepter avec résignation lorsque le moment sera venu. En fait, les négociations de Kampala s’inscrivent exactement dans cette logique. Et les résolutions qui en découleront seront douloureuses mais, on voudrait juste les présenter comme étant indispensables pour la paix en RDC », commente l’analyste Kwandja.

5. S’adresser au public comme à des enfants en bas-âge

Selon Isidore Kwandja Ngembo, les élites congolaises utilisent les discours et arguments infantilisants pour amadouer le public. Chomsky constate que plus on cherche à manipuler l’opinion publique, plus on adopte un ton infantilisant parce qu’un enfant est dépourvu de sens critique.

6. Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion

Il rappelle que « cette stratégie est devenue un classique que les élites usent et en abusent pour court-circuiter le sens critique du public et l’analyse rationnelle. L’émotionnel ouvre la porte à l’inconscience, aux pulsions et comportements déraisonnables. Les élites insistent sur la cohésion nationale tout en éludant le vrai problème ».

7. Maintenir le public dans l’ignorance

Cette stratégie consiste à faire en sorte que le public soit incapable de comprendre les méthodes utilisées pour mieux l’apprivoiser.

« Ainsi, on fait en sorte que la qualité de l’éducation donnée aux classes inférieures doit être la plus pauvre, de telle sorte que le fossé de l’ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures », avertit l’analyste congolais.

8. Se complaire dans la médiocrité

Cette stratégie consiste à encourager le public à se plaire dans la médiocrité et le manque de culture. Elle encourage le public à trouver « cool » le fait d’être vulgaire ou inculte. Il suffit de voir les grilles des émissions de TV qui pullulent à travers la ville de Kinshasa pour s’en tendre compte.

9. Remplacer la révolte par la culpabilité

Cette stratégie consiste à faire croire aux congolais qu’ils sont responsables de leur malheur. Ainsi, au lieu de se révolter contre le système qui le maintien dans la précarité, ils se culpabilisent, ce qui engendre un état dépressif dont l’un des effets est l’inhibition de l’action. Ainsi sans action, pas de révolution.

10. Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes

Les amis comme les ennemis de la RDC connaissent mieux l’élite politique et intellectuelle congolaise que celle-ci ne se connaît elle-même.

L’élite congolaise est souvent accusée à tort ou à raison d’être corrompue, facilement manipulable et à la solde des intérêts étrangers. Elle n’a pas le sens du patriotisme.

Une tare qui, étrangement, est souvent véhiculé par les soi-disant spécialistes du Congo et que les agresseurs exploitent à souhait pour avoir un plus grand contrôle du Congo et de ses richesses au détriment des congolais eux-mêmes.

Reste à espérer que les discours que nous entendons ces jours seront enfin suivis d’effets car semble-t-il que les congolais ont la réputation d’être de beaux-parleurs mais mauvais faiseurs.

LA RESPONSABILITÉ DES ELITES CONGOLAISES

La responsabilité de l’élite politique et intellectuelle en tant qu’agent moral» est de dire, du mieux possible, la vérité à son peuple sur l’origine des exactions que subissent les populations innocentes depuis des décennies, comment elle entend agir efficacement pour soulager la souffrance et le désespoir, et comment elle compte mettre fin définitivement à cette violence gratuite.

Sinon, à quoi bon de dénoncer les crimes dont sont coupables les rebelles, si l’élite congolaise est incapable d’investir toute son énergie et sa rigueur intellectuelle pour mettre le doigt sur le vrai problème de la RDC et d’appliquer le remède approprié.

En guise de conclue, Isidore Kwandja Ngembo souligne que « la théorie de Chomsky considère l’élite politique et intellectuelle qui garde silence à propos de ce qu’elle sait sur les fameux accords du 23 mars 2009, comme étant plus coupable que ceux-là mêmes qui commettent des crimes à l’Est de la RDC »

Angelo Mobateli
Le Potentiel

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